Le chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste), Gebran Bassil, a déclaré dimanche que sa formation ne souhaitait pas participer au futur gouvernement que tentent de former le chef de l'Etat, Michel Aoun, et le Premier ministre désigné, Saad Hariri, dénonçant par ailleurs le "manque de sérieux" de ce dernier dans cette mission. Dans une longue conférence de presse, l'ancien ministre des Affaires étrangères s'en est longuement pris à ses adversaires au pouvoir, qu'il a accusés d'entraver la mise sur pied du cabinet ainsi que les réformes attendues pour rétablir la confiance dans les dirigeants libanais. Il a appelé à la tenue d'un "dialogue national" au cours duquel devrait être rédigée une "vision libanaise d'un nouveau système politique". Le chef du parti aouniste a encore annoncé l'organisation d'un dialogue avec le Hezbollah afin de discuter de certaines questions posant problème entre les deux partis.
"Nous avons accepté l'initiative française et qu'un gouvernement de technocrates soit formé", a déclaré Gebran Bassil lors de sa conférence de presse, soulignant qu'autant le Premier ministre que les ministres devraient être "technocrates". "En quoi le Premier ministre désigné actuel (Saad Hariri, ndlr) est-il technocrate ?", s'est-il interrogé. Et de souligner que cette condition de nommer des "spécialistes" est également mise à mal lorsqu'il est proposé que plusieurs ministères soient tenus par une seule personne. Il a dès lors déploré que "dans ce qui a été proposé jusqu'à présent, il n'y a aucune spécialisation, aucune règle fixe, aucun critère unifié", estimant que l'unique objectif de la formation d'un gouvernement "réduit" de 14 ou 18 ministres est de "se montrer injuste envers les druzes et les grecs catholiques", afin que seul le leader druze Walid Joumblatt puisse nommer un ministre et que son rival et allié du CPL, Talal Arslane, se retrouve isolé, et que seul un ministre grec catholique soit nommé afin de faire perdre au chef de l'Etat, Michel Aoun, la possibilité de nommer un ministre. M. Bassil a encore reproché à Saad Hariri de manquer de cohérence lorsqu'il prône la rotation des portefeuilles entre les différentes communautés mais permet aux chiites de conserver les Finances.
Le Premier ministre Hassane Diab avait démissionné le 10 août 2020, six jours après la gigantesque explosion meurtrière au port de Beyrouth. L'ambassadeur Moustapha Adib avait été désigné pour lui succéder, mais il avait finalement jeté l'éponge faute d'avoir pu mettre sur pied une équipe. Saad Hariri avait alors été nommé le 22 octobre dernier afin de constituer un gouvernement de "mission" formé d'"experts", dans l'esprit de la feuille de route annoncée le 1er septembre à Beyrouth par le président français Emmanuel Macron. Mais les tiraillements politiques entre le président Aoun et son camp d'un côté, et Saad Hariri de l'autre bloquent toujours cette formation. Certains observateurs évoquent également les circonstances régionales, voire internationales, pour expliquer ce retard.
"Manque de sérieux" de Hariri
"Chaque fois que le Premier ministre désigné s'entretient avec le président Aoun, il apporte avec lui une liste différente concernant la répartition des portefeuilles, ce qui prouve son manque de sérieux et qu'il change chaque fois d'avis", a lancé le député. Il a entre autres accusé Saad Hariri d'avoir changé d'avis concernant le fait que Michel Aoun nommerait les ministres de la Justice et de l'Intérieur "après la polémique avec le juge Fadi Sawan". Ce dernier est en charge de l'enquête sur la double explosion du port de Beyrouth et a inculpé, début décembre, trois responsables politiques dont le Premier ministre sortant, Hassane Diab, ce qui a provoqué une levée de boucliers au sein de la communauté sunnite.
M. Bassil est en outre revenu sur la polémique qui a provoqué plusieurs passes d'armes entre le courant du Futur et le CPL concernant les prérogatives du président de la République et du Premier ministre désigné dans la formation du cabinet. "Comment avez-vous pu comprendre, à la lecture de la Constitution, que le président doit uniquement approuver une liste de noms que lui présente le Premier ministre désigné et signer le décret de formation du gouvernement, à défaut de quoi il est accusé de blocage ?", s'est-il indigné. "En résumé, nous ne voulons pas participer au gouvernement", a répété M. Bassil, soulignant qu'il s'était tu face aux "mensonges et accusations afin de ne pas bloquer la formation" du cabinet. "Mais maintenant, la coupe est pleine", a-t-il lancé, démentant une nouvelle fois le fait qu'il met des bâtons dans les roues de la mise sur pied du cabinet. "Avant-même la désignation de Saad Hariri, nous avons dit que nous ne voulions pas entrer au gouvernement, ni nommer de ministres technocrates, mais que nous voulions simplement donner notre confiance si nous approuvons la mouture proposée et son programme de travail et si le cabinet respecte les principes de la Constitution et du Pacte national", a ajouté Gebran Bassil.
"Pas une piastre corrompue"
"Pouvez-vous vraiment croire qu'ils veulent un gouvernement pour mettre en œuvre des réformes, lancer l'audit juricomptable de la Banque du Liban (BDL), lutter contre la corruption, récupérer les fonds transférés à l'étranger et pillés, alors qu'aucun d'eux n'a mis en place les réformes de la Cedre", a-t-il encore accusé.
En ce qui concerne l'audit juricomptable, Gebran Bassil a affirmé que cette procédure pourrait "dévoiler de nombreuses choses et beaucoup de noms" de personnes ayant trempé dans la corruption, ce qui a poussé certains responsables, qu'il n'a pas nommés, "à le faire imploser, même si cela signifie que le programme du Fonds monétaire international doit imploser également". L'audit était un des prérequis réclamé par le FMI, lors des négociations avec le Liban, pour toute aide internationale. Le député a dans ce cadre dénoncé les nombreux "prétextes" utilisés pour torpiller l'audit. "Tantôt il s'agit du nom de l'entreprise, une autre fois de son identité, ils ont aussi invoqué le secret bancaire et la nécessité d'adopter une loi à ce sujet, a-t-il poursuivi. Chaque fois, ils trouvent une raison de retarder l'audit parce qu'ils ne veulent pas que soient audités les comptes des institutions et fonds". Et de déclarer que cette procédure "ne permettra pas de trouver une seule piastre corrompue" détenue par un responsable aouniste.
Dialogue national
Revenant en outre sur l'enquête concernant la double explosion meurtrière du 4 août, Gebran Bassil a estimé que le juge Fadi Sawan ne devrait pas limiter son enquête "à l'aspect administratif" et ne pas se limiter à établir un "rapport qui permettrait de débloquer les fonds par les sociétés d'assurance". "L'histoire ne doit pas s'arrêter à des accusations de négligence lancées contre un Premier ministre et des anciens ministres. Même si cela est avéré, ce ne sont pas eux qui ont fait venir en contrebande les produits qui ont explosé ni eux qui les ont fait exploser", a-t-il déclaré. "Nous voulons savoir qui a détruit la capitale du Liban", a-t-il insisté.
Le député a par ailleurs appelé à l'organisation d'une réunion de "dialogue national" qui devrait se pencher sur l'élaboration d'une "vision libanaise partagée pour un nouveau système politique qui assurerait la stabilité du pays". "Si l'on se contente d'éviter les problèmes fondamentaux de notre régime en arguant du fait que le Hezbollah est seul responsable de l'effondrement de l'Etat, cela signifie que l'on ne veut pas vraiment régler le problème en profondeur", a-t-il déclaré, soulignant que les dossiers de la stratégie de défense, des armes du parti chiite, des relations du Liban avec les autres pays et de la neutralité sont des questions "existentielles" qui devraient également être intégrées dans ce dialogue national. "Nous n'acceptons pas que notre terre serve de champ de bataille pour les autres et que les armes de la résistance servent un autre projet que celui de la protection du Liban", a-t-il ajouté. Il faisait là allusion aux propos attribués à un commandant iranien qui aurait déclaré que le pays du Cèdre et Gaza représentaient "les premières lignes de défense de l'Iran contre Israël". "Nous nous sommes mis d'accord avec le Hezbollah pour mener un dialogue bilatéral concernant différentes questions, notamment l'axe international et la construction de l'Etat, parce que pour le moment, cela ne fonctionne pas", a-t-il encore annoncé.
Vaccins de l'Ouest et de l'Est
En ce qui concerne la pandémie de coronavirus, il a prôné que la campagne de vaccination inclue les vaccins "venant autant de l'Ouest que de l'Est", avec notamment "les vaccins russe, Spoutnik V, et chinois, au côté des vaccins américain, anglais et autres", afin que les Libanais "soient libres de choisir" et que le pays puisse sortir rapidement de la crise sanitaire "qui a porté un coup à notre économie qui était déjà vacillante".
Au niveau international, M. Bassil a espéré qu'"avec le mandat de Joe Biden, nous reviendrons à une politique de dialogue et non plus d'isolement et de sanctions", a déclaré le chef du CPL, lui-même visé par des sanctions début novembre, pour corruption et pour ses relations avec le Hezbollah. Il a par ailleurs commenté les événements ayant secoué Washington mercredi. "Lorsque le Capitole (siège du Législatif aux Etats-Unis, ndlr) est touché, alors qu'il s'agit d'un symbole de la démocratie dans le monde, le Liban craint pour sa propre démocratie", a-t-il indiqué. Et de souligner que "lorsqu'il a vu comment l'administration US traite son propre peuple", il a relativisé l'impact des sanctions lancées à son encontre.
commentaires (18)
On a remarqué qu’à chaque fois que le barbu vendu se prononce l’autre vendu se sent pousser des ailes et prend le relais pour affirmer ses insanités. Il est vrai que seul le Hezbollah n’es t pas responsable de ce qui arrive au Liban. C’est grâce aux aides apporter par Aoun et le CPL qu’il s’est octroyé tous les pouvoirs. Alors dénoncer pour dénoncer autant reconnaître sa trahison qui en dit long sur son patriotisme et celle de son cher beau père qui a tout fait pour tenir sa promesse de diriger le pays et son peuple vers l’enfer.
Sissi zayyat
11 h 16, le 11 janvier 2021