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Société - Contestation au Liban

Nouvel accès de fièvre dans la rue tripolitaine, plus de 220 blessés

Hariri et Diab mettent en garde contre une instrumentalisation des manifestations.

Nouvel accès de fièvre dans la rue tripolitaine, plus de 220 blessés

Des manifestants libanais fuyant la fumée de gaz lacrymogène, à Tripoli, le 27 janvier 2021. Photo AFP / Fathi AL-MASRI

Plus de 220 de personnes ont été blessées mercredi soir lors de nouvelles violences qui ont éclaté entre des protestataires et les forces de l'ordre devant le sérail de Tripoli, alors que les habitants de la grande ville du Nord manifestent pour la troisième soirée consécutive contre le confinement strict et l'absence d'aides étatiques, qui rendent leurs conditions de vie toujours plus difficiles. Des sit-in et manifestations ont également été organisés dans d'autres régions du Liban, sans toutefois virer aux émeutes. Cette colère a éclaté alors que le pays du Cèdre traverse une crise économique et financière inédite dans son histoire moderne, marquée par une hyperinflation et des licenciements massifs. Plus de la moitié de la population vit désormais dans la pauvreté.

Comme les autres jours, c'est devant le sérail de Tripoli que les tensions ont éclaté. Les jeunes manifestants qui s'y étaient réunis ont d'abord canardé le bâtiment de pierres, comme les jours précédents, avant de lancer des matières inflammables à l'intérieur d'un des postes de surveillance installé à l'entrée du bâtiment, auquel ils ont mis le feu. Des cocktails molotov ont également été balancés par dessus le mur entourant le sérail et l'un d'eux a atteint un des véhicules surmonté d'un canon à eau stationné dans l'enceinte du bâtiment gouvernemental, qui a brièvement pris feu. Les manifestants et la brigade antiémeute se sont par la suite affrontés à coups de pierres et de cocktails molotov que lançaient les protestataires et de gaz lacrymogène, de canons à eau et de balles en caoutchouc à l'aide desquels ripostaient les forces de l'ordre.

Selon un dernier bilan de la Croix-Rouge libanaise, les affrontements à Tripoli entre manifestants et forces de l'ordre ont fait au moins 102 blessés, dont 35 ont été hospitalisés. Les secouristes de l'Association médicale islamique ont fait état, de leur côté, de 124 blessés supplémentaires, dont 31 ont été transportés vers les hôpitaux de la ville. Sur Twitter, les forces de l'ordre ont fait état de neuf blessés dans leurs rangs, dont un officier dans un état grave.

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Sur la place al-Nour, haut-lieu de la contestation depuis le soulèvement du 17 octobre 2019, des protestataires, plus pacifiques, avaient scandé plus tôt des slogans contre les responsables politiques et réclamé que les dirigeants corrompus rendent des comptes. Certains sont partis de la place al-Nour pour une procession dans les rues de la ville, au rythme d'hymnes révolutionnaires.

A Beyrouth, une quinzaine de personnes ont manifesté dans les rues du centre-ville, notamment dans le quartier de Gemmayzé, lançant des slogans du soulèvement du 17 octobre, comme "Révolution ! Révolution !" et "Le peuple veut la chute du régime", selon notre journaliste sur place Matthieu Karam. Ils ont ensuite tenté de fermer un des accès vers les voies du "Ring". En soirée, des protestataires ont incendié des pneus devant un mur séparant la place Riad el-Solh, dans le centre-ville, du Parlement, tandis que d'autres ont bloqué la route de la cité sportive à l'aide de bennes d'ordures et de pneus enflammés, a indiqué l'agence nationale de l'information.

Une procession a en outre été organisée à Saïda, au départ du rond-point Elia, selon notre correspondant sur place Mountasser Abdallah. Plusieurs routes restaient par ailleurs coupées en soirée dans la Békaa, notamment au niveau de Marj et Taalabaya, ainsi que l'axe menant de Rachaya à Masnaa. Le carrefour de Jdita, menant au col de Dahr el-Baydar, était également bloqué à la circulation. 

Le pouvoir a "tourné le dos au peuple"
En milieu de journée, des dizaines de manifestants s'étaient déjà rassemblés à Nabatiyé, dans le sud du Liban, pour protester contre la détérioration des conditions de vie accrue par les mesures de bouclage total, selon M. Abdallah. Les manifestants, parmi lesquels figuraient des militants de gauche, se sont rassemblés devant le sérail de ce fief du Hezbollah, à l'endroit même où se retrouvaient les protestataires lors du déclenchement du soulèvement d'octobre. Dans une allocution, un porte-parole des manifestants, Ali Wehbé, a accusé le pouvoir d'avoir "tourné le dos au peuple et de le réprimer", affirmant que les protestataires dans les différentes régions allaient poursuivre leur action et la coordonner.

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En début d’après-midi, des manifestants s'étaient également réunis sur la place al-Alam à Tyr, toujours dans le sud du pays, où se tenaient régulièrement les sit-in depuis le soulèvement du 17 octobre. Les manifestants, portant des masques, brandissaient des pancartes réclamant que l’Etat vienne en aide à ses citoyens et leur assure les soins de santé. "Vous avez privé Tyr de l’hôpital de campagne du Qatar", pouvait-on lire sur l’une des pancartes. Dans la soirée, des manifestants rassemblés à une des entrées de la ville ont crié des slogans condamnant "la politique d'appauvrissement des citoyens exercée par l'Etat". Ils ont réclamé que les autorités "répondent aux besoins des gens qui sont confinés".

A Baalbeck dans la Békaa, une poignée de protestataires se sont également rassemblés sur la place al-Moutran, lieu traditionnel de la contestation, rapporte notre correspondante Sarah Abdallah, et brandissaient des pancartes exprimant leurs revendications.

"Exploitation de la situation"
Réagissant à cette mobilisation, le Premier ministre désigné Saad Hariri, ainsi que le chef du gouvernement sortant Hassane Diab, ont mis en garde contre une instrumentalisation des manifestations, surtout à Tripoli.

"Il se peut qu’il y ait, derrière les manifestations à Tripoli, des parties qui veulent adresser des messages politiques, et il se peut que certains veuillent exploiter la souffrance des gens et la détérioration des conditions de vie des personnes défavorisées", a estimé Saad Hariri dans un tweet. "Je mets en garde les nôtres à Tripoli et dans les autres régions contre toute exploitation de leur situation", a ajouté le leader sunnite. Il a dans le même temps appelé l’Etat à "ne pas rester les bras croisés" et à faire tout ce qui est possible pour "offrir des compensations" aux personnes dans le besoin. Le Premier ministre désigné a défendu la décision de bouclage pour enrayer la propagation du coronavirus, affirmant que cette mesure visait à "protéger les citoyens".

De son côté, Hassane Diab a usé de mots très durs en commentant les protestations dans la capitale du Liban-Nord, dénonçant les "actes de vandalisme" qui les ont émaillées. "Nous avons traversé une période très difficile et nous espérons qu'en parvenant à vaincre la pandémie, l'activité économique reprendra au Liban, a déclaré Hassane Diab lors d'une réunion au Grand sérail de Beyrouth. "Toutefois, il y a une grande différence entre l'expression sincère de la douleur et les actes de vandalisme contre les institutions étatiques et les propriétés des gens", a mis en garde le Premier ministre sortant. "Entre ceux qui sont vraiment dans le besoin et ceux qui instrumentalisent et déforment cela à des fins politiques", a-t-il ajouté. "Les scènes dont nous avons été témoins ces deux derniers jours ne ressemblent pas aux demandes des gens, et ne traduisent pas non plus leur souffrance. Il s'agit d'une tentative de détourner leurs demandes et de les utiliser pour des querelles politiques. La ville de Tripoli ne doit pas faire l'objet d'actes de sabotage pour délivrer des messages politiques. Il n'est pas permis de couper la route à la population sur la base d'une logique de défi politique", a martelé Hassane Diab. Et de poursuivre : "Le gouvernement n'est ni formé ni perturbé en brûlant des pneus, en bloquant les routes, en attaquant les institutions de l'État et en prenant pour cible les forces de sécurité intérieure et l'armée libanaise".

Plus de 220 de personnes ont été blessées mercredi soir lors de nouvelles violences qui ont éclaté entre des protestataires et les forces de l'ordre devant le sérail de Tripoli, alors que les habitants de la grande ville du Nord manifestent pour la troisième soirée consécutive contre le confinement strict et l'absence d'aides étatiques, qui rendent leurs conditions de vie toujours plus...

commentaires (4)

En direct de Tripoli. On assiste à des scènes inouïes de violence. ""La révolte de la faim"" prend une autre tournure. Les ambulances sirènes hurlantes investissent "la Place du Nour" pour transporter les blessés. Il est minuit passé, des bombes lacrymogènes, des badauds, des gyrophares, des blessés. J’ai mal, très mal pour les jeunes. Une nuit de violence pas très ordinaire.

L'ARCHIPEL LIBANAIS

00 h 39, le 28 janvier 2021

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Commentaires (4)

  • En direct de Tripoli. On assiste à des scènes inouïes de violence. ""La révolte de la faim"" prend une autre tournure. Les ambulances sirènes hurlantes investissent "la Place du Nour" pour transporter les blessés. Il est minuit passé, des bombes lacrymogènes, des badauds, des gyrophares, des blessés. J’ai mal, très mal pour les jeunes. Une nuit de violence pas très ordinaire.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    00 h 39, le 28 janvier 2021

  • Où quand diab déclare: Le gouvernement n'est ni formé ni perturbé en brûlant des pneus, en bloquant les routes, comprend il ce que les gens subissent depuis le début de la crise , la douleur matérielle, physique et morale de ces malheureux ? De leur tour d'ivoire ils en sont à penser à une instrumentalisation ... entre un premier ministre démissionnaire qui négocie ses indemnités avec son ancien employeur, le nouveau nommé , Hariri , qui freine des quatre fers pour empêcher la formation du prochain gouvernement (qu'attend il pour divulguer les noms des ministrables qu'il propose, l'on verrait ainsi s'il est vraiment un menteur ) plutôt que de faire des pieds et des mains afin de protéger un gouverneur de la BDL qui pensait avoir assuré ses arrières et un président qui pourrit la situation ce qui pourrait le conduire à ce rythme à garder son fauteuil jusqu'en 2050.... Après tout, devrions nous nous en prendre à nous même, après tout c'est nous qui les avons placé...

    C…

    23 h 40, le 27 janvier 2021

  • Finie la stagnation ? Les forces de l'ordre sont victimes autant que la population.Les causes du soulèvement sont essentiellement liées au désespoir des gens face à l'insouciance de l'autorité qui fait abstraction de leur désarroi face à la pauvreté grandissante, associée à l'abus de pouvoir. Si les régions à majorité sunnite sont largement concernées, c'est qu'il y a aussi un sentiment de malaise politique surajouté au niveau de cette communauté qui se sent marginalisée.

    Esber

    23 h 20, le 27 janvier 2021

  • Dans quelle abysse sommes-nous tombés !

    Darwiche Jihad

    22 h 17, le 27 janvier 2021

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