Après une période relativement calme au plan politique, la scène locale a été subitement bouleversée par deux événements qui risquent de prolonger le blocage gouvernemental. Le premier s’exprime par la contre-proposition du président Michel Aoun à la mouture gouvernementale que lui a présentée mercredi le Premier ministre désigné Saad Hariri. Le second se rapporte à l’ouverture de plusieurs dossiers judiciaires en même temps, touchant directement des personnalités politiques et militaires de haut rang – du jamais-vu au Liban – mais dans un contexte de crise politique qui menace de s’envenimer au vu des accusations qui commencent à fuser sur des velléités de règlements de comptes, attribués notamment au camp du président de la République.
Sur le plan gouvernemental, on reste dans l’attente de la réponse que Michel Aoun va apporter à la mouture de Saad Hariri et vice-versa. Les deux hommes réussiront-ils à se retrouver à mi-chemin pour que le Liban soit enfin doté d’un gouvernement ? Rien n’est moins sûr, si l’on tient compte, entre autres, des propos attribués à l’ambassadrice des États-Unis Dorothy Shea, hier à Tripoli. Mme Shea, qui était reçue à la Chambre de commerce et d’industrie du Liban-Nord, aurait répondu par la négative à la question d’un homme d’affaires qui l’interrogeait sur le point de savoir si la crise gouvernementale sera réglée de sitôt.
À l’origine de ce blocage, la mésentente qui persiste entre le bloc Aoun (Baabda + Courant patriotique libre de Gebran Bassil) et Saad Hariri sur la répartition des portefeuilles entre les parties politiques de la majorité. Le président et son gendre restent attachés à la minorité de blocage qu’ils veulent avoir au sein du nouveau gouvernement, ce que le chef du courant du Futur n’a pas l’intention de leur concéder. Chat échaudé craint l’eau froide. Saad Hariri qui a vu son gouvernement d’union nationale tomber en 2011, alors qu’il était en visite à Washington, après la démission de 11 ministres, n’est pas près de prendre de nouveau le risque de se mettre à la merci d’une quelconque majorité. À l’époque, c’était le Hezbollah qui, sur fond de querelle autour du Tribunal international pour le Liban (TSL), avait précipité la chute du gouvernement Hariri. Le ministre roi chiite de l’époque, Adnane el-Sayyed Hussein, qui était considéré proche du président Michel Sleiman, avait assuré au parti de Hassan Nasrallah et au CPL le tiers dont ils avaient besoin pour faire tomber le gouvernement.
Le Premier ministre désigné s’accroche ainsi à la formule des 6+6+6 qu’il a présentée mercredi au chef de l’État : six ministres chrétiens au CPL dont un représentant le Tachnag, six autres au Hezbollah, Amal, les Marada et le PSNS et six au courant du Futur et au PSP. Dans une volonté de retirer au bloc Aoun tout prétexte pour lui reprocher de suivre une politique de deux poids deux mesures, Saad Hariri avait établi deux listes complètes comprenant l’une les noms et les CV de candidats indépendants et non partisans sans se concerter au préalable avec les partis politiques, le Hezbollah et Amal inclus. La seconde ne comporte pas de noms. Le CPL lui reprochait principalement d’avoir accepté que le tandem chiite nomme ses ministres et de refuser d’accorder ce « droit » aux autres partis.
Quant à la formule présentée par Baabda, elle se limite à la répartition des portefeuilles ministériels de manière à faire bénéficier la majorité de la minorité de blocage. Dans les milieux proches de la Maison du Centre où l’on a vu dans cette initiative une atteinte aux prérogatives de la présidence du Conseil, on redoute que cette affaire ne prenne une dimension communautaire. L’ancien ministre Ziyad Baroud en minimise cependant l’importance en expliquant que ce que Michel Aoun a fait « s’inscrit au cœur même de la Constitution » à partir du moment où le décret de formation du gouvernement est cosigné par les présidents de la République et du Conseil, selon lui. Le document qu’il a présenté n’a aucun effet contraignant et devrait être vu sous le seul angle des concertations au sujet du gouvernement, insiste-t-on dans les milieux de Baabda, où l’on explique qu’il s’agit d’une proposition sans noms de candidats et sans spécification des portefeuilles. À la Maison du Centre, on persiste et signe : Saad Hariri attend une réponse de Michel Aoun à ses moutures. Une façon d’expliquer qu’il reste hostile à un compromis sur les objectifs qu’il s’est fixés.
commentaires (7)
"... la formule des 6+6+6 ..." - Yikes! Le chiffre du démon. C’est mal barré tout ça...
Gros Gnon
12 h 08, le 11 décembre 2020