Michel de Chadarévian, l’un des membres de la première garde du Courant patriotique libre (CPL) et sa principale figure diplomatique, a claqué la porte du parti (voir par ailleurs). Annoncée au chef du CPL Gebran Bassil jeudi soir, la démission de cet énième responsable aouniste, qui survient à un moment charnière de la crise libanaise, pourrait préluder à des démissions en cascade. Et risque paradoxalement de provoquer une accentuation de la tendance autoritaire qui se manifeste au niveau du commandement du parti depuis un certain temps.
Et pour cause : la démission de Michel de Chadarévian ne peut être entendue comme le simple départ d’un membre éminent du parti. C’est tout un symbole du passé aouniste qui s’effrite avec son désistement, ainsi qu’une culture partisane forgée à l’éthique et aux principes. C’est d’ailleurs l’une des raisons principales qui ont poussé cet ancien compagnon de Michel Aoun à renoncer à sa tâche qui n’est plus en symbiose avec la cause qu’il s’était engagé à défendre, comme il dit.
Dans sa lettre de démission largement partagée hier sur les réseaux sociaux, M. de Chadarévian explique qu’il lui est devenu désormais impossible de défendre la cause aouniste « à l’ombre des contradictions, des égarements et des intérêts personnels ». Une pique qui semble directement adressée au chef du CPL, même s’il cherche à éviter de faire de sa démission une affaire personnelle et encore moins un coup de gueule ciblant particulièrement Gebran Bassil.
Aux côtés de Michel Aoun depuis 1988, Michel de Chadarévian avait quasiment contribué à la fondation du CPL, et s’est longtemps imprégné des principes de souveraineté et de laïcité jadis prônés par le parti. Des valeurs qui, pour beaucoup, ont été foulées aux pieds depuis que le directoire du parti les a troquées contre une course « sans foi ni loi », diront des adversaires des aounistes, pour le pouvoir.
Chargé depuis 2005 des relations auprès des chancelleries étrangères, ce cadre du CPL avait établi un réseau de relations solides auprès des ambassadeurs qui lui vouaient un grand respect. C’est surtout devant ses interlocuteurs étrangers – devenus extrêmement critiques par rapport au mandat aouniste – que M. de Chadarévian avoue aujourd’hui son impuissance à défendre l’image ternie de son parti et l’apathie du sexennat alors que le pays va à la dérive.
Un CPL en perte de vitesse
En rendant son tablier, Michel de Chadarévian grossit les rangs des dissidents aounistes que l’on estime aujourd’hui à plus d’une centaine. Sa démission ne devrait pas manquer d’affaiblir un parti en perte de vitesse depuis la révolution d’octobre et la catastrophe de la double explosion du port du 4 août.
Le départ du responsable aouniste sera-t-il pour autant le prélude à une cascade de démissions qui achèveront d’éroder un parti déjà vacillant ? Possible. À moins que le chef du CPL ne choisisse d’accentuer encore plus la tendance autocratique que prend le parti depuis que les contestataires se sont multipliés au sein de la principale formation chrétienne.
Contesté au sein de son propre bloc parlementaire – qui comptait 29 députés à l’issue des élections législatives de 2018 –, Gebran Bassil a dû faire face à plusieurs défections et à de nombreux schismes qui ont fragilisé l’assise du CPL au cours de ces dernières années. Plusieurs députés se sont éloignés du bloc : c’est le cas notamment de Michel Moawad, Nehmat Frem et Michel Daher qui ont suivi les traces d’un autre gendre du président, Chamel Roukoz, très en froid avec le chef du CPL.
Une percée
Simple coïncidence ou parfait timing, c’est aujourd’hui que se tiendra la réunion élargie du groupe de dissidents aounistes auxquels se joindra Michel de Chadarévian ainsi que plusieurs anciens officiers de l’armée jadis proches de Michel Aoun. Ils seront rejoints par une pléthore de personnalités indépendantes d’horizons politiques divers et de participants résidant dans des pays de la diaspora comme la France, les États-Unis, le Canada et l’Australie.
« C’est un premier rassemblement en vue de la constitution d’un véritable front de l’opposition dépassant le simple cadre des anciens aounistes », explique Antoine Nasrallah, un ancien cadre du CPL qui a quitté les rangs du parti il y a quelques années. Il s’agit, enchaîne Naïm Aoun, un autre dissident, d’effectuer une véritable percée en préparant une stratégie et un plan d’action en amont des échéances à venir, notamment les prochaines législatives.
Selon M. de Chadarévian, le timing de la démission, dont la direction du parti était au courant depuis un certain temps, n’a absolument rien à voir avec cet événement. Il viendra partager avec les participants les informations qui sont en sa possession et qu’il a recueillies dans le cadre de ses rencontres avec les diplomates. « Malheureusement, c’est l’envers du décor que j’aurais à décrire aujourd’hui : je suis au courant de choses graves que les autres ne savent pas. Pour faire court, le pays va à sa perte », dit-il.
Outre une condamnation de l’orientation politique que prend le CPL sous la direction de Gebran Bassil, ces frondeurs ont également un autre un point en commun : la contestation de l’alliance du CPL avec le Hezbollah. Selon notre chroniqueur politique Mounir Rabih, c’est un lobby chrétien qui est en train de se constituer pour contrer cette alliance aux conséquences que certains estiment néfastes pour le Liban. C’est en ces termes que Michel de Chadarévian exprimera ce point de vue : « Le Liban est le seul pays au monde où les collaborateurs sont toujours en fonctions après le départ des occupants. » Les occupants, ce sont les Syriens qui ont plié bagage en avril 2005. Les collaborateurs, ce sont, dit-il, non seulement le Hezbollah et Amal, mais quasiment tous ceux qui se pliés devant les Syriens à un moment ou un autre, y compris le chef du PSP, Walid Joumblatt, le courant du Futur et, plus récemment, le CPL.
« Je ne peux plus défendre le CPL »
« Je n’ai plus aucun argument en main pour défendre la politique de mon parti. » C’est par cette phrase lapidaire que Michel de Chadarévian, responsable des relations diplomatiques au sein du Courant patriotique libre (CPL), a motivé sa démission du parti dans un communiqué largement partagé sur les réseaux sociaux.
Dans un entretien express accordé à L’OLJ, il explique pourquoi il a pris cette décision majeure. « Ce n’est pas une démission qui est dirigée contre Gebran Bassil, mais contre toute la politique suivie par le parti. Étant l’interface du CPL auprès des diplomates, je n’arrive plus à le défendre dans la conjoncture internationale actuelle qui n’est plus favorable au Liban », avance l’ancien responsable aouniste.
Il tire la sonnette d’alarme face à une situation qui, estime-t-il, n’a jamais été aussi dangereuse pour le Liban. « Nous sommes parvenus à une phase qui est pire que celle qui avait prévalu durant la guerre civile, juge l’ancien cadre du CPL. À l’époque, on pouvait aller se réfugier au deuxième sous-sol pour échapper aux obus. Aujourd’hui, même si l’on se cache au sixième sous-sol, on sera frappé de plein fouet par la détresse économique rampante. »
M. de Chadarévian reproche au CPL sa politique de l’autruche alors que les accusations pleuvent sur lui. « Tout le monde accuse aujourd’hui le parti, à tort ou à raison, d’entraver la formation du gouvernement. Or, celui-ci ne fait rien pour mettre un terme à ces accusations », fait-il valoir, laissant entendre que, quelque part, celles-ci sont justifiées. L’ancien responsable aouniste plaide ainsi pour un gouvernement apolitique, arguant du fait que par les temps qui courent et face aux catastrophes qui s’enchaînent, il est temps de changer la façon de faire.
« Nous avons besoin d’un gouvernement de technocrates pour nous sortir du gouffre, même si celui qui va le former est lui-même un politique », soutient-il en allusion au Premier ministre désigné Saad Hariri. M. de Chadarévian tient toutefois à signaler que son action n’est pas un coup de gueule contre son seul parti et ses dysfonctionnements, mais un message qu’il espère également faire parvenir à l’ensemble des partis politiques en charge, qui sont, selon lui, tous aussi responsables de la décrépitude. « J’ai fait mon autocritique et j’ai décidé de rendre le tablier. J’espère que les autres en feront autant », dit-il.
commentaires (10)
Claquer la porte n'est plus suffisant avec la situation du pays! À tous ces internes dorénavant externe : quel est vôtre plan pour nous aider à sortir de cette crise et ce bourbier!?
Wlek Sanferlou
20 h 52, le 19 décembre 2020