Sur les photos d’archives, sa silhouette se dessine fréquemment dans l’arrière-plan, aux côtés d’un Joe Biden alors vice-président des États-Unis sous Barack Obama. Mèche de cheveux poivre et sel toujours parfaitement coiffée sur le front, l’air souvent grave, Antony Blinken, âgé de 58 ans, a longtemps été l’un de ces hommes discrets qui ont eu des rôles-clés à Washington et dont le grand public ne connaît pas le nom. Ce n’est désormais plus le cas : nommé lundi au poste de secrétaire d’État par le président élu, il s’apprête à devenir l’un des piliers de la future administration de Joe Biden.
Ancien des administrations de Bill Clinton et de Barack Obama, son arrivée à Foggy Bottom annonce pour le Moyen-Orient un retour à la diplomatie traditionnelle des États-Unis et s’inscrit, plus ou moins entre les lignes, dans la continuité de celle menée pendant huit ans par l’ancien président démocrate. Internationaliste et multilatéraliste convaincu, celui qui est l’un des plus fidèles conseillers de Joe Biden devrait d’abord s’atteler à l’épineux dossier de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA). Si l’équipe démocrate a fait savoir qu’elle était prête à ramener Téhéran à la table des négociations, le futur chef de la diplomatie américaine va devoir composer avec les répercussions de la sortie de l’administration Trump du JCPOA en 2018 et de sa politique de « pression maximale » contre Téhéran, alimentée à coups de sanctions depuis deux ans.
Une décision qu’Antony Blinken, l’un de ceux qui ont planché sur l’accord de 2015, a vivement critiquée en 2018. En août dernier, il assurait que l’administration Biden « chercherait à s’appuyer sur l’accord sur le nucléaire pour le rendre plus long et plus fort si l’Iran revenait à une stricte conformité (à ses engagements) ».
Prélude à une rupture radicale avec la politique nationaliste et isolationniste du « America First » (l’Amérique d’abord) de Donald Trump, sa politique pourrait toutefois se heurter aux nouveaux défis qui ont émergé sur le dossier iranien. Si un retour au dialogue avec Washington et une levée des sanctions pourrait effectivement permettre à la République islamique et à son économie de souffler, le contexte domestique et régional n’est plus celui de 2015. Antony Blinken pourrait se heurter à un régime iranien désormais moins flexible, exigeant des compromis supplémentaires du côté américain, à l’instar de compensations plus grandes pour les dommages causés à l’économie iranienne pendant le mandat de Donald Trump. Une opération d’autant plus difficile que l’administration Biden souhaite élargir l’accord aux activités iraniennes dans la région et à ses missiles balistiques, point non négociable pour Téhéran.
Numéro d’équilibriste
Rompu aux rouages de Washington depuis près de vingt-cinq ans et reconnu comme un centriste et un pragmatique par ses pairs, Antony Blinken devrait s’appuyer sur ses expériences précédentes pour naviguer sur ces eaux délicates. « Il faisait partie de notre cercle rapproché lors de toutes nos réunions-clés, tout au long de ma présidence », a confié Barack Obama lors d’une interview lundi accordée au Washington Post. « Il est exceptionnel, intelligent, courtois, un diplomate qualifié et reconnu dans le monde entier », a-t-il souligné. Francophone, fils et neveu d’ambassadeurs américains, il a grandi entre Paris et New York. Conseiller à la Sécurité nationale, puis secrétaire d’État adjoint sous Obama jusqu’en 2017, Antony Blinken a assisté, entre autres, à l’opération pour l’élimination de l’ancien chef d’el-Qaëda, Oussama Ben Laden, en 2011 ou encore aidé à la mise sur pied d’une coalition pour la lutte contre l’État islamique en Irak et en Syrie. Œuvrant au comité des Affaires étrangères du Sénat jusqu’en 2008, il a notamment travaillé sur la proposition de 2006 de Joe Biden, qui s’était porté favorable lors de l’intervention américaine en Irak en 2003 à une division du pays en trois régions autonomes basées sur des critères ethno-religieux. Un plan qui avait été largement rejeté.
Favorable à une intervention contre le régime de Damas en 2013, conformément à la ligne rouge fixée par Barack Obama sur le recours aux armes chimiques, il a salué la frappe unilatérale menée par Donald Trump en 2017, admettant les erreurs de l’équipe d’Obama sur le dossier syrien. « La dernière administration doit reconnaître que nous avons échoué (...). Et c’est quelque chose que j’emporterai avec moi pour le reste de mes jours », avait-il avoué lors d’un entretien accordé en mai à la chaîne américaine CBS. Interrogé sur la possibilité d’une normalisation des liens entre Washington et le régime de Bachar el-Assad, il avait balayé cette option d’un revers de la main : « Il m’est pratiquement impossible d’imaginer cela. »
Face à un nouveau secrétaire d’État américain jouant un numéro d’équilibriste entre les axes pro et anti-iraniens, les autocrates du Golfe vont quant à eux devoir faire avec une administration plus regardante sur les violations des droits humains. Interrogé en juillet sur la politique que mènerait l’équipe de Joe Biden à l’égard de Riyad, Antony Blinken avait répondu qu’elle « examinerait la relation des États-Unis avec le gouvernement d’Arabie saoudite, auquel le président Trump a essentiellement donné un chèque en blanc pour poursuivre un ensemble de politiques désastreuses, y compris la guerre au Yémen, mais aussi le meurtre de Jamal Khashoggi (et) la répression à l’égard des dissidents en interne ». Malgré le tollé international provoqué par la mort du journaliste saoudien dans le consulat de son pays à Istanbul en 2018, Donald Trump a refusé de prendre ses distances avec le royaume saoudien.
Défenseur d’Israël
La politique envisagée par l’administration Biden devrait toutefois se heurter à des limites alors que l’Arabie saoudite est l’allié traditionnel des États-Unis dans le Golfe et un acteur à prendre en compte tant dans la lutte contre l’Iran que sur le dossier israélo-palestinien. Et pour cause, Antony Blinken ne devrait pas chercher à défaire les acquis de l’administration Trump à l’égard de l’État hébreu mais s’appuyer sur la nouvelle dynamique amorcée par la normalisation des liens entre Israël et les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan ces derniers mois pour entamer les discussions avec les Palestiniens et tenter de convaincre les pays du Golfe de jouer un rôle plus important sur ce dossier, à commencer par l’Arabie saoudite.
Pour Israël, l’annonce de la nomination d’un fervent défenseur de l’État hébreu au poste de secrétaire d’État américain, et beau-fils d’un des plus jeunes survivants de la Shoah, a été bien accueillie. Moins radical que les membres de l’équipe de Donald Trump au sujet d’Israël, à l’instar de Jared Kushner, Antony Blinken devrait cependant se démarquer de l’administration précédente par son approche plus modérée en renouant le dialogue avec le camp palestinien pour une solution à deux États et restaurer l’aide américaine aux Palestiniens, tout en priorisant les intérêts israéliens. Interrogé à ce sujet lors d’une réunion avec le lobby Majorité démocratique pour Israël (DMFI), il avait assuré en mai dernier que « (Joe Biden) ne lierait pas l’assistance militaire à Israël aux décisions politiques qu’il prend ». En 2016, il s’était par ailleurs dit sur Twitter « fier » d’avoir « servi un président dont l’administration a fait plus pour la sécurité d’Israël que n’importe quelle autre auparavant ».
Des prises de position qui suscitent toutefois des inquiétudes du côté des pro-Palestiniens, alors que l’actuel chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a annoncé la semaine dernière que Washington allait prendre des mesures contre les organisations liées au mouvement de boycott d’Israël BDS, considéré comme « antisémite ». Signe d’une possible accélération du rapprochement entre Riyad et l’État hébreu, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu aurait également rencontré MBS et Mike Pompeo dimanche, lors d’un déplacement inédit en Arabie saoudite.
Voie.
04 h 08, le 26 novembre 2020