Pour relancer les tractations gouvernementales, le patriarche maronite, Béchara Raï, est entré de plain-pied dans le processus, non pour s’imposer en tant que partenaire à part entière, mais pour tenter de rectifier le tir. C’est ce que le patriarche Raï aurait signifié au leader du CPL, Gebran Bassil, qu’il a reçu hier à Bkerké, deux jours après son entretien avec le Premier ministre désigné, Saad Hariri.
Une source informée contactée par L’Orient-Le Jour croit savoir que la rencontre Raï-Bassil s’est déroulée dans une atmosphère tendue. Et pour cause : face à l’insistance du prélat pour que tous les obstacles entravant la naissance du cabinet soient levés le plus rapidement possible, Gebran Bassil aurait réitéré sa position selon laquelle « des critères unifiés » doivent être respectés lors de la formation du cabinet. Il aurait ainsi rappelé que plusieurs partis politiques, notamment le tandem chiite, nomment leurs ministrables, estimant que cela devrait s’appliquer aux chrétiens aussi.
Mais le patriarche aurait alors rétorqué qu’il ne pouvait plus rester les bras croisés face aux atermoiements et au retard que mettent les partis politiques pour former le futur cabinet. Une nouvelle diatribe de la part du patriarche contre les protagonistes politiques est à attendre dans le cadre du message de Noël qu’il devrait adresser prochainement aux Libanais.
Il reste que, dans le but de rester loin des querelles relevant de la politique politicienne, le prélat maronite a pris soin de converger avec Gebran Bassil sur des généralités, dont la nécessité de préserver le partenariat islamo-chrétien et de respecter la Constitution, notamment pour ce qui est du rôle du président de la République en matière de formation du gouvernement.
« Le tiers de blocage est inutile »
La rencontre Raï-Bassil est intervenue quelques heures après une longue réunion entre le chef de l’État, Michel Aoun, et Mgr Raï. Une source informée indique que le président de la République aurait invité le patriarche à s’entretenir avec M. Bassil, d’où la visite éclair de ce dernier à Bkerké. Des informations que Baabda ne commente naturellement pas.
Quoi qu’il en soit, les entretiens de Béchara Raï avec M. Aoun et M. Bassil revêt quand même une importance politique certaine. À l’heure où la querelle ministérielle entre Baabda et le CPL, d’une part, et le Premier ministre désigné, Saad Hariri, de l’autre, bat son plein, le patriarche s’invite dans le processus et, de ce fait, retire aux aounistes plusieurs arguments relevant du fameux slogan des « droits des chrétiens » brandis par le CPL depuis 2005.
« Quelles que soient les circonstances, il est essentiel que le président Aoun et le Premier ministre désigné parviennent à un accord dans leurs tractations », a estimé le chef de l’Église maronite à l’issue de l’entretien à Baabda, insistant sur le respect de la Constitution en matière de formation du cabinet. « Les textes constitutionnels stipulent que le Premier ministre désigné prépare une mouture de son gouvernement et en discute avec le président de la République », a rappelé Béchara Raï. Il s’agit d’une autre flèche décochée en direction de la présidence et du CPL, dans la mesure où le patriarche juge ainsi normal que le Premier ministre désigné vienne à Baabda avec une liste de noms et la soumet à l’approbation du chef de l’État. Le camp aouniste s’était au contraire plaint du fait que M. Hariri ait choisi tous les ministrables, y compris les chrétiens, sans concertations préalables avec le président Aoun, ni avec le leader du CPL, Gebran Bassil, en sa qualité de chef du plus large groupe parlementaire chrétien. Pour la présidence et le courant aouniste, cette démarche de Saad Hariri va à l’encontre de la Constitution et constitue une flagrante atteinte aux droits des chrétiens.
Outre la représentativité des chrétiens, M. Hariri et le tandem Baabda-CPL divergent aussi sur la question du tiers de blocage. À l’instar du Premier ministre, le chef de l’Église maronite est hostile à ce qu’il soit accordé à une partie bien déterminée, d’autant qu’il convient de former un cabinet de spécialistes indépendants des partis politiques. « Le président Aoun ne semble pas insister à obtenir le tiers de blocage », a déclaré Mgr Raï, rappelant que cette notion n’existe ni dans Taëf ni dans la Constitution. « Le tiers de blocage est inutile », a-t-il martelé.
En dépit des messages politiques forts que Béchara Raï a adressés à Michel Aoun, un proche collaborateur du président, contacté par L’OLJ, s’efforce d’assurer que l’atmosphère de la rencontre était « positive », soulignant que le patriarche ne mène aucune médiation entre Baabda et la Maison du Centre.
Même son de cloche du côté de Bkerké où l’on souligne que le patriarche ne conduit pas une initiative politique dans le plein sens du terme. « Ce qui lui importe, c’est d’en finir avec l’impasse actuelle », affirme une source proche du patriarcat, précisant que le patriarche poursuivra de près les développements à ce niveau, sans en détailler les modalités.
commentaires (18)
Ne nous leurrons pas. Bassil et son beau-père ne font qu’obéir les ordres du parti de dieu. Croit-on vraiment que M. Bassil croulant sous les sanctions aurait une quelconque marge de manœuvre? Le Grand Marionnettiste contrôle le tout de sa caverne sous terre.
Michael
18 h 57, le 19 décembre 2020