La rue sunnite gronde. Tripoli, Saïda, Jiyé, Taalabaya et Mazraa se sont soulevées ces deux derniers jours pour protester contre les mesures de confinement qui rendent le quotidien de plus en plus difficile dans ces régions marquées par un très fort taux de pauvreté. La colère s’est exacerbée hier, alors que les forces de l’ordre ont arrêté plusieurs jeunes Tripolitains lundi qui manifestaient contre ces décisions sanitaires. Le Liban est en confinement renforcé depuis le 14 janvier quand les cas de coronavirus ont explosé à la suite des fêtes de fin d’année. Les autorités ont imposé la fermeture de la majorité des commerces et décrété l’interdiction de circuler. Une décision très mal vécue notamment dans les quartiers pauvres de Tripoli où la plupart des habitants survivent grâce à un travail journalier. L’État n’a pas été en mesure d’offrir une compensation financière aux catégories les plus vulnérables. Dans ce contexte, l’éclatement de la colère n’a rien de surprenant.
Le fait que les émeutes aient principalement eu lieu dans les régions sunnites – chez les chiites, c’est le Hezbollah qui compense un tant soit peu les pertes et octroie des aides aux plus pauvres – a toutefois alimenté les thèses d’une possible instrumentalisation politique, dans un pays où la spontanéité des mouvements est toujours remise en question.
Dans un premier temps, des rumeurs véhiculées à Tripoli et à Saïda ont mis en cause Baha’ Hariri, le frère du Premier ministre désigné Saad Hariri, le soupçonnant d’avoir aiguillonné le mouvement de protestation. Baha’ Hariri, qui ambitionne depuis un certain temps de se greffer au paysage politique en concurrençant son frère, avait déjà été pointé du doigt l’été dernier pour avoir cherché à infiltrer les rangs des manifestants. « Nous n’avons pas appelé à une manifestation et ne comptons absolument pas le faire à un moment où la vie des gens est menacée par la pandémie. Les gens ont faim et l’État doit répondre à leurs doléances », affirme un proche de Baha’ Hariri à L’Orient-Le Jour.
L’aîné des Hariri a donné récemment une interview au site Arab News, qui dépend de l’Arabie saoudite, dans laquelle il appelle les Libanais à la formation d’une « alliance élargie », sous l’égide de la constitution de Taëf en vue de former une coalition de forces vives susceptibles d’ « extirper le pays de la crise ». Il a invité dans ce sens les « forces modérées » à joindre leurs efforts dans le cadre d’un mouvement transcommunautaire pour développer un plan de sauvetage pour un pays au bord du précipice. Autant de clins d’œil à l’adresse des Libanais mécontents et aspirant au changement. À un moment où son frère, Saad, mène un bras de fer sans fin avec le président de la République Michel Aoun concernant la formation du gouvernement, les propos de Baha’ Hariri ont été interprétés comme une façon de se présenter comme une alternative. Selon un dignitaire sunnite de Tripoli, les médias sont en train d’amplifier le phénomène de Baha’ Hariri et exagèrent sa présence sur le terrain. De son côté, le bureau de presse de Baha’ Hariri a publié hier un communiqué dans lequel il affirme ne plus avoir aucun lien avec les forums de protestation à Tripoli. L’ancien ministre, Achraf Rifi, s’est lui aussi lavé des accusations portées à son encontre d’être derrière les manifestations.
Le ras-le bol et la misère
Entre-temps, c’est une seconde version qui a été véhiculée dans les coulisses par les milieux du Courant patriotique libre : celle d’une manipulation de la rue qui aurait été mise en scène par Saad Hariri lui-même. Ce dernier chercherait ainsi à brandir l’arme de la rue face au chef de l’État, qui continue de tenir tête au Premier ministre concernant l’affectation des portefeuilles et les équilibres politiques au sein du futur cabinet. La thèse se fonde en outre sur l’idée qu’en faisant bouger la rue, Saad Hariri chercherait également à dévier l’attention de l’enquête actuellement commanditée et menée par les autorités suisses mettant en cause son allié, le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé.
L’idée que les manifestations ne soient pas spontanées paraît néanmoins ridicule pour plusieurs personnes proches de la société civile, qui mettent en avant le fait que certains manifestants de ces derniers jours sont présents sur la place depuis le mouvement du 17 octobre. « Les politiques ne prennent même pas en compte l’idée que les gens ont réellement faim. Ils voient partout des mouvements télécommandés et politiquement instrumentalisés, alors que la réalité est ailleurs. Elle est à rechercher dans le ras-le-bol et la misère », affirme Nawaf Kabbara, professeur de sciences politiques à l’Université de Balamand. « Les gens ont mal. Ils souffrent. C’est l’unique raison qui les fait bouger », renchérit Hicham Bou Ghannam, responsable d’un groupuscule de manifestants à Jal el-Dib.
commentaires (9)
C’est vrai que Tripoli vient juste de commencer à s’appauvrir avant Sunnite ça voulait dire riche . Même la révolution il faut lui une consonance confessionnelle sinon pas crédible. Pauvres Libanais que nous sommes et nous sunnites encore plus avec l’assassinat de tous nos dirigeants et la privation de relations normales avec la rupture forcée avec les pays du Golfe grâce aux nouveaux riches qui n’ont pas de soucis dans leur région.Vous connaissez la fameuse phrase : UN IDIOT RICHE EST UN RICHE ET UN IDIOT PAUVRE EST UN IDIOT !
PROFIL BAS
00 h 20, le 28 janvier 2021