Le juge d'instruction près la cour de justice, Fadi Sawan, a été démis jeudi de l'enquête sur les explosions au port de Beyrouth par la cour de cassation, après un recours pour suspicion légitime présenté par les deux députés du mouvement Amal, Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, mis en accusation dans cette affaire, ont rapporté des sources judiciaires à L'Orient-Le Jour et à notre publication-sœur L'Orient Today. Le dossier de l'enquête sur la double explosion, qui a fait, le 4 août, plus de 200 morts et dont l'onde de choc a détruit des quartiers entiers de la capitale libanaise, sera donc transféré à un autre magistrat. Il revient donc maintenant à la ministre sortante de la Justice, Marie-Claude Najm, de nommer un nouveau magistrat pour mener l'instruction, et au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) d'approuver cette nomination. Avant la nomination du juge Sawan, le CSM avait refusé plusieurs noms proposés par Mme Najm. En soirée, le bureau de presse de la ministre sortante a annoncé que celle-ci a été notifiée cet après-midi de la décision de la cour de cassation.
Cette dernière a motivé sa décision principalement par le fait que le juge Sawan avait fait savoir qu'"il ne reculerait devant aucune immunité (brandie par les responsables poursuivis en justice) ni devant aucune ligne rouge". La cour a ainsi estimé que le juge Sawan "a clairement affirmé qu'il ne s'arrêtera pas face aux lois en vigueur (...)", ce qu'elle estime être une "violation flagrante de la loi". Le deuxième motif évoqué par la cour est le fait que le juge Sawan occupe un appartement appartenant à sa femme, la juge Mona Saleh, qui est situé à Achrafieh et qui a été endommagé par l'explosion du 4 août, "ce qui fait que le juge est considéré comme une victime directe de la déflagration", ce qui remet en cause son objectivité dans l'affaire, selon la cour.
Suspectés de négligence alors qu’ils étaient respectivement à la tête des ministères des Finances et des Travaux publics et des Transports quand les 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium avaient été stockées en 2014 dans le hangar numéro 12 au port de Beyrouth, MM. Khalil et Zeaïter avaient été mis en accusation par le juge Sawan, à l'instar de l'ancien ministre Youssef Fenianos (Marada) et du Premier ministre sortant, Hassane Diab. Ils avaient été convoqués par le magistrat une première fois le 14 décembre 2020, mais, forts d’un soutien politique et communautaire, ils avaient refusé d’obtempérer, arguant d’immunités liées à leur statut de députés et d'ex-ministres. MM. Khalil et Zeaïter avaient ensuite déposé leur recours pour suspicion légitime, une requête à travers laquelle ils ont mis en cause l’impartialité du juge Sawan et demandé à la cour de cassation de le dessaisir du dossier.
L'instruction avait ensuite été gelée pendant plusieurs semaines jusqu'à ce que le juge reprenne, la semaine dernière, ses interrogatoires. Il avait dans ce cadre convoqué, une seconde fois, l'ancien commandant en chef de l'armée, le général Jean Kahwagi, en tant que témoin, et l'ancien ministre Fenianos. L'interrogatoire de ce dernier, qui aurait dû avoir lieu aujourd'hui, avait été reporté à mardi prochain, l'ex-ministre ayant refusé de s'y rendre, la notification de sa convocation ne lui étant pas parvenue "selon les usages". Selon L'Orient Today, Fadi Sawan avait également convoqué pour la semaine prochaine le chef de la sécurité de l'Etat, le général Tony Saliba. Avec le transfert du dossier, ces appels à comparaître sont désormais caducs.
Par ailleurs, le parquet général près la cour de cassation a émis un avis favorable quant à la demande de libération du Hassan Koraytem, directeur général du port, et de Mohammad el-Awf, chef de la sûreté et de la sécurité du port. L'avis du parquet avait été demandé par le juge Sawan après réception de cette demande de la part de leur avocat, mais c'est au juge d'instruction près la cour de justice de trancher sur cette mise en liberté. Ce dernier ayant été démis, la procédure est donc en suspens.
Une "parodie de justice"
La lenteur de l'enquête et les ingérences politiques ont provoqué la colère d'une grande partie de la population et surtout des proches des victimes de la double explosion, qui ont manifesté à plusieurs reprises devant le domicile du juge Sawan. L'ONG internationale Human Rights Watch (HRW) avait pour sa part déploré l'échec des autorités libanaises à "rendre une quelconque forme de justice". Tous les appels à une enquête internationale ont été rejetés par les autorités libanaises qui ont toutefois été épaulées par des experts internationaux lors des premières investigations sur le terrain.
Aya Majzoub, chercheuse sur le Liban au sein de HRW, n'a d'ailleurs pas tardé à réagir à cette décision de la justice libanaise, dénonçant une "parodie de justice et une insulte aux victimes de l'explosion et aux Libanais". "Plus de six mois plus tard, nous sommes revenus à la case départ", a-t-elle regretté dans une série de tweets. "L'enquête du juge Sawan posait de sérieux problèmes et il y avait peut-être des raisons légitimes de contester sa nomination, mais le fait qu'il ait mis en accusation des politiciens n'en fait pas partie. Les tribunaux ont montré, une fois de plus, qu'ils protégeront les responsables politiques contre toute reddition des comptes, aux dépens des citoyens", a-t-elle ajouté. "Un nouveau juge va devoir être nommé et il devra relancer l'enquête. Mais maintenant les +lignes rouges+ ont été fixées : il ne faut pas inculper les politiciens", a-t-elle encore déploré, appelant à "la fin de cette farce". "Nous voulons des réponses et le Liban a montré qu'il était incapable de les fournir", a-t-elle conclu.
L'affaire Sawan explique bien pourquoi nos zombies au pourvoir tolèrent si bien les ordures dans les rues, les eaux fortement polluées qui causent des maladies diverses, l'explosion du port et surtout les théories pourries et révolues depuis des millénaires : toutes ces horreurs, ils ne les subissent pas comme nous, plutôt ils s'enorgueillent de les produire!!!!... et voilà que, par une excuse disnyenne il tire le juge et assassinent son travail! ...un autre fait historique à ajouter à leurs exploits : détruire la justice du pays.
13 h 51, le 19 février 2021