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Société - Éclairage

Au Liban, les universités privées en mode survie

La fuite des cerveaux inquiète les institutions universitaires privées, qui multiplient les mesures pour garder leurs étudiants et leurs professeurs.

Au Liban, les universités privées en mode survie

L’Université libano-américaine (LAU), campus de Beyrouth, en temps de Covid-19. Photo LAU

Trois jours après la double explosion du 4 août, Sasha S. quitte le Liban en trombe, sous la pression de sa mère inquiète pour sa sécurité et son avenir. Elle terminait sa première année d’études en santé environnementale et génie civil à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), quand la double explosion du port a « tout chambardé ». Installée dans un 18 m2 à Strasbourg où elle a repris des études de sciences de la vie, elle saisit « l’opportunité » que lui ont donnée ses parents. Et si la solitude lui pèse et qu’elle cherche encore sa voie, elle assure « ne rien regretter », car « à Beyrouth, les professeurs universitaires émigrent les uns après les autres. Et le niveau de l’enseignement supérieur risque de s’en ressentir ».

Des étudiants qui partent parce que le pays devient invivable. Des frais de scolarité universitaires qui ne valent plus grand-chose depuis l’effondrement record de la livre libanaise. Des professeurs sous-payés en quête d’horizons plus cléments. Au Liban, l’université privée est en crise et lutte pour sa survie. Plombée par la débâcle sans précédent du pays, politique, sociale, économique et financière. Gangrenée par la paupérisation de la société libanaise. Freinée dans son développement par des considérations de clientélisme politique. Affaiblie par les fermetures à répétition découlant du soulèvement populaire du 17 octobre 2019. Terrassée par la pandémie de Covid-19 et les failles de l’enseignement à distance. Achevée par la tragique double explosion du port de Beyrouth, le 4 août dernier, qui a détruit une grande partie de la capitale et l’espoir d’une jeunesse meurtrie.

« Je ne voulais pas aller à L’UL »

Comme Sasha, nombre d’étudiants ont jeté l’éponge pour recommencer à zéro à l’étranger. Maroun S. travaillait dans l’hôtellerie à Beyrouth pour financer ses cours en sciences de l’informatique à l’Université Saint-Joseph. Lorsqu’il a perdu son emploi à cause de la crise et du Covid-19, il avait le choix d’aller à l’Université libanaise, la seule université publique du pays, ou de partir en France. Accepté en sciences informatiques à l’Université de Poitiers, il n’a pas hésité, malgré une situation pécuniaire difficile. « Je ne voulais pas aller à l’UL et ne pouvais pas compter sur l’aide de mes parents », confie-t-il. La double explosion du 4 août a achevé de le convaincre. Contraint de reprendre sa première année par manque d’équivalence, le jeune homme se dit confiant depuis qu’il a trouvé un job. « J’ai perdu un an, certes, mais ma vie est organisée et je me sens respecté », dit-il. Avec, en bonus, la perspective d’avenir qui lui manquait cruellement au Liban. Et même si certains rêvent de rentrer un jour au pays diplôme en poche pour contribuer à sa reconstruction, les études à l’étranger sont une opportunité de sortir de la spirale infernale dans laquelle est enfermée la population libanaise. « La réalité est immuable au Liban. Nous vivons les mêmes problèmes en boucle sans espoir d’en sortir », commente Michel, qui suit une formation en ingénierie aérospatiale à Toulouse, en codiplomation avec l’École supérieure d’ingénieurs de Beyrouth (ESIB).

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« Malgré les difficultés financières, l’AUB est là pour rester »


Dans un pays en crise, il est normal que l’université souffre aussi. Mais les chiffres n’en restent pas moins éloquents. À l’Université américaine de Beyrouth, qui reçoit nombre d’étudiants régionaux et internationaux, près du quart des nouveaux élèves ont fait défection en ce premier semestre de l’année 2020-2021. « Nous avons constaté une baisse de 20 à 25 % du nombre de nouveaux étudiants. Nous en avions 2 100 l’année dernière, nous n’en comptons plus que 1 600 ce semestre pour un total de 8 300 étudiants et 800 de moins que l’année passée », indique à L’Orient-Le Jour le doyen des affaires estudiantines de l’AUB, Talal Nizameddin, qui soutient que la situation est semblable dans l’ensemble des universités privées du pays. « Les étudiants sont partis dans les pays du Golfe où résident leurs familles, aux États-Unis, au Canada, en France, au Royaume-Uni, où ils bénéficient de conditions intéressantes », précise-t-il. L’université la mieux cotée du pays fait donc face chaque semaine « à des demandes de transfert de dossier » d’étudiants aisés qui partent à l’étranger poursuivre leurs études. Les chiffres de l’ambassade de France viennent corroborer ces propos. En cette année 2020-2021, près de 6 600 étudiants libanais (qui ne disposent pas de la double nationalité) poursuivent leurs études en France, contre 5 665 l’année précédente. Parmi eux, 45 % en master, 35 % en doctorat, 20 % en licence.

« J’espérais obtenir une aide financière »

Parents au chômage, dépréciation de la monnaie nationale, perte de leurs jobs… Une autre catégorie d’étudiants souffre grandement de la crise, particulièrement ceux de la classe moyenne. Ils tentent de s’accrocher dans l’espoir que les frais universitaires, maintenus pour l’instant à 1 515 LL environ le dollar, restent inchangés. Mais déjà, l’AUB a annoncé un dollar à 3 900 LL dès le prochain semestre, suivie hier par la Lebanese American University (LAU). Les abandons se multiplient, parfois en plein cursus. Les rêves de spécialisation tombent à l’eau. Ou se limitent au minimum requis. On prend alors le chemin de l’Université libanaise sans grand enthousiasme ou d’une université privée de moindre importance. « J’ai fait des pieds et des mains pour être admis à l’Université arabe, raconte Issam. J’espérais obtenir une aide financière pour payer mes études. J’ai finalement dû me résoudre à m’inscrire à l’Université libanaise en première année de sciences économiques parce que je ne pouvais fournir aucun apport personnel, mon père ayant perdu son emploi. » Pour le professeur universitaire Adnane el-Amine, chercheur dans le domaine éducatif, « nous assisterons plus à des migrations entre les universités privées les plus chères et les moins chères qu’à des départs vers l’UL ». Mis en cause, « le manque de confiance dans le secteur public, sans parler de l’extrême sélectivité des filières à concours ».

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« Ils veulent transformer l’AUB en un lieu élitiste »

« Plusieurs étudiants en spécialisation dentaire (sixième année) ont laissé tomber leur cursus sans explication, déplore de son côté le doyen de la faculté de médecine dentaire de l’Université Saint-Joseph (USJ), Joseph Makhzoumé. Seul l’un d’entre eux a avoué qu’il n’avait plus les moyens financiers de poursuivre ses études. Les autres, nous ne connaissons pas leur plan B. » À l’USJ, qui comptait quelque 10 000 étudiants en 2019-2020, le recteur Salim Daccache ne peut que constater « la baisse sensible » du nombre d’étudiants. « Il ne s’agit pas de transferts de masse vers d’autres institutions, plutôt d’interruptions d’études ou de départs pour l’étranger », dit-il, sans révéler l’ampleur du problème. « Les défections ont touché les niveaux master principalement, analyse le père recteur. Licence en poche, les étudiants arrêtent leurs études pour des raisons économiques, soucieux de n’être plus un poids pour leurs parents. Mais nombre d’entre eux ont bénéficié de bourses d’études qui leur permettent de poursuivre leur spécialisation, en France notamment. » Quoi qu’il en soit, le père Daccache tient à relativiser : « Le monde universitaire est assez mouvant, contrairement au monde scolaire. Aux États-Unis, chaque année, 15 à 20 % d’étudiants changent d’université. »

Bourses d’études et d’excellence, contrats de prêts…

Le constat est pourtant le même partout. Avec « 6 160 étudiants en ce premier semestre, contre 6 789 l’année dernière », « l’Université Saint-Esprit de Kaslik fait face, comme tous les autres établissements universitaires, à une situation financière très délicate, confirmée par la situation générale du pays et par la pandémie », répond par courriel Céline Baaklini, prorecteure aux affaires estudiantines de l’université. La responsable explique cette « très légère régression » du nombre d’étudiants inscrits ce semestre par le fait que certains ont interrompu leurs études au sein de l’établissement pour les poursuivre à l’UL ou à l’étranger. Et si l’Université libano-américaine (LAU) ne présente pas de défections, mais un nombre stable de 8 174 étudiants avec une légère augmentation des nouveaux entrants, c’est parce qu’elle a remarquablement augmenté le montant des aides financières. « Ces aides sont passées de 35 à 50 millions de dollars américains, et 60 % de nos étudiants en bénéficient », révèle le président de l’institution, le Dr Michel Mawad. Une mesure que toutes les universités contactées ont également adoptée, chacune selon ses possibilités, multipliant les bourses sociales et d’excellence, de même que les contrats de prêts, pour garder leurs étudiants. Sans oublier qu’avec un dollar à 1 515 LL (pour l’instant et hors AUB et LAU donc), les étudiants gagnent largement au change. « Même l’AUB, dont les étudiants viennent généralement d’un milieu socio-économique relativement aisé, doit aujourd’hui soutenir la moitié de ses étudiants », révèle Talal Nizameddin. « L’éducation est notre vocation. Nous sommes des institutions d’utilité publique à but non lucratif. Il est donc de notre devoir d’être à l’écoute des étudiants en ces temps de crise, renchérit le père Salim Daccache, qui assure que ces efforts ont porté leurs fruits. D’une part, le taux de recouvrement des scolarités du premier semestre a atteint un taux respectable qui nous permet de poursuivre notre mission. D’autre part, le nombre de nouveaux inscrits en première année a dépassé celui des années précédentes. »

Pour mémoire

Lorsque la crise menace les études des jeunes Libanais

Il n’en reste pas moins que les deux prochaines années seront déterminantes pour l’université privée qui joue sa survie. « Nous parlons d’une, voire de deux années de sauvetage », estime Michel Mawad, qui ne cache pas son inquiétude. « Sauvetage de la mission de l’université privée, de ses étudiants dont le niveau de vie a périclité, de ses cerveaux (les enseignants) qui émigrent en masse pour fuir une situation économique désespérée et que nous tentons de retenir en leur versant une partie du salaire en devises “fraîches” », observe-t-il.

Ce qui n’est pas pour rassurer, c’est que tôt ou tard, les onze grandes institutions universitaires privées (à but non lucratif), qui se concertent généralement avant de prendre une importante décision en ces temps difficiles, pourraient toutes prendre la décision d’augmenter les frais de scolarité ou de libérer le taux de change, comme l’ont déjà fait l’AUB et la LAU.

À son tour, la LAU indexera les scolarités au taux de 3 900 livres pour un dollar

Au lendemain et à l’instar de l’AUB, la Lebanese American University (LAU) a annoncé hier à ses étudiants qu’elle indexera désormais ses frais de scolarité au taux de 3 900 livres pour un dollar (le taux employé dans les banques), au lieu de 1 500 livres (le taux officiel), comme cela était le cas jusque-là. L’Orient-Le Jour a pu vérifier, auprès d’une source de la LAU, que les scolarités en dollars resteront inchangées, mais qu’elles seront comptabilisées en livres libanaises suivant le nouveau taux de change adopté. Toutefois, toujours selon cette source, afin que les étudiants en difficulté ne ressentent pas trop cette différence de prix, l’université a décidé d’augmenter le budget des aides de presque 25 millions de dollars, soulignant que 65 % des étudiants à la LAU bénéficient d’une forme d’aide. D’ailleurs, les étudiants boursiers ont reçu un mail leur assurant que les aides qui leur seront versées seront réajustées sur la base de leur situation financière actuelle et du taux de change récemment révisé.

Ces assurances n’ont pas suffi à calmer les esprits. Ainsi, sur les réseaux sociaux, les comptes de groupes d’étudiants de la LAU grouillaient de protestations et d’appels à des manifestations. Sur une page Instagram, le conseil estudiantin de l’université se plaint de ne pas avoir été impliqué dans les discussions qui ont mené à cette décision, assurant que « les étudiants ne pourront pas payer leurs frais d’inscription à un taux de change supérieur » au taux de 1 500 LL/dollar. Un rassemblement pourrait avoir lieu aujourd’hui devant le campus de Beyrouth, selon des sources estudiantines.

Trois jours après la double explosion du 4 août, Sasha S. quitte le Liban en trombe, sous la pression de sa mère inquiète pour sa sécurité et son avenir. Elle terminait sa première année d’études en santé environnementale et génie civil à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), quand la double explosion du port a « tout chambardé ». Installée dans un 18 m2 à...

commentaires (3)

Voilà comment Aoun et sa clique ont défendu les libanais chrétiens pour lesquels ils se sont auto proclamés représentants avec leur parti fort qui a renforcé le pouvoir des ennemis de la nation et du peuple en général. Ils se retrouvent piégés par leur alliés d’hier qui les ont encouragé à piller avec eux et instaurer un régime autocrate pour mieux les combattre et les évincer le moment venu. Mais malheureusement ils ne seront pas les seuls à payer leurs erreurs monumentales ils ont entraîné le pays et les citoyens dans leur descente en enfer à cause de leur stupide cupidité et leur incompétence. Ils se renvoient la patate chaude du jugement des uns et des autres en s’accusant mutuellement et en criant leur innocence alors qu’ils connaissent tous les détails et les montants des sommes volées dans chaque ministère et banque et bien dissimulées dans des comptes à l’étranger. L’heure de tous ces fossoyeurs est proche. Bientôt ils seront dans la situation que ces libanais délaissés et meurtris sans qu’aucune aide ni pitié ne leur soit accordées et ce ne sera que justice.

Sissi zayyat

14 h 22, le 10 décembre 2020

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Commentaires (3)

  • Voilà comment Aoun et sa clique ont défendu les libanais chrétiens pour lesquels ils se sont auto proclamés représentants avec leur parti fort qui a renforcé le pouvoir des ennemis de la nation et du peuple en général. Ils se retrouvent piégés par leur alliés d’hier qui les ont encouragé à piller avec eux et instaurer un régime autocrate pour mieux les combattre et les évincer le moment venu. Mais malheureusement ils ne seront pas les seuls à payer leurs erreurs monumentales ils ont entraîné le pays et les citoyens dans leur descente en enfer à cause de leur stupide cupidité et leur incompétence. Ils se renvoient la patate chaude du jugement des uns et des autres en s’accusant mutuellement et en criant leur innocence alors qu’ils connaissent tous les détails et les montants des sommes volées dans chaque ministère et banque et bien dissimulées dans des comptes à l’étranger. L’heure de tous ces fossoyeurs est proche. Bientôt ils seront dans la situation que ces libanais délaissés et meurtris sans qu’aucune aide ni pitié ne leur soit accordées et ce ne sera que justice.

    Sissi zayyat

    14 h 22, le 10 décembre 2020

  • École, universités, hôpitaux. C'est la France et le Canada qui profiteront désormais du talent et de la niaque des libanais. Comment détruire 150 ans d'excellence en une année... Votre alternative ? Des gros huileux qui confondent Marie Antoinette d'Autriche et Marie Rose d'Achrafieh, des petits véreux qui font des affaires sur le dos des libanais. Mais votre règne touche à sa fin. Bientôt nous irons danser sur vos tombes.

    B Malek

    09 h 08, le 10 décembre 2020

  • L’opération de destruction systématique de toutes les institutions du pays continue lentement mais sûrement son œuvre. Son principal but est de pousser en priorité la jeunesse du pays, notamment de la société chrétienne, d’émigrer définitivement. Vive le régime fort, vive le parti politique auto chargé de défendre les intérêts des chrétiens ...

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 00, le 10 décembre 2020

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