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Politique - Analyse

Le Liban en dehors du « nouveau Moyen-Orient »

De la Méditerranée orientale au golfe Arabo-Persique, la région est en pleine mutation géopolitique et le pays du Cèdre pourrait bien en payer le prix.

Le Liban en dehors du « nouveau Moyen-Orient »

Des combattants du Hezbollah placent des drapeaux libanais et du Hezbollah à Jurd Ersal, à la frontière Syrie-Liban, le 25 juillet 2017. Photo AFP

Le Liban est le centre du monde. Il est l’objet de discussions quotidiennes entre les grands de la planète qui décident, parfois jusque dans les moindres détails, comment doit être administré le pays et se disputent, à la suite de batailles homériques, cette poule aux œufs d’or considérée comme éminemment stratégique par toutes les puissances dignes de ce nom. On exagère ? C’est pourtant, à peu de chose près, ce que l’on écoute dans les salons ou sur la banquette arrière des taxis, toujours très informés sur ce qui se dit derrière les murs du Kremlin, de l’Élysée ou de la Maison-Blanche ; c’est aussi ce qu’on lit parfois, souvent même pour être honnête, dans la presse locale où la géopolitique occupe tellement d’espace que l’on en vient à se demander s’il ne faudrait pas organiser une conférence internationale à chaque fois que le pays veut se doter d’un gouvernement.

Cette vision de la place du pays du Cèdre sur le grand échiquier géopolitique pourrait faire sourire si elle n’était pas de plus en plus décalée par rapport à une réalité beaucoup moins saillante : le Liban n’intéresse plus grand monde. Cela ne veut pas dire que les interférences n’existent pas, mais plutôt que l’enjeu de celles-ci n’est pas le Liban en tant que tel. Aussi bien que le risque aujourd’hui n’est pas tant que le pays soit le théâtre d’un nouveau conflit par procuration, mais qu’il se retrouve complètement, ou presque, isolé sur la scène diplomatique.

L'édito de Issa Goraïeb

Failli ? Et comment !

De la Méditerranée orientale au golfe Arabo-Persique, la région est en pleine mutation géopolitique. De nouvelles alliances se forment, de grands projets de partenariat sont mis sur la table, une nouvelle dynamique s’installe, pour le meilleur ou pour le pire, selon la façon dont on perçoit les choses. Mais à chaque fois sans le Liban, qui se situe pourtant au carrefour entre ces mondes. La région se transforme et le pays du Cèdre pourrait bien en payer le prix.

La normalisation entre Israël et les pays du Golfe, sur le dos des Palestiniens, est en marche et tout va très vite. Les Émirats arabes unis et Bahreïn ont déjà sauté le pas et l’Arabie saoudite pourrait suivre, en témoigne la première visite dimanche de Benjamin Netanyahu en territoire saoudien. Entre Israël et les pétromonarchies sunnites, on est loin de la paix froide. Il s’agit ouvertement de former une nouvelle alliance économique et géopolitique, pour développer des partenariats et lutter contre l’ennemi commun iranien. Aux yeux de ce nouvel axe, le Liban est perçu comme un État paria, aux mains du Hezbollah. Peu importe, pourrait-on penser, tant le pays du Cèdre aurait mille et une raisons légitimes de s’en tenir à l’écart. Mais là où le bât blesse, c’est au moment d’évaluer le coût de cette marginalisation : le Liban risque de perdre sa place de porte d’entrée vers l’Europe qu’il pouvait monnayer auprès des pays du Golfe ; les centaines de milliers de Libanais travaillant dans ces pays pourraient être confrontés à de plus en plus de difficultés et subir la concurrence des Israéliens ; les pays du Golfe n’apporteront aucune aide financière ni même n’investiront au Liban tant qu’ils considéreront que le pays est dirigé par le Hezbollah, et ne parlons pas de la manne touristique ; enfin, en cas de confrontation militaire avec Israël, le Liban ne pourra pas compter, comme en 2006, sur le soutien des pays arabes.

L’histoire se fait sans le Liban

L’enjeu n’est pas tout à fait le même sur le front de la Méditerranée orientale, mais là encore, le Liban est exclu des grandes alliances. Israël, Chypre, la Grèce mais aussi l’Égypte, même si c’est dans une moindre mesure pour cette dernière, sont partenaires dans le projet East Med visant à exporter le gaz de la Méditerranée orientale vers l’Europe. Le Liban aura bien des difficultés à exporter son gaz à un coût concurrentiel – même s’il faut déjà commencer par le trouver ! – sans être membre de ce partenariat, ce qui semble aujourd’hui difficile compte tenu des relations entre Beyrouth et Tel-Aviv. La dynamique qui se joue en Méditerranée orientale est aussi affaire de géopolitique, mais ici l’ennemi commun est… la Turquie. La Grèce et les Émirats arabes unis ont signé récemment un accord de défense militaire, ce qui donne un aperçu plus global de ce qui est en train de se passer : les dynamiques de la Méditerranée orientale et du Golfe se rejoignent avec l’objectif de créer un nouvel espace avec une majorité d’acteurs pour lutter contre les menaces iranienne et turque.

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Les responsables politiques libanais ont-ils conscience que l’histoire est en train de se faire sans eux ? Comprennent-ils que cette évolution va contribuer à isoler encore davantage le pays du reste de la région à court et moyen terme, d’autant que le principal voisin du Liban, la Syrie, est parti pour être un glacis pour de nombreuses années encore ? Certainement, même si peu d’entre eux osent le dire publiquement. La reprise des négociations maritimes avec Israël s’inscrit d’ailleurs probablement dans une volonté de ne pas se retrouver complètement en marge de cette dynamique.

La question, au-delà des débats idéologiques, relève de la pure realpolitik. Le Liban, comme tous les pays au monde, a besoin de partenaires solides à tous les niveaux. Les pays du Golfe ne veulent pas en entendre parler tant que le Hezbollah continue d’interférer dans les pays arabes. Les États-Unis feront le minimum, afin de garantir la stabilité du pays, tant que le parti chiite posera une menace pour Israël. On peut le regretter, ou même s’en indigner. Mais ce sont leurs politiques, et tout porte à croire qu’elles ne vont pas changer prochainement. Les Russes ne voient le Liban qu’à travers leur projet syrien. Les Chinois ne le voient même pas. Les Iraniens, et de façon croissante les Turcs, le voient à travers un projet impérial visant à ne servir que leurs propres intérêts.

À défaut de réorienter ses priorités géopolitiques, le Liban ne peut compter que sur la France, seul pays disposé à l’aider sans faire de la question de l’isolement du Hezbollah une précondition. Mais Paris a une marge de manœuvre limitée, notamment par rapport aux États-Unis, et ne peut sauver à lui seul le Liban. D’autant que la France a ses propres conditions qui semblent tout aussi difficiles à remplir pour les responsables politiques locaux : les réformes !

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À l’agonie, le Liban est aujourd’hui contraint de se réinventer sur les plans politique et économique. Mais même dans le meilleur des cas, il ne pourra pas faire non plus l’économie d’une remise en question géopolitique. Le pays du Cèdre ne peut continuer à se situer politiquement dans l’axe de la résistance et dépendre économiquement de ses relations avec les pays du Golfe et le monde occidental. Adopter le principe de la neutralité par rapport aux conflits qui animent la région semble être le seul moyen de rompre l’isolement diplomatique qui frappe le pays. Mais même cette option pourrait ne pas suffire tant la logique des blocs est en train de s’imposer, et que celle-ci n’admet pas de troisième voie.

Le Liban est le centre du monde. Il est l’objet de discussions quotidiennes entre les grands de la planète qui décident, parfois jusque dans les moindres détails, comment doit être administré le pays et se disputent, à la suite de batailles homériques, cette poule aux œufs d’or considérée comme éminemment stratégique par toutes les puissances dignes de ce nom. On exagère ?...

commentaires (10)

Vous dites le Liban ? Quel Liban ? Ce n'est pas de la Syrie ou de l'IRAN que vous parlez?

Eleni Caridopoulou

17 h 32, le 27 novembre 2020

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Commentaires (10)

  • Vous dites le Liban ? Quel Liban ? Ce n'est pas de la Syrie ou de l'IRAN que vous parlez?

    Eleni Caridopoulou

    17 h 32, le 27 novembre 2020

  • Cessez de nous parler des dirigeants Libanais se ne sont, à quelques exceptions près pas des humains normaux. Même Ceausescu ou Staline avaient plus de compassion pour leurs peuples. Parlez-nous de l’apathie du PEUPLE Libanais qui meure de faim et qui hésite encore à frapper du poing sur la table, avoir la rage c’est à dire a vouloir punir les responsables de ces crimes, ca s’est vu partout dans le monde sauf chez nous.. La tête est le Hezbollah, il faut l’abattre par n’importe quel moyen, les américains l’ont vite compris contrairement aux français qui perdent leur temps et le nôtre.

    Liban Libre

    02 h 25, le 26 novembre 2020

  • C’est à croire que le HZB est de mèche avec Israël pour détruire toute chance pour un Liban prospère. Depuis la destruction du port de Beyrouth, porte d’entrée et de sortie des marchandises des pays du golfe, le port de Haïfa est en pleine expansion en vitesse très accélérée. Avec la paix qui sera bientôt signée avec tous les pays du golfe, Israël remplacera dans les prochaines années, sinon mois, la place qu’occupait encore le Liban (rien à voir avec sa place centrale des années glorieuses 50 à 70) À moins d’un sursaut réel des libanais, nous rejoindrons bientôt le moyen âge dans lequel vivent les iraniens

    KARAM Peter

    15 h 49, le 25 novembre 2020

  • Le L8ban cimme toujours est tellement compliqué que l'attitude la plus sage à adopter est de se dire qu'on n'y peut plus rien . Laosser faire laisser passer ! Çà s'arrange tout seul comme d'habitude .

    Chucri Abboud

    13 h 22, le 25 novembre 2020

  • Une seule facon de changer la destinee du pays faire face aux armes illegales et aux projets foireux...Il faut se concentrer sur l'essentiel et oublier la corruption..celle ci decoule des armes qui la protegent et vice versa....changer Bassil en Franjieh ou Berri en El Sayed ne changera rien a l'etat du pays

    Liban Libre

    10 h 33, le 25 novembre 2020

  • EN DEHORS DU MONDE. DES E.T. DES EXTRA TERRESTRES. LES PIEDS SUR LA TERRE ET LES TETES SUR LA LUNE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 07, le 25 novembre 2020

  • Ce que l’auteur dit sur le fait que le liban n’est pas le pays qui intéresse la planète ? C vrai. MAIS, l’auteur de ce papier, sans doute a une tendance pro-palestine mais la PAIX entre les arabes et le voisin Israélien ne se fait PAS sur le dos des palestiniens !!!!! Ces palestiniens ont foutu le bordel durant 70 ans.. sans doute avant même la naissance de l’auteur... ces palestiniens ont amassé des fortunes INIMAGINABLES... ces palestiniens ont EUX-MÊMES négocié et ils ont fait la paix avec Israel... les responsables palestiniens dont le dernier décédé récemment , ils se font tous soignés en ISRAËL... faut arrêter de se lamenter et répéter que la paix est faite sur leur dos... ca fait 70 ans que nous avons les palestiniens sur NOTRE dos... khalass.. nada... fini... place à la paix pour toutes tous. Nous en avons besoin. Merci pour la publication et bonne journée

    LE FRANCOPHONE

    09 h 07, le 25 novembre 2020

  • Avec le pari de Dieu et la victoire de Dieu de quoi a-t-on peur il nous a déjà garanti les portes du Paradis d’ailleurs l’Imam Khomeiny en partant lui a laissé quelques clés pour nous.

    PROFIL BAS

    07 h 15, le 25 novembre 2020

  • UNE ANALYSE TRES OBJECTIVE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 09, le 25 novembre 2020

  • "... Les responsables politiques libanais ont-ils conscience que l’histoire est en train de se faire sans eux ? ..." - Ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha! conscience... elle est très bonne :-)

    Gros Gnon

    04 h 38, le 25 novembre 2020

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