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Société - Éclairage

Dans les hôpitaux privés, le parcours infernal de certains malades du Covid

La mort du Dr Nabil Kharrat, emporté par le Covid-19, a suscité une polémique qui témoigne de la fragilité du système de santé libanais.

Dans les hôpitaux privés, le parcours infernal de certains malades du Covid

Certains hôpitaux privés demandent qu’un patient atteint de Covid-19 assure entre 20 et 50 millions de livres libanaises pour son traitement. Photo d’illustration João Sousa

C’était un pédiatre apprécié de tous, connu pour son dévouement et son engagement auprès des plus démunis. À78 ans, ce syndicaliste engagé traitait toujours ses jeunes patients depuis son cabinet situé dans le quartier beyrouthin de Mazraa. Avec pour priorité de leur éviter l’hospitalisation lorsque celle-ci n’était pas nécessaire. Il n’était d’ailleurs pas affilié à une institution hospitalière.

Il y a une semaine, le Dr Nabil Kharrat a été emporté par le Covid-19, victime d’une embolie, après une légère amélioration. Il était soigné depuis une semaine à l’hôpital français du Levant (al-Machrek). Sa mort a suscité une polémique sur la scène locale, beaucoup estimant qu’elle aurait peut-être pu être évitée. Retour sur les faits : celui qui a passé sa vie à soigner les autres a été malmené par le système, et par un hôpital en particulier qui a refusé de l’admettre malgré sa détresse respiratoire. « Mon père était de ceux qui n’aiment pas les hôpitaux. Il a laissé passer quatre jours avant de se faire tester. Il s’est ensuite soigné à domicile durant une semaine », raconte à L’Orient-Le Jour son fils diététicien, Nassim Kharrat. Le Dr Nabil Kharrat était pourtant diabétique et faisait partie de ces personnes à haut risque. « Malgré l’administration d’oxygène, mon père a eu les poumons atteints. C’est alors que nous avons décidé de l’hospitaliser. Une ambulance était nécessaire, car il ne pouvait plus se passer d’oxygène. » La famille a d’abord contacté l’AUB qui a « refusé de le recevoir en ambulance, vu les problèmes rencontrés avec la Croix-Rouge libanaise ». Car face au nombre élevé de refoulements de patients, les bénévoles de l’institution humanitaire abandonnent parfois les patients aux portes des hôpitaux, les forçant donc à les admettre.

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La famille téléphone alors au Centre médical Clemenceau (CMC). Nouveau refus, catégorique cette fois. « Nous n’avons pas de place », nous répond-on au téléphone, poursuit M. Kharrat. Mais l’ambulancier de la CRL insiste. « Il faut s’imposer », conseille-t-il à la famille, en route pour le CMC. Devant les urgences, même niet. L’infirmière de service admoneste la belle-fille du malade, à laquelle « elle avait bien dit de ne pas venir ». « C’est alors qu’un médecin s’avance et nous lance : ce n’est pas un client de l’hôpital. Même pour nos patients, nous n’avons pas de place. » Pour le fils du Dr Kharrat, c’était la phrase de trop. Et de surcroît, « adressée à un praticien en détresse respiratoire qui a passé sa vie à soigner les gens ».

Quelques coups de fil plus tard, le malade est admis à l’hôpital français du Levant où tous les soins nécessaires lui sont rapidement administrés. Il est ensuite transféré à l’unité des soins intensifs. « L’administration nous demande alors d’assurer la somme de 30 millions de livres libanaises parce que l’assurance ne couvre pas les frais du Covid-19 et que la CNSS honore ses engagements aux hôpitaux avec beaucoup de retard, explique M. Kharrat. Entre-temps, mon père est très bien traité. » Le patient était en effet assuré auprès de l’ordre des médecins. Il bénéficiait aussi d’une couverture de la Caisse nationale de Sécurité sociale. La famille s’exécute rapidement. Plus tard, elle sera remboursée après l’intervention de l’ordre. La direction hospitalière a décidé de traiter le pédiatre comme s’il faisait partie de son corps médical. Mais la polémique fait son chemin. Pourquoi un médecin doit-il subir cette humiliation ? À quoi sert-il donc d’être assuré au Liban ?

50 millions de LL payables à l’avance

L’affaire a mis en exergue des failles importantes dans la réponse au Covid-19 au Liban, dans un contexte de hausse dramatique des contaminations après les fêtes de fin d’année en raison notamment du variant anglais, selon nombre de scientifiques. La saturation des hôpitaux publics et privés a conduit au refus de nombreux patients, parmi lesquels le Dr Kharrat. De plus, le flou règne sur la prise en charge des patients par les tiers payants publics et privés, qu’il s’agisse de médecins ou de simples citoyens. Un flou tel que nombre d’hôpitaux privés n’hésitent pas à réclamer plusieurs dizaines de millions de livres libanaises avant d’admettre un patient.

La famille de Fouad, 68 ans, atteint de Covid-19, a fait des mains et des pieds pour l’hospitaliser. Le patient, sous oxygène, attendait sur une civière à l’hôpital public Dahr el-Bachek qu’une place se libère. « Nous avons contacté plusieurs hôpitaux, on nous répondait à chaque fois qu’il n’y avait pas de place », raconte un parent du malade. Jusqu’au moment où l’hôpital du Mont-Liban leur répond par l’affirmative, « à la condition que la famille assure au préalable la somme de… 50 millions de livres ». Une somme « abaissée à 20 millions de livres », lorsque la famille a exhibé l’assurance privée du malade, un expert-comptable. Fouad devra attendre que sa famille règle la totalité de la somme réclamée en espèces avant d’être admis et soigné. « Pour ce faire, nous avons dû faire la quête auprès des proches, car en week-end, les banques sont fermées », gronde son beau-frère.

C’est effectivement dans le coût élevé du traitement du Covid-19 que réside le point essentiel du problème. « Quelque 55 millions de LL par patient hospitalisé, soins intensifs y compris », précise Élie Torbey, président de l’Association des compagnies d’assurances au Liban (ACAL), révélant ainsi le montant de la prise en charge. Autre point à ne pas négliger, « les contrats signés par les compagnies d’assurances avant le 4 mai 2020 comportaient des exclusions en cas de pandémie ». « Pour pallier ce manque, nombre d’ordres professionnels, comme celui des avocats ou des dentistes, ont acheté des primes additives, le temps de renouveler leur contrat initial avec les modifications nécessaires, révèle M. Torbey. D’autres ne l’ont pas fait, comme les ingénieurs ou l’ordre des médecins dont l’assurance n’avait pas le produit. »

Des équipements achetés au prix fort

« La tragédie du Dr Kharrat a montré la grande fragilité du système de santé libanais. » Une fragilité exacerbée par la pandémie et l’effondrement de la monnaie nationale qui touchent de plein fouet le secteur hospitalier. Tel est le constat du professeur Charaf Abou Charaf, président de l’ordre des médecins. Reconnaissant le rôle avant-gardiste de l’hôpital gouvernemental Rafic Hariri dans la lutte contre la pandémie, il déplore que « le secteur privé se voie contraint d’investir massivement », alors qu’il est « du devoir de l’État de développer l’hôpital public et d’installer des hôpitaux de campagne ». « Tenu par la nécessité d’acheter certains équipements au marché noir et en dollars frais, le secteur hospitalier privé fait face à des problèmes de remboursement », précise-t-il. En revanche, rien ne justifie de refuser un patient ou de conditionner l’admission d’un autre par un paiement préalable. « Il est inadmissible qu’un patient soit privé de soins », martèle le professeur Abou Charaf, rappelant que « le patient décédé était médecin et qu’il bénéficiait de deux prises en charge, l’une publique, l’autre privée. Et l’ordre des médecins s’était aussi engagé à payer les différences ».

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Sauf que du côté du syndicat des propriétaires d’hôpitaux privés, on soutient qu’aucun malade n’est privé de soins. « Il est évident que les hôpitaux ne doivent pas faire attendre une personne en danger de mort. Et de manière générale, mis à part quelques abus, tout le monde est soigné », martèle Sleiman Haroun, président du syndicat. Il rappelle toutefois qu’il y a une dizaine de jours, « les hôpitaux étaient sous forte pression », vu le nombre record de contaminations et de morts. Pour ne pas refuser des patients, les institutions soignaient les patients Covid-19 dans les corridors ou aux urgences. « Ce qui ne change rien à la nécessité de respecter la procédure quel que soit le patient, quelle que soit l’atteinte », soutient M. Haroun. Le syndicaliste invite donc l’ordre des médecins « à adresser une prise en charge écrite pour chaque patient membre, compte tenu que tous les assureurs ne couvrent pas les patients Covid ». Sans compter que « de nombreux équipements et médicaments ne sont pas remboursés par les tiers payants publics et privés ». « Le traitement du Covid-19 est très onéreux, assure M. Haroun. Il est évident qu’aucun individu ne peut l’assumer, d’où les importantes réductions accordées par les hôpitaux aux patients. » Un coût également lourd pour les hôpitaux privés, surtout lorsque « les tiers payants publics accumulent les retards de paiement » et que « certains patients quittent l’hôpital sans avoir réglé leur facture ».

Il n’en reste pas moins que rien ne justifie l’insistance des hôpitaux à exiger une avance de la part des patients assurés. Selon Élie Torbey, « les assurances paient annuellement près de 500 millions de dollars aux hôpitaux dans le respect des délais ». Il en est de même de la CNSS qui, selon son directeur général, Mohammad Karaké, accorde aux hôpitaux « tous leurs droits financiers ». « Nous payons chaque année 50 milliards de LL aux hôpitaux privés et nous nous acquittons régulièrement de notre dû depuis 2011. Par ailleurs, en l’espace de trois mois, l’État a payé 300 milliards de LL à la CNSS », affirme-t-il à L’Orient-Le Jour. C’est dans ce cadre que l’institution mène l’enquête auprès de certains hôpitaux accusés d’avoir refusé un patient ou d’avoir réclamé des montants supérieurs aux 10 % autorisés (différence entre la prise en charge et la facture). « Nous avons appris que certains centres hospitaliers privés avaient réclamé jusqu’à 150 millions de LL pour un patient Covid. Nous ne pouvons pas les laisser faire », martèle-t-il, promettant « des mesures drastiques, comme celle de résilier le contrat avec ces hôpitaux ». « Il y va de la vie des gens », commente M. Karaké, rappelant que les salaires des travailleurs demeurent, eux, ridiculement bas. C’est pourquoi il invite toute personne qui s’est sentie lésée d’une manière ou d’une autre à adresser une plainte aux autorités en contactant le n° 2424.

C’était un pédiatre apprécié de tous, connu pour son dévouement et son engagement auprès des plus démunis. À78 ans, ce syndicaliste engagé traitait toujours ses jeunes patients depuis son cabinet situé dans le quartier beyrouthin de Mazraa. Avec pour priorité de leur éviter l’hospitalisation lorsque celle-ci n’était pas nécessaire. Il n’était d’ailleurs pas affilié à...

commentaires (2)

C’est incroyable ! au 20ième siècles faute de payer 50 millions de livres libanaises, les malades du covid19 meurent devant les hôpitaux. Que fait donc le pouvoir pour le citoyen ? Où est donc le père de tous les Libanais ? Où est le CPL le défendeur des Chrétiens et des libertés ? Que fait le hesbollah le défenseur du peuple ? Que font les ministres, députés, et tous les hommes politiques ? LE PEUPLE SE MEURT ! personne ne réagit, tout cela ne les empêche pas de toucher leurs salaires à la fin du mois. Et si ! si chaque citoyen malade du covid19, ou d’autres maladies, qui nécessitent une hospitalisation d’urgence, allait à Baabda, aux domiciles des élus, devant les bâtiments administratifs quelles que soient leurs importances, pour réclamer l’aide de l’état qui reste indifférent à leurs doléances. Est-ce que l’Armée osera chasser des handicapés qui réclament juste des soins ? Dans ce cas espérons que le monde entier s’élèvera enfin contre cette indifférence de nos dirigeants…et réclamerait la démission de tous ce beau monde.

Le Point du Jour.

23 h 32, le 15 février 2021

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Commentaires (2)

  • C’est incroyable ! au 20ième siècles faute de payer 50 millions de livres libanaises, les malades du covid19 meurent devant les hôpitaux. Que fait donc le pouvoir pour le citoyen ? Où est donc le père de tous les Libanais ? Où est le CPL le défendeur des Chrétiens et des libertés ? Que fait le hesbollah le défenseur du peuple ? Que font les ministres, députés, et tous les hommes politiques ? LE PEUPLE SE MEURT ! personne ne réagit, tout cela ne les empêche pas de toucher leurs salaires à la fin du mois. Et si ! si chaque citoyen malade du covid19, ou d’autres maladies, qui nécessitent une hospitalisation d’urgence, allait à Baabda, aux domiciles des élus, devant les bâtiments administratifs quelles que soient leurs importances, pour réclamer l’aide de l’état qui reste indifférent à leurs doléances. Est-ce que l’Armée osera chasser des handicapés qui réclament juste des soins ? Dans ce cas espérons que le monde entier s’élèvera enfin contre cette indifférence de nos dirigeants…et réclamerait la démission de tous ce beau monde.

    Le Point du Jour.

    23 h 32, le 15 février 2021

  • Les tariffs accordés aux hôpitaux privés n’ont quasiment pas été augmentés depuis plus de 20’ ans par tous les tiers payants public les retards et les difficultés rencontrés lors des encaissements relèvent de l’absurde. Les hôpitaux privés n’ont reçu aucune aide, mis à part de dérisoires dons en PPEs pour faire face à la pandémie doublée d’une crise financière alors que les hôpitaux publiques notamment l’hôpital Hariri ont reçu des aides à maintes reprises. La situation a été exacerbée par l’explosion du 4 Août -durant laquelle la majorité des blessés ont été soignés gratuitement dans les hôpitaux privés. Le taux de change du dollar contre la livre libanaise pratiqué lors de l’encaissement des factures des patients est de 1515 livres alors que le taux pratiqué lors du payment des factures d’équipements, de gaz médicaux comme l’oxygène (consommé en masse pour les patients Covid-19), pour les tests de laboratoire, les pièces de rechange des equipment, la nourriture, le linge, une grande partie du matériel .... est au cour du jour, avoisinant les 9000 livres aujourd’hui Si la santé n’a pas de prix, elle a un coût. Aucun secteur, même s’il est humanitaire, ne peut malheureusement pas défier les lois du marché et la logique commerciale. Pour faire face à nos défis, il faut remédier aux problèmes de fond et éviter la surenchère politique

    Roll

    04 h 07, le 15 février 2021

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