
Des partisans du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth. Mahmoud Zayyat/AFP
Jamais le Hezbollah n’aura autant appréhendé l’échéance d’une élection américaine. Épuisé par des années de sanctions dures à son égard et contre son bailleur de fond iranien, qui ont contribué à l’assécher financièrement, le parti chiite craignait comme la peste la réélection de Donald Trump. Avec la victoire, annoncée samedi soir par plusieurs médias, de Joe Biden, le parti peut souffler même s’il reste conscient du fait que sa relation avec le nouveau venu ne sera pas une sinécure. Avec le président démocrate, il peut au moins espérer ne serait-ce qu’un allègement des sanctions et peut-être aussi un desserrement de l’étau autour de Téhéran, dans la perspective d’un retour à la table de dialogue pour ressusciter l’accord sur le nucléaire, dont Donald Trump avait fait sortir les États-Unis.
Rodé aux combats les plus rudes dans le cadre d’une résistance armée contre Israël et, plus récemment, aux combats de guérilla comme celles qu’il a menées en Syrie et en Irak qui ont confirmé son envergure régionale, le Hezbollah s’est toutefois trouvé quasiment impuissant devant l’épée de Damoclès des sanctions infligées à profusion ces dernières années par Washington contre lui et contre Téhéran. Désormais, toute personne affiliée au parti de Dieu ou soutenant ce dernier ne peut plus avoir accès au système bancaire classique ni être détentrice d’un compte et se trouve donc éjectée du circuit commercial et financier international. Les États-Unis ont tenté de couper le robinet à tous les niveaux : en limitant la capacité de Téhéran à financer son allié et en s’attaquant aux ressources financières propres du parti chiite. « Le Hezbollah a perdu au moins 50 % de ses ressources financières au cours de ces dernières années », estime un diplomate occidental. Pourtant, le parti chiite continue de vanter son autosuffisance financière, alors que le Liban vit la pire crise économique de son histoire. Il peut toujours compter, même dans une moindre mesure, sur certaines de ses activités lucratives au Liban, en Irak et en Syrie, selon un responsable politique libanais.
« Les sanctions resteront en vigueur »
Dans les milieux proches du parti de Dieu, on ne se fait pas d’illusion quant à un changement radical de la politique étrangère américaine avec l’avènement de Joe Biden et les commentaires sur sa victoire se font rares. Ceux qui s’y aventurent évoquent cependant la perspective d’une différence d’approche, de style et d’intensité dans la confrontation avec le nouveau locataire de la Maison-Blanche. « Ne nous leurrons pas, la politique étrangère américaine ne changera pas tellement. Même si les sanctions seront peut-être appelées à s’amenuiser, elles resteront de rigueur », affirme Faycal Abdel Sater, un analyste proche du parti chiite qui se console à l’idée que l’attitude de Joe Biden sera plus subtile et moins agressive que la confrontation directe et ciblée à laquelle s’est livré Donald Trump.
Nombre d’experts internationaux le confirment d’ailleurs : la politique des États-Unis en matière de sanctions à l’égard du Hezbollah ne sera pas bouleversée, quels que soient les changements éventuels que le nouveau président serait prêt à apporter à sa politique à l’égard de l’Iran. Un constat que confirme pour L’Orient-Le Jour un diplomate américain.
Un responsable libanais, rompu à la politique américaine, tient d’ailleurs à rappeler que les sanctions qui ont frappé le parti chiite ont fait l’objet, durant la mandature de Trump, d’un vote bipartisan au Congrès. Ce qui signifie qu’aussi bien les républicains que les démocrates sont convaincus de l’efficacité de cette nouvelle arme que
Washington préfère désormais substituer aux guerres réelles menées dans les bourbiers du Proche-Orient. « Avec Joe Biden, les sanctions se poursuivront certes, mais à un rythme plus ralenti et de manière un peu moins arbitraire », commente le responsable dans une allusion aux récentes sanctions imposées contre les anciens ministres des Finances Ali Hassan Khalil (Amal) et des Travaux publics, Youssef Fenianos (Marada), une mesure qui a fini par contraindre le tandem chiite, Amal-Hezbollah, à accélérer le processus des négociations avec Israël pour la délimitation des frontières maritimes. Ce responsable parlait avant l’annonce des sanctions prises hier contre le chef du CPL, Gebran Bassil, dans le même contexte.
Hilal Khachan, professeur de sciences politiques à l’AUB, rappelle à ce propos que, quand bien même il le voudrait, Joe Biden ne pourrait pas « inverser les aiguilles de la montre » en matière de politique extérieure tant que le Sénat continuera de renfermer une majorité de républicains.
« Nous aurons des mois difficiles »
Ce n’est toutefois pas l’impact des sanctions et de la crise financière que le Hezbollah tient à mettre en avant en commentant les résultats de la présidentielle américaine. C’est plutôt l’avenir de l’accord portant sur le nucléaire iranien et les missiles balistiques qui préoccupe au plus haut point le parti chiite, un peu comme pour dire que le sort de l’un reste, en toutes circonstances, intimement lié à celui de l’autre. « Contrairement à une idée reçue, le Hezbollah n’était pas nécessairement enthousiaste pour la victoire de Biden. La seule chose qui l’intéresse est la possibilité pour ce dernier de ressusciter l’accord sur le nucléaire, que son prédécesseur a enterré », commente un proche du parti.
Certains analystes établissent pourtant une nette distinction entre, d’une part, le dossier iranien et, d’autre part, celui du Hezbollah. Comprendre que quand bien même Joe Biden pourrait être amené à relancer les discussions sur le nucléaire, cela ne voudrait pas dire que le parti chiite libanais pourra pour autant, et par ricochet, bénéficier d’une période de grâce. On donne pour exemple la poursuite de l’imposition de sanctions contre le Hezbollah en 2015-2016 par le président Barack Obama, même après la signature de l’accord sur le nucléaire entre Washington et l’Iran. Le nouveau président démocrate pourrait toutefois être moins attentif à l’agenda de Téhéran dans la région – aux milices et formations pro-iraniennes actives au Proche-Orient – et plus focalisé sur les dossiers qui ont un impact international, comme le nucléaire et les armes balistiques.
Il reste que pour le parti chiite, c’est la période de transition de deux mois avant que le nouveau locataire de la Maison-Blanche ne prête serment en janvier qui reste à craindre. Une période d’autant plus risquée que l’actuel président continue de jouir de toutes ses prérogatives et peut prendre – et surprendre dans le cas de Donald Trump – les décisions les plus inattendues. « Nous aurons des mois difficiles devant nous avant que le nouveau président ne présente son nouveau programme », note le proche du Hezbollah. Pour Joseph Bahout, directeur de l’Institut Issam Farès de politiques publiques et d’affaires internationales de l’AUB, Donald Trump pourra certes être tenté de faire une action spectaculaire avant de rendre le tablier – un peu dans le style de l’assassinat de Kassem Soleimani, l’homme-clé des services militaires iraniens – mais on peut difficilement envisager qu’il puisse engager, en un laps de temps aussi court, les États-Unis dans une aventure de grande envergure.
Rq : cet article a été actualisé le 7 novembre à 19h, après l'annonce par des médias américains de la victoire de Joe Biden.
Jamais le Hezbollah n’aura autant appréhendé l’échéance d’une élection américaine. Épuisé par des années de sanctions dures à son égard et contre son bailleur de fond iranien, qui ont contribué à l’assécher financièrement, le parti chiite craignait comme la peste la réélection de Donald Trump. Avec la victoire, annoncée samedi soir par plusieurs médias, de Joe Biden,...
commentaires (3)
C’est sidérant de voir comment les libanais y compris les analystes politiques de tous bords se sont habitués à l’idée que le sort du Liban soit directement attaché aux armes nucléaires de l’Iran et à sort politique comme si ce fait coulait de source. En quoi le Liban pays aux couleurs arabes et de culture multiple est censé être rattaché à un pays de perses dont rien ne nous lie ni historiquement ni culturellement sinon sa milice armée pour déstabiliser notre pays par un simple hochement de tête des mollahs? Ils voulaient à tout prix nous entendre dire que rien ne se fera au Liban sans leur bénédiction et les voilà tous à répéter leur désirs comme si c’était un fait accompli. Pourquoi? Où sont les élites politiques, les vrais et les élites de ce pays pour refuser ce fait accompli en affrontant pacifiquement et légalement ces vendus pour les mettre hors d’état de nuire. Où est notre justice fanfaronnante qui les regarde saccager le pays et se contente d’enfermer des citoyens honnêtes sur simple accusations mensongères de collaboration avec l’ennemi alors que les vrais traitres sont sous leur nez et continuent à massacrer notre pays dans l’intérêt d’un pays étranger? Quand ce cauchemar prendra fin?
Sissi zayyat
11 h 00, le 08 novembre 2020