En passant devant les yachts luxueux de Zaytouna Bay, celui qui n’était à l’époque que numéro deux de la Maison-Blanche s’était étonné devant un tel étalage de richesse dans un pays pourtant toujours en quête d’aide internationale. Chez le président du Parlement Nabih Berry, à Aïn el-Tiné, il avait démontré d’une manière tout à fait inattendue l’intérêt américain pour le Liban, un petit pays qui ne devait pas être sacrifié au nom des efforts de paix régionale. Celui qui a été élu 46e président des États-Unis face à Donald Trump était alors vice-président. Le 22 mai 2009, à deux semaines des législatives libanaises, Joe Biden avait effectué une visite-éclair d’une journée au Liban.
Officiellement pour soutenir les autorités libanaises et l’armée libanaise. Mais aussi, pour prévenir la classe politique que le programme d’aide au Liban dépendrait de l’issue des législatives du 7 juin, en référence à la possible victoire du Hezbollah, allié de la Syrie et de l’Iran, classé comme organisation terroriste par Washington. Un fait qui avait poussé les dirigeants du parti chiite à dénoncer « des ingérences et une violation flagrante de la souveraineté libanaise ».
Le soutien de l’administration Obama au 14 Mars
C’était la première visite d’un responsable américain de si haut rang depuis le passage de George Bush père en 1983, au lendemain de l’attaque contre la caserne des marines américains qui avait fait 214 morts et pour lequel le Hezbollah avait été pointé du doigt par Washington. Une visite ponctuée, comme il est d’usage, par les traditionnelles rencontres avec les trois pôles du pouvoir, le chef de l’État Michel Sleiman, le Premier ministre Fouad Siniora et le président du Parlement Nabih Berry. Elle avait été suivie de plusieurs réunions avec des figures du 14 Mars antisyriennes, l’une au domicile de l’ancienne ministre Nayla Moawad, l’autre avec les membres du secrétariat général du 14 Mars présidé par Farès Souhaid et une troisième à Moukhtara, chez le leader druze Walid Joumblatt. De ces rencontres, Farès Souhaid note qu’elles avaient pour objectif « de montrer le soutien de l’administration Obama à la majorité parlementaire du 14 Mars et de se pencher sur la démocratie dans le monde arabe ». « J’avais déjà rencontré Joe Biden aux États-Unis, se souvient aussi M. Joumblatt. C’était l’un des artisans du Tribunal spécial pour le Liban. »
« Particulièrement réussie. » C’est ainsi qu’a été qualifiée la visite libanaise de Joe Biden par plusieurs parties. L’ancien ambassadeur du Liban à Washington, Antoine Chédid, qui l’avait accompagné lors de sa visite au Liban, témoigne que ce dernier avait « fait part du soutien de l’administration Obama pour le Liban légitime et son armée ». Il avait également « multiplié les gestes à l’égard d’une ligne politique du 14 Mars encore forte et cohérente ». De son côté, l’attaché de presse de Nabih Berry, Ali Hamdane, fait état de discussions, « animées » certes, et « de points de vue souvent concordants ». Entre autres sujets relatifs à « l’application de la résolution 1701, aux réseaux d’espionnage, au plan de paix saoudien », il était « déjà question du pétrole et du tracé des frontières », souligne-t-il.
Une seule armée capable de contrôler le pays
Indubitablement, les anecdotes resteront dans la mémoire de ceux qui ont côtoyé Joe Biden à Beyrouth. La première est un clin d’œil à Beyrouth, ou plutôt à ce qu’était la capitale en mai 2009 avant la double explosion criminelle qui l’a défigurée, ce funeste 4 août 2020. « Nous nous dirigions en voiture du palais présidentiel de Baabda vers Aïn el-Tiné, résidence du président du Parlement, Nabih Berry, raconte Antoine Chédid. Les rues étaient désertes parce que l’armée avait bouclé le secteur. Le convoi passe par le port de Beyrouth, Zaytouna Bay, le Saint-Georges. » « Joe Biden est séduit par la beauté des lieux, les yachts luxueux et les belles voitures. Ce qui le pousse à s’exclamer mi-figue, mi-raisin : “Vous êtes riches et vous demandez l’aide américaine” ! »
Chez le président Berry, la discussion avait été très animée. « Sur la table basse, selon Antoine Chédid, une assiette comporte un assortiment de chocolats. Joe Biden en choisit alors quelques-uns qu’il dispose comme des pions d’échiquier. » « Dans l’assiette, il ne restait plus qu’un seul chocolat, poursuit l’ambassadeur aujourd’hui à la retraite. Le vice-président voulait montrer que l’administration US ne voulait pas utiliser le Liban ni le laisser seul. » L’histoire des chocolats prête à sourire. Non seulement pour l’image qu’elle exprime alors. Mais parce qu’en jouant avec les chocolats proposés aux invités de Nabih Berry – on raconte qu’il avait particulièrement apprécié les orangettes au chocolat –, Joe Biden a fait une entorse au protocole strict imposé par son service de sécurité. « Avant même sa visite, nous avions été informés que nous ne pouvions lui offrir que des liquides, uniquement du café ou du thé, et rien à manger », observe Ali Hamdane.
La visite de Joe Biden tire à sa fin. Le dernier épisode se déroule à l’AIB. Les aides militaires américaines, des chars, des blindés, des hélicoptères, sont exposées et passées en revue par le numéro deux de la Maison-Blanche. La cérémonie se déroule en présence notamment du ministre de la Défense, Élias el-Murr, et du commandant en chef de l’armée, Jean Kahwagi. « Il faut qu’il y ait une seule armée, une force capable de contrôler votre pays », martèle Joe Biden. « Une fois la cérémonie terminée et au moment de monter dans son avion, le responsable américain ne peut s’empêcher de lancer une boutade à l’ambassadrice américaine, Michele Sison », relate encore Antoine Chédid. « Ne vous inquiétez pas, Michele, je ramène avec moi Jeffrey (Feltman) », lui dit-il en riant, en référence à l’attention particulière des Libanais à l’égard de celui qui fut ambassadeur au Liban de 2004 à 2008.
commentaires (5)
Il semble quil connaît en détails tout ce qui a trait au Liban. Il n'est pas nouveau dans la matière.
Esber
19 h 06, le 11 novembre 2020