Rechercher
Rechercher

Failli ? Et comment !

Tout se met à courir, tout s’emballe autour de nous et l’impensable devient chose quotidienne dans ce Moyen-Orient longtemps figé dans des positions bien arrêtées ; mais qu’en est-il du Liban, dans tout ce remue-ménage diplomatique ?


Non point, bien sûr, que notre pays ait le moindre intérêt à se fourrer dans les abayas des émirs pétroliers du Golfe pour s’engouffrer à son tour dans cette normalisation des rapports avec Israël qui prend les proportions d’une véritable pandémie. Ce n’est pas pour les absoudre, mais ces royaumes obsédés par le péril iranien n’ont jamais eu de conflit territorial avec l’État hébreu ; et, surtout, ils n’hébergent pas sur leur sol des centaines de milliers de réfugiés palestiniens dont le sort devra bien être tranché un jour. Ce point étant bien clarifié, le Liban se doit, pour le moins, de figurer sur cette carte où l’on voit s’effondrer, l’une après l’autre, de vieilles murailles de suspicion en attendant, qui sait, une valse effrénée des frontières.


Figurer sur la carte, ce n’est pas seulement s’efforcer de remédier au terrible isolement arabe, et parfois international, qu’a valu au Liban la scandaleuse politique étrangère pratiquée ces dernières années. Figurer sur la carte, c’est commencer par exister en tant qu’entité administrée par un pouvoir responsable, et donc apte à faire valoir le droit à la vie de cette entité. C’est veiller à se conserver le respect du monde, sous peine de s’en aller grossir les rangs des États faillis. Détail qui en dit long, ce n’est pas aux autorités libanaises, mais aux citoyens sinistrés, qu’était dédié le formidable élan mondial de sympathie et d’assistance observé au lendemain du cataclysme du port de Beyrouth. Ce n’est pas à un État notoirement chapardeur, mais aux gens, qu’étaient explicitement destinés vivres, couvertures et médicaments; il n’empêche (à malin, malin et demi !) qu’une bonne partie de cette assistance a fini par être soit détournée, soit envoyée pourrir dans les boyaux inondés de la Cité sportive…


État failli : dans son allocution de l’Indépendance, le président Michel Aoun n’a pas manqué de lâcher le mot fatidique ; mais hélas, il en a usé à seule fin de mettre en garde contre un danger potentiel, imminent, de la même manière que l’on agiterait un épouvantail. Or ce sombre terminus, n’y est-on pas déjà, n’y pataugeons-nous pas jusqu’au cou ? Comment en effet qualifier, sinon de failli, un État mis en coupe réglée, pillé par ses propres gestionnaires, au point de réduire à la pauvreté une population toute entière ? Et puis (on n’y reviendra jamais assez) de quelle légitimité peut encore se prévaloir un pouvoir qui, du sommet à la base, se refuse à assumer la responsabilité – non plus seulement judiciaire ou administrative mais éminemment politique et morale – de l’hécatombe du port de Beyrouth ?


Tout aussi brumeuse s’annonce d’ailleurs la recherche des responsabilités dans les irrégularités et abus, gaspillages et pillages qui ont conduit à la ruine économique et financière du pays. Le chef de l’État avait beau jeu, hier, d’inviter le Parlement à écarter tous les obstacles légaux, ou prétendus tels, entravant un audit comptable de la Banque centrale. À la bonne heure, s’empressait-on de répondre du côté du président de l’Assemblée, mais l’audit devra s’étendre à tous les autres trous béants par où ont déserté les deniers publics.


Clair est le message. Comme dans une colossale partie de poker menteur, les dirigeants n’ont pas fini de clamer leur détermination à extirper la corruption ; le corollaire en est que si jamais la vérité doit sortir du puits, aucun des joueurs ne peut espérer se garder au sec.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Tout se met à courir, tout s’emballe autour de nous et l’impensable devient chose quotidienne dans ce Moyen-Orient longtemps figé dans des positions bien arrêtées ; mais qu’en est-il du Liban, dans tout ce remue-ménage diplomatique ? Non point, bien sûr, que notre pays ait le moindre intérêt à se fourrer dans les abayas des émirs pétroliers du Golfe pour s’engouffrer à son...