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Nos Lecteurs ont la Parole

Devoirs et Intérêts

Les gouvernements successifs ont inventé une morale nouvelle, la morale des intérêts ; celle des devoirs est abandonnée aux imbéciles. Or, cette morale des intérêts, dont on veut faire la base de notre gouvernement, a corrompu le peuple en l’espace d’un quart de siècle. Ce qui fait périr la morale chez les nations et avec la morale les nations elles-mêmes, ce n’est pas la violence, mais la séduction, et par séduction, j’entends ce que toute fausse doctrine a de flatteur et de spécieux. Les hommes prennent souvent l’erreur pour la vérité, par ce que chaque faculté du cœur ou de l’esprit a sa fausse image : la froideur ressemble à la vertu, le raisonner à la raison, le vide à la profondeur, ainsi du reste.

Je ne serais pas étonné de m’entendre répondre : fonder la société sur un devoir, c’est l’élever sur une fiction ; la placer dans un intérêt, c’est l’établir dans une réalité.

Or, c’est précisément le devoir qui est un fait et l’intérêt une fiction. Le devoir qui prend source dans la divinité descend dans la famille, où il établit des relations réelles entre le père et les enfants ; de là passant à la société et se partageant en deux branches, il règle dans l’ordre politique les rapports du gouvernement et du sujet ; il établit l’ordre moral, la chaîne des services et des protections, des bienfaits et de la reconnaissance. C’est donc un fait très positif que le devoir, puisqu’il donne à la société humaine la seule existence durable qu’elle puisse avoir.

L’intérêt au contraire est une action quand il est pris comme on le prend aujourd’hui, dans son sens physique et rigoureux, puisqu’il n’est plus le soir ce qu’il était le matin ; puisque, à chaque instant il change de nature, puisque, fondé sur la fortune, il en a la mobilité.

Par la morale des intérêts, chaque citoyen est en état d’hostilité avec les lois et le gouvernement parce que, dans la société, c’est toujours le grand nombre qui souffre. On ne se bat point pour des idées abstraites d’ordre, de paix, de patrie ; ou si l’on se bat pour elles, c’est qu’on y attache des idées de sacrifices ; alors, on sort de la morale des intérêts pour rentrer dans celle des devoirs, tant il est vrai que l’on ne peut trouver l’existence de la société hors de cette sainte limite.

Qui remplit ses devoirs s’attire l’estime ; qui cède à ses intérêts est peu estimé. Élevez les hommes politiques à ne penser qu’à ce qui les touche, et vous verrez comment ils arrangeront l’État ; vous n’aurez par-là que des ministres corrompus et avides, semblables à des esclaves mutilés qui gouvernaient les laissés-pour-compte et qui vendaient tout, se souvenant d’avoir eux-mêmes été vendus.

Les intérêts ne sont puissants que lors même qu’ils prospèrent ; le temps est-il rigoureux ? Ils s’affaiblissent. Les devoirs, au contraire, ne sont jamais si énergiques que lorsqu’il en coûte à les remplir. Le temps est-il bon ? Ils se relâchent. J’aime un principe de gouvernement qui grandit dans le malheur : cela ressemble beaucoup à la vertu.

Quoi de plus absurde que de crier aux peuples : ne soyez pas dévoués! N’ayez pas d’enthousiasme! Ne songez qu’à vos intérêts. C’est comme si on leur disait : ne venez pas à notre secours, abandonnez-nous si tel est votre intérêt.

Avec cette profonde politique, lorsque l’heure du dévouement arrivera, chacun fermera sa porte, se mettra à la fenêtre et regardera passer la République. Un pays perclus de dettes n’est pas un pays libre. Obligé de négocier à l’étranger les conditions de ses emprunts, il perd sa crédibilité.

Contraint à grever son budget et par le paiement de ses traites, il limite ses capacités d’investissement pour l’avenir. Ceux qui méprisent les préoccupations et les angoisses de nos compatriotes commettent une lourde faute.

Enfin, je crois toujours en la faculté de notre nation à combattre l’adversité et la possibilité de maîtriser la présente situation dans laquelle se battent tous nos concitoyens, et je crois qu’en dépit de tous ces obstacles placés sur notre route, nous avons ensemble un destin commun à construire.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Les gouvernements successifs ont inventé une morale nouvelle, la morale des intérêts ; celle des devoirs est abandonnée aux imbéciles. Or, cette morale des intérêts, dont on veut faire la base de notre gouvernement, a corrompu le peuple en l’espace d’un quart de siècle. Ce qui fait périr la morale chez les nations et avec la morale les nations elles-mêmes, ce n’est pas la...

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