Touchés de plein fouet par la crise économique qui frappe le Liban, nombreux sont les étudiants qui, inscrits dans une université privée, appréhendent la rentrée avec ce qu’elle implique de frais de scolarité à régler. Si beaucoup projettent de poursuivre leurs études, bénéficiant du soutien de leurs universités, certains bacheliers ont pris la décision difficile de ne pas débuter leur formation de premier cycle à la prochaine rentrée académique. Les jeunes interrogés justifient globalement cette décision mûrement réfléchie en évoquant l’impasse financière dans laquelle se trouvent leurs parents, le manque d’orientation académique en classe de terminale, le fait de devoir suivre des études en ligne – et ce très probablement sur l’ensemble de l’année –
et la difficulté à pouvoir quitter le Liban pour suivre des études supérieures à l’étranger.
Projets en suspens
« Mes parents ont payé des frais de scolarité exorbitants pour permettre à mon frère et à ma sœur d’étudier dans des universités privées au Liban. Aujourd’hui, ces derniers ne rêvent que d’une chose : vivre et travailler à l’étranger. Pour cela, je souhaite faire des études d’audiovisuel en France avec le projet de pouvoir m’y installer définitivement », raconte Karim, qui se dit très déçu de voir à quoi ressemble actuellement le Liban. Ce bachelier de 18 ans prépare des dossiers en vue d’être accepté à la rentrée 2021-2022 dans un des établissements français d’enseignement supérieur. « En attendant d’effectuer toutes les démarches, explique-t-il, je ne suis pas tenté de m’inscrire pour suivre, en septembre, les cours à distance d’une université libanaise. Les études que j’ai choisies reposent davantage sur la pratique, qui ne peut pas vraiment être faite en ligne. Je préfère apprendre grâce aux MOOC (cours d’enseignement diffusés sur Internet), notamment sur l’histoire de l’art, qui sont publiés en ligne gratuitement par des universités prestigieuses et des musées. » Karim souligne qu’avec la pandémie et la crise économique au Liban, étudier à l’étranger s’annonce compliqué pour les jeunes Libanais. « Je préfère patienter un an et ne pas risquer de tomber malade en étant loin des miens, ou pire, me retrouver sans ressources si les banques libanaises continuent d’empêcher les virements faits par les parents. » En attendant, le jeune homme projette de s’initier à l’art du montage et de développer sa culture cinématographique en regardant des films. Il souhaite aussi s’engager dans des associations pour aider les plus démunis et la population affectée par la tragédie qui a frappé Beyrouth au mois d’août.
Maria, 18 ans, ne suivra pas non plus d’études supérieures de psychologie à la rentrée. La jeune fille a longuement réfléchi à intégrer l’Université libanaise (UL), mais son choix est tout autre. « Il n’y a pas de doute que l’UL propose une formation de qualité, cependant j’ai toujours eu l’ambition de pouvoir, comme mes sœurs, étudier dans une université privée », confie la bachelière. Elle préfère donc repousser son inscription afin d’alléger les charges financières pour ses parents qui traversent une situation difficile : « La priorité, c’est qu’ils puissent payer les frais de scolarité de ma sœur qui n’a plus qu’une année pour obtenir son diplôme. » Comme de très nombreux étudiants, Maria pense que les cours en présentiel seront difficiles à mettre en place tout au long de l’année : « Il n’y aura pas de vie sur le campus, pas la possibilité de faire des rencontres intéressantes. Perdre tout ça c’est vraiment dommage quand on vient d’intégrer les bancs de la fac. Je préfère attendre un an. » La jeune fille compte tout de même profiter de cette année sabbatique pour s’instruire en lisant Freud, Dolto ou encore Klein, et préparer ainsi son entrée à l’université.
Manque d’orientation et de motivation
Ayant choisi l’option SE (série économique et sociale) au bac libanais, Charbel, 19 ans, garde un mauvais souvenir de sa dernière année de lycée. « Incertitude, stress et démotivation ont rythmé le quotidien des terminales qui n’ont pas pu préparer leurs programmes. Malgré toute la bonne volonté de nos professeurs, les cours en ligne étaient, à mon avis, très peu constructifs. Pendant la durée du confinement, je n’ai pas fourni d’efforts pour étudier et je suis persuadé que je ne le ferai pas l’an prochain, par manque de motivation », avance le jeune homme, qui projette de suivre des études de management à l’UL, avant de poursuivre : « La question ne se pose même plus : je sais que, pour les années à venir, mes parents n’ont pas les moyens de payer la scolarité dans une université privée. » Si Charbel ne commencera pas sa formation à la rentrée, c’est parce qu’il considère qu’il ne pourra pas vraiment s’impliquer dans ses études. Comme beaucoup, il se dit dérouté. « Après ce qu’il s’est passé dernièrement sur le plan local, je ne suis pas le seul à être démotivé et à avoir du mal à me projeter et à imaginer ce qui attend la jeunesse libanaise. Je ne suis pas séduit par la perspective des cours en ligne dont je garde un mauvais souvenir. De même, les conditions dans lesquelles les étudiants de l’UL ont présenté dernièrement leurs examens m’ont particulièrement choqué », explique-t-il. Une année sans études n’est pas forcément perdue pour Charbel qui va tenter de trouver du travail pour soutenir sa mère, au chômage.
Maya, qui a opté pour le bac option lettres et humanités, pensait s’engager dans des études d’éducation pour devenir enseignante au préscolaire ou au primaire. Mais cette jeune fille de 18 ans est aujourd’hui en proie au doute. « De nombreux établissements scolaires libanais sont au bord de la faillite, et la précarité dans laquelle vivent nombre d’enseignants – qui, malgré leur engagement à assurer des cours en ligne, ont été privés de salaire durant ces derniers mois – m’alarme, confie-t-elle. Je me vois mal travailler dans ces conditions, et je ne sais plus vraiment quelles études supérieures choisir pour exercer un métier me permettant de gagner convenablement ma vie. En terminale, nous n’avons pas véritablement réfléchi à notre insertion professionnelle. » La bachelière craint de se retrouver dans la même situation que sa sœur au chômage depuis presque trois ans, malgré son diplôme en gestion d’une université privée. « En concertation avec mes parents, nous avons décidé ma sœur et moi de travailler avec mon père dans son commerce. Sa santé est de plus en plus fragile et, avec la crise économique, il a dû licencier les deux employés qu’il avait. De toute façon, l’ambiance générale n’est pas propice à l’apprentissage », poursuit Maya. La jeune fille, dont les priorités ont changé, souhaite s’accorder un an pour choisir son orientation professionnelle, formulant le vœu de rejoindre les bancs de l’université une fois que la crise sanitaire sera sous contrôle. Si les jeunes interrogés préfèrent donc clairement attendre un an avant de se lancer dans des études supérieures, ils restent néanmoins déterminés à intégrer l’université, persuadés que l’éducation est la clé d’un avenir meilleur.