
Le chef de l’État a eu un tête-à-tête de 45 minutes avec le patriarche Raï, au terme d’une réunion élargie à Bkerké. Photo Dalati et Nohra
Avec le retour hier à l’aube du Premier ministre désigné Saad Hariri, au terme de vacances familiales passées à l’étranger, et la visite matinale du président Michel Aoun à Baabda, la machine politique devrait se remettre en marche, même si l’espoir qu’un nouveau gouvernement voie le jour dans les délais les plus brefs reste minime. Rien ne semble en effet moins sûr, compte tenu de la raideur au niveau des prises de position politiques, qui se sont manifestées de nouveau il y a quelques jours à la faveur des échanges acerbes entre le Courant patriotique libre (CPL) et le courant du Futur.
Pour simplifier : le nœud gordien des ministères de l’Intérieur et de la Justice empêche jusque-là la mise en place d’un gouvernement et reste au cœur d’une épreuve de force Aoun/CPL-Hariri, à laquelle est venu s’ajouter un autre élément de blocage, avec l’insistance du chef du Parti démocratique libanais Talal Arslane à être représenté au sein du nouveau gouvernement. Une revendication qui peut trouver un écho positif auprès du CPL, mais qui implique, si jamais elle est retenue, la formation d’un gouvernement de 20 ministres. Or, les pourparlers en cours tournent autour d’un gouvernement de 18. Pratiquement, cette option à laquelle le camp aouniste est favorable depuis le début des pourparlers avec Saad Hariri au sujet du cabinet ne ferait cependant que compliquer davantage des négociations déjà suffisamment ardues, en raison de l’impact de leurs résultats sur l’équilibre des forces à venir au plan politique. Celui-ci est comme on le sait au cœur des tiraillements qui en font la principale cause du blocage gouvernemental (et dont l’une des manifestations est la guerre des prérogatives entre Baabda et la Maison du Centre). Ces tiraillements ont poussé hier le chef druze Walid Joumblatt à appeler Saad Hariri à se récuser, affirmant que « le Liban est devenu une province iranienne ingouvernable » et accusant le chef du CPL, Gebran Bassil, de « vouloir obtenir coûte que coûte le tiers de blocage parce que c’est le gouvernement qui prendra les rênes du pouvoir si jamais il arrivait quelque chose à Michel Aoun ».
Une rencontre Aoun-Hariri
À Bkerké, où Michel Aoun s’est rendu à la suite d’une conversation téléphonique il y a deux jours avec le patriarche maronite Béchara Raï, pour lui présenter ses vœux de fin d’année, mais aussi pour démentir les rumeurs sur une mésentente entre le patriarcat maronite et Baabda, le dossier gouvernemental a été longuement évoqué, en plus de ceux de la crise socio-économique et de l’épidémie de coronavirus. Le chef de l’État, qui a exposé à son hôte son explication des motifs du blocage et les griefs qu’il retient contre Saad Hariri, est resté laconique aussi bien sur la teneur des discussions que sur une prochaine rencontre avec le Premier ministre désigné, encouragée par Mgr Raï. « C’est une possibilité », s’est-il contenté de répondre au journaliste qui l’interrogeait sur ce dernier point.
Les conditions pour une rencontre Aoun-Hariri que le patriarche organiserait à Bkerké, au cas où il s’avérerait impossible de la tenir à Baabda, ne sont toujours pas réunies. Elles dépendent en grande partie des résultats de la médiation que le chef de l’Église maronite entreprend discrètement, s’accorde-t-on à dire de sources proches de la présidence et de la Maison du Centre. Ce qui est sûr, c’est que le Premier ministre désigné, qui serait reçu dans les prochains jours au patriarcat maronite, n’a pas l’intention de se rendre de sitôt à Baabda pour un quinzième entretien avec le chef de l’État au sujet de la mouture du nouveau gouvernement, mais reste ouvert à toute initiative de Bkerké qui pourrait favoriser un déblocage.
À la Maison du Centre, on considère que le Premier ministre « n’a rien à ajouter à ce qu’il avait déjà proposé à la présidence de la République et qu’il reste attaché à la mise en place d’un gouvernement équilibré et composé d’experts non affiliés à des partis politiques, qui aurait les coudées franches pour travailler et entreprendre les réformes indispensables au déblocage d’une aide internationale au Liban ». Dans ces milieux, on souligne l’attachement de Saad Hariri à l’initiative française en faveur d’un gouvernement d’experts et on reproche au camp présidentiel d’essayer de la « contourner pour imposer les anciennes pratiques de gouvernance qui ont conduit le pays à sa faillite ». Dans ces mêmes milieux, on indique également que la balle est aujourd’hui dans le camp du chef de l’État et que le Premier ministre désigné « n’a pas l’intention de faire des concessions au sujet de la composition de son équipe et encore moins de se récuser ».
Guerre constitutionnelle
La guerre constitutionnelle bat entre-temps son plein entre la Maison du Centre et Baabda autour du rôle du chef de l’État dans la formation d’un cabinet et soulève des interrogations quant à la possibilité d’un dénouement. Si les proches de Saad Hariri reprochent à Michel Aoun d’essayer d’« imposer » une répartition de portefeuilles et des ministres, contrairement aux dispositions de la Constitution qui stipule que le Premier ministre forme le gouvernement en accord avec le chef de l’État, dans les milieux de la présidence, on indique que ce texte ne prête à aucune équivoque et fait du président « un partenaire » dans la mise en place d’un cabinet.
Michel Aoun, indique-t-on de mêmes sources, n’est pas hostile à une rencontre avec Saad Hariri, telle qu’elle lui a été proposée par le maître de Bkerké. « Le problème ne se pose pas à ce niveau, mais au niveau de savoir s’il existe ou non une volonté de former un gouvernement », affirme-t-on de mêmes sources, en expliquant que l’initiative du patriarche doit faire l’objet d’« une évaluation ». À traduire par une volonté d’attendre des propositions concrètes du Premier ministre désigné à qui Baabda reproche principalement de « ne pas tenir compte du point de vue du président de la République ». Dans les milieux proches de Michel Aoun, on insiste sur le fait que ce dernier est pour « un gouvernement équilibré en fonction d’une formule ministérielle qui lui permettra de gouverner et d’être couvert au plan politique ». Sur cette base, il reste attaché, ajoute-t-on de mêmes sources, à des critères unifiés pour le choix des ministres et la répartition communautaire des portefeuilles. C’est ce qui explique, toujours selon les mêmes sources, le conflit autour des deux ministères de la Justice et de l’Intérieur. Baabda déplore un déséquilibre au niveau de la répartition communautaire des portefeuilles, dans une claire allusion à ceux notamment de l’Intérieur et de la Justice. À ce sujet, on apprenait en soirée de sources proches de Bkerké qu’une solution serait en cours d’étude et consiste à ce que Saad Hariri nomme à la Justice une personnalité qui soit agréée par Michel Aoun et vice versa pour l’Intérieur.
Avec le retour hier à l’aube du Premier ministre désigné Saad Hariri, au terme de vacances familiales passées à l’étranger, et la visite matinale du président Michel Aoun à Baabda, la machine politique devrait se remettre en marche, même si l’espoir qu’un nouveau gouvernement voie le jour dans les délais les plus brefs reste minime. Rien ne semble en effet moins sûr, compte...
commentaires (7)
Le Taxi,: Tout ça me ramène au jour où je voulais aller au cinéma et, pour choisir le "service" à prendre, j'hésitait entre la Mercedes 180 rouge ou la grise... J'ai loupé les deux et bien d'autres... et finis par me faire raconter l'histoire du film par un ami qui, lui, l'a vu pour n'avoir pas eu le dilemme des taxis... La formation de notre gouvernement se perd dans des futilités et l'on perdra l'histoire et l'histoire nous maudira!
Wlek Sanferlou
01 h 02, le 09 janvier 2021