
Michel Aoun et Saad Hariri à Baabda le 24 octobre 2020. Photo d’archives Dalati et Nohra
Certains pensaient que l’investiture du nouveau président américain, Joe Biden, pourrait accélérer le processus de formation du nouveau gouvernement. Il n’en est rien. Bien au contraire, le blocage semble s’aggraver à mesure que le fossé se creuse entre Baabda et la Maison du Centre.
Un nouveau round de la querelle – devenue chronique – entre le président de la République, Michel Aoun, et le Premier ministre désigné, Saad Hariri, a éclaté hier, compliquant davantage la mission du leader du courant du Futur. Les rapports entre les deux hommes sont complètement rompus depuis le 23 décembre dernier, date de la dernière rencontre entre eux à Baabda. Le chef du gouvernement désigné n’était pas parvenu à mettre sur pied son équipe en arguant du fait que Michel Aoun ne s’était pas prononcé au sujet de la mouture ministérielle que lui avait remise M. Hariri le 9 décembre.
Mais la querelle a pris une nouvelle tournure avec le fameux épisode de la vidéo fuitée dans les médias il y a près de deux semaines. On y entendait le chef de l’État qualifier Saad Hariri de « menteur », suscitant la colère aussi bien des milieux haririens que de la rue sunnite en général.
Mais le point de non-retour semble avoir été atteint hier, lorsque le bureau de presse de la présidence a publié un communiqué se défendant de tout blocage du processus ministériel. Une façon pour le palais de réagir aux accusations lancées récemment contre Michel Aoun et le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, d’œuvrer pour détenir le tiers de blocage au sein de la prochaine équipe, dans la perspective de calculs politiques et présidentiels prématurés.
Une position que le leader du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, farouche opposant au mandat, a clairement exprimée hier. Dans une interview à la Voix de tout le Liban (93.3), le leader druze n’a pas mâché ses mots : « Le bon gendre (Gebran Bassil) veut obtenir le tiers de blocage pour gouverner le pays si, à Dieu ne plaise, quelque chose arrivait à Michel Aoun », a-t-il tonné.
« Récemment, de nombreux analyses et articles de presse ont évoqué la position du président de la République au sujet de la formation du gouvernement, et avaient pour but de déformer la réalité et faire croire que le président Aoun est celui qui bloque le processus face au Premier ministre désigné », a déploré la présidence dans son communiqué. Elle indique que le chef de l’État n’a pas demandé à obtenir le tiers de blocage au sein du prochain gouvernement. Réagissant aux accusations lancées contre Gebran Bassil, la présidence a assuré que ce dernier « ne se mêle absolument pas de cela ». Et d’ajouter : « Le groupe parlementaire (du CPL) a ses positions politiques qu’il exprime. »
Le texte s’est évidemment longuement attardé sur la question du choix des ministres, Michel Aoun accusant Saad Hariri de confisquer son rôle dans le processus gouvernemental en choisissant les ministres chrétiens d’une manière unilatérale. « Quant au choix des ministres, leur nomination et la répartition des portefeuilles ministériels, cette question ne relève pas exclusivement du Premier ministre désigné, comme le prouve l’alinéa 4 de l’article 53 et l’alinéa 2 de l’article 64 de la Constitution, ce qui montre que le président Aoun a le droit, de par la Constitution, d’approuver l’intégralité de la composition du gouvernement avant d’apposer sa signature », affirme encore la présidence.
Commentant éventualité d’une nouvelle rencontre entre MM. Aoun et Hariri, Baabda a été on ne peut plus clair : « Ce n’est pas au président de la République de renouveler son invitation au Premier ministre désigné pour se rendre au palais de Baabda. Le palais attend toujours que le Premier ministre désigné s’y rende avec une proposition de gouvernement qui respecte les critères de représentativité équitable et dans le respect de la Constitution, alors que les circonstances sont très pressantes à plusieurs niveaux et nécessitent la formation d’un cabinet », peut-on encore lire dans le texte.
La riposte haririenne
Les milieux haririens interprètent le communiqué de Baabda comme une nouvelle escalade politique de la part du président Aoun et un obstacle à même de retarder, encore, la formation du gouvernement. « C’est une façon de faire barrage à toute prochaine visite de M. Hariri au palais présidentiel parce que le duo Aoun-Bassil n’accepte pas de former un cabinet de spécialistes non affiliés aux partis politiques », déplore via L’Orient-Le Jour Moustapha Allouche, vice-président du Futur. « Michel Aoun et Gebran Bassil devraient comprendre qu’au sein du prochain cabinet, aucun camp n’obtiendra le tiers de blocage et que la présidence ne va pas détenir les trois portefeuilles liés à la sécurité et la justice (la Défense, l’Intérieur et la Justice) », déclare-t-il encore, sans cacher ses craintes quant à un vide gouvernemental qui pourrait durer jusqu’à la fin du mandat, dans environ deux ans.
Un peu plus tôt dans la journée, des sources proches de la Maison du Centre citées par notre correspondante Hoda Chédid avaient démenti les informations ayant circulé dans certains médias selon lesquelles Saad Hariri aurait envoyé à Michel Aoun un message l’informant qu’il a tourné la page de la vidéo fuitée. Le Futur excluait ainsi toute possible rencontre entre MM. Aoun et Hariri, et par la même occasion la mise en place d’une nouvelle équipe. Selon Moustapha Allouche, « la vidéo a suscité un tollé dans les milieux sunnites, dans la mesure où il s’agit d’une insulte faite à un poste détenu par un responsable de cette communauté. Il n’est donc pas facile de passer outre la colère populaire ».
À Baabda, on campe aussi sur la position traditionnelle et on continue de renvoyer la balle du blocage au camp de Saad Hariri. « Le 9 décembre, le Premier ministre désigné a eu la réponse du président à la mouture qu’il lui avait présentée », raconte un proche du palais présidentiel à L’OLJ, faisant savoir que le chef de l’État a refusé la formule en question parce qu’elle ne respectait « ni les critères constitutionnels ni les règles coutumières ». Et ce proche de Baabda de se poser la question de savoir « pourquoi Saad Hariri s’accroche à des questions de forme. Et pourquoi ne s’entend-il pas avec Michel Aoun au sujet du cabinet ? ».
Aucun des deux camps n’est donc prêt à modifier sa position en vue de permettre la naissance du cabinet. D’où l’appel, hier, de Walid Joumblatt à Saad Hariri à jeter l’éponge et « laisser le camp adverse gouverner ». Un conseil que M. Hariri ne compte pas mettre en application « parce qu’il a été désigné à la faveur du choix de députés qui représentent le peuple », pour reprendre les termes d’un proche de la Maison du Centre contacté par L’OLJ.
Certains pensaient que l’investiture du nouveau président américain, Joe Biden, pourrait accélérer le processus de formation du nouveau gouvernement. Il n’en est rien. Bien au contraire, le blocage semble s’aggraver à mesure que le fossé se creuse entre Baabda et la Maison du Centre.
Un nouveau round de la querelle – devenue chronique – entre le président de la République,...
commentaires (18)
un commentaire de m. saleh machnouk hier sur mtv m'a interpelle . il rappelle que hezb a dans sa poche non seulement aoun et gendre mais aussi hariri, qu'il cajole sans vergogne et que l'homme le lui rend si bien.
gaby sioufi
11 h 25, le 24 janvier 2021