Le patriarche maronite Béchara Raï, qui fustige depuis plusieurs semaines les responsables politiques libanais, a appelé dimanche à une "conférence internationale" pour "remédier à la paralysie du système libanais" observée lors de chaque échéance politique importante comme la mise sur pied d'un gouvernement. L'appel de Mgr Raï a été lancé alors que le président de la République, Michel Aoun, et le Premier ministre désigné, Saad Hariri, ne sont toujours pas parvenu à former un gouvernement "de sauvetage", près de six mois après la chute du cabinet de Hassane Diab, dans la foulée de l'explosion meurtrière du 4 août à Beyrouth.
"Nous misions sur la formation d'un gouvernement de mission et de sauvetage national, mais notre espoir a été douché par la prévalence des intérêts personnels et partisans et par l'incapacité des responsables à se mettre d'accord et se comprendre", a déploré le dignitaire maronite dans son homélie dominicale.
"Gouffre" entre les dirigeants et le peuple
"Rester silencieux (face à la situation actuelle du Liban, ndlr) revient à être complice des crimes commis contre le Liban et son peuple et s'en laver les mains, a souligné le patriarche maronite. Il n'est plus permis qu'un responsable échappe à ses responsabilités et ses devoirs patriotiques sous quelque prétexte que ce soit, a-t-il ajouté. La question dépasse désormais le gouvernement, il s'agit d'une question de destin national. Par conséquent, chaque autorité qui se joue de cela perd de sa légitimité populaire", a-t-il affirmé en déplorant "le gouffre qui sépare les responsables politiques du pauvre peuple, avec d'un côté ceux qui recherchent leurs propres intérêts et de l'autre ceux qui vivent dans la précarité et la faim".
"Notre peuple se meurt et l'État est sans scrupule, a poursuivi Mgr Raï. Tous les pays du monde ont sympathisé avec le peuple libanais à l'exception de son propre Etat. Y a-t-il un crime plus grave ?" s'est-il offusqué. "Nous ne nous lasserons pas d'exiger notre droit. Notre peuple n'émigrera pas, mais restera ici et se révoltera à nouveau pour réclamer son droit et vous tenir responsables. Votre négligence les contraint à ces solutions extrêmes", a lancé le prélat. Il a encore déploré que "toutes les initiatives et médiations libanaises, arabes et internationales entreprises ont été vaines, comme si certains voulaient saper l'État". "A tous les responsables je dis : l’État ne vous appartient pas et les gens ne sont pas des moutons à abattre sur l'autel de votre intérêt et votre indifférence", a-t-il déclaré.
Soulignant que, comme le rappelle le préambule de la Constitution libanaise, le pays du Cèdre est un "membre fondateur" des Nations unies et de la Ligue des Etats arabes, Mgr Raï a estimé que "l'effondrement actuel de l'Etat exige que cette cause soit traitée lors d'une conférence internationale spéciale, sous les auspices de l'ONU". Il a estimé qu'une telle conférence devrait permettre d'offrir "des garanties permanentes protégeant le pays de toute agression à l'encontre de sa souveraineté, de mettre fin aux armes illégales, de remédier à l'absence d'une autorité constitutionnelle claire qui puisse résoudre les différends et combler les lacunes constitutionnelles et exécutives pour davantage de stabilité et pour ne plus paralyser le pouvoir des mois durant dès qu'il s'agit d'élire un président de la République et de former un gouvernement". "Nous proposons de préserver le pacte national et la coexistence islamo-chrétienne dans un système démocratique et civil , par souci à l'égard de tous les Libanais et de tout le Liban", a-t-il poursuivi.
"Meurtre politique odieux"
"Nous en avons assez des guerres, de la division, et du recours aux armes. Nous en avons assez des assassinats", a par ailleurs lancé le patriarche, qui a rendu hommage à Lokman Slim, intellectuel, auteur, cinéaste et fervent critique du Hezbollah qui a été retrouvé assassiné jeudi matin au Liban-Sud.
"L'assassinat de Lokman Slim est l'assassinat d'une opinion libre, qui doit donner une nouvelle impulsion à la lutte contre les armes qui sont en libre circulation". Il a encore appelé l'Etat à "dévoiler les circonstances et identifier les instigateurs de ce meurtre politique odieux".
"Tuer pour faire taire, un signe de faiblesse"
Le métropolite de Beyrouth, Elias Audi, s'en est également pris avec virulence aux responsables politiques libanais, notamment à Michel Aoun et Saad Hariri, les accusant de faire passer leurs intérêts personnels avant ceux du peuple, alors que le pays connait de multiples crises socioéconomique, financière, sanitaire et politique. "Y a-t-il un seul responsable dans notre pays qui travaille pour l'intérêt général ?", s'est interrogé le métropolite lors de son homélie dominicale prononcée en la cathédrale Saint-Georges de Beyrouth. "Une épidémie sévit parmi la population, mais une autre maladie malveillante tue également : l'ego. Le peuple a faim, mais l'entêtement, l'intérêt personnel et la diffusion de déclarations et contre-déclarations sont plus importants pour nos dirigeants", a-t-il fulminé. Les bureaux de presse de la présidence de la République, du Courant patriotique libre (CPL, aouniste) et du Courant du Futur du Premier ministre désigné se critiquent régulièrement par communiqués interposés et s'accusent mutuellement du blocage de la formation du nouveau gouvernement. "Le président ne doit pas exploiter son poste à son profit ou dans l'intérêt de sa communauté, son clan, son parti ou sa famille", a encore tancé le dignitaire orthodoxe, dans une critique adressée aussi bien à Michel Aoun qu'à Saad Hariri. "Les Libanais sont opprimés, mais leurs dirigeants sont préoccupés par les quotes-parts, les gains, le tiers de blocage", a-t-il fustigé.
Mgr Audi a ensuite vivement condamné l'assassinat de Lokman Slim. "Pourquoi faire taire les gens, éliminer les voix libres et étouffer les cris des gens ? On ne vainc pas en tuant et en faisant taire les gens, c'est au contraire un signe de faiblesse", a-t-il affirmé. "Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est identifier l'auteur du crime et le poursuivre, dévoiler la vérité sur le crime du port et tous les autres meurtres, et être franc avec la population. La persistance à fermer les yeux sur les auteurs des crimes et l'impunité en raison de l'absence d'enquêtes transparentes et sérieuses, en plus de la propagation incontrôlée des armes, est la raison du chaos et de l'effondrement que nous vivons", a-t-il poursuivi. "Pour qu'on ne dise pas que la classe dirigeante protège les corrompus et les criminels, une action rapide et sérieuse est nécessaire. L'arrestation d'un seul corrompu ou d'un criminel suffira à dissuader les criminels".
commentaires (14)
bonsoir Patriarche RAI vous dite '' rester silencieux revient à être complice des crimes commis contre le Liban et son peuple'. je vous demande pourquoi ne pas EXCOMMUNIE le President et son gendre?
RUSSO Patrizio
23 h 09, le 07 février 2021