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Nos Lecteurs ont la Parole

Les mécanismes possibles d’un statut de neutralité pour le Liban

Le patriarche maronite Béchara Raï s’est adressé, par-delà les autorités libanaises, aux Nations unies les appelant à sauver le pays en proclamant la neutralité du Liban.

Il reprenait à son compte la position du pacte national des pères fondateurs du Liban moderne (ni Est ni Ouest) ainsi que la doctrine prônant la « distanciation politique ».

L’histoire montre que la neutralité, liberté issue de la souveraineté, a pour but ultime la garantie de la paix intérieure et extérieure dans un cadre de relative indépendance et dans le respect du bien public. Pourrait-elle se réaliser malgré les problèmes cruciaux qui resteraient à régler dans un consensus politique et pourrait-elle assurer l’espace de paix et de rénovation dont le pays a besoin ?

Mais qu’est-ce que la neutralité ?

La neutralité est l’état d’une personne qui évite de prendre partie, qui ne s’implique pas. Être neutre c’est être ni avec l’un ni avec l’autre. Mais dans l’ordre externe en géopolitique, la neutralité c’est la position d’un État (et non d’un territoire) :

1- qui ne prend pas partie entre deux ou plusieurs autres États en conflit ou en guerre ;

2- qui ne soutient aucun des belligérants, même s’il a des intérêts communs avec lui ;

3- qui n’adhère, en conséquence, à aucun pacte, aucune alliance militaire.

L’État se définit comme une entité souveraine – dotée d’un territoire, d’une population et d’un gouvernement – qui a les capacités réelles d’exprimer sa volonté et d’assurer la plénitude de ses compétences.

Quant à son origine, la neutralité d’État a existé depuis des siècles et dans une forme moderne depuis le XVIe siècle. La notion a été clarifiée par le congrès de Vienne de 1815 (qui a reconnu la neutralité suisse) puis complétée et codifiée par les conventions de La Haye de 1907.

La neutralité étatique est un acte discrétionnaire qui procède de la volonté de l’État clairement manifestée, quelle que soit l’origine de cette neutralité. Le droit international public étant fondé sur le principe de souveraineté, la neutralité est un droit qu’il appartient à l’État de s’en prévaloir ou pas.

La neutralité peut être une réponse à la nature de l’État ou de son environnement géopolitique. Elle peut également permettre aux petits États de s’imposer sur la scène internationale, à l’exemple de la Suisse ou de l’Autriche… Elle peut prendre plusieurs formes et trouve son origine :

- Soit dans un acte unilatéral d’ordre interne. Elle résulte de la manifestation de la volonté d’un État qui se déclare neutre vis-à-vis d’une guerre ou d’un conflit entre deux ou plusieurs États, à titre permanent ou à titre temporaire. Exemple de l’Autriche, membre de l’Union européenne qui, dans une loi du 26 octobre 1955, proclame librement « … sa neutralité et maintiendra et défendra cette neutralité... ».

- Soit dans un traité ou une convention entre plusieurs États : on parle alors d’origine conventionnelle.

Le traité peut être conclu entre deux ou plusieurs États qui décident que tel État est neutre et va demeurer neutre lors d’une guerre et ne doit ni participer aux hostilités ni aider aucun des belligérants qui sont prêts à le défendre.

D’origine conventionnelle, la neutralité suisse est une neutralité garantie qui met à la charge des signataires du traité de Vienne l’obligation d’assistance en cas d’atteinte à son indépendance (ne pourrait-il pas en être de même pour le Liban et la Ligue arabe ?).

La neutralité peut être perpétuelle, permanente de fait, ou occasionnelle dans le cas d’un conflit déterminé.

Sous toutes ses formes, elle s’adosse à un régime juridique qui relève du droit coutumier international et du droit international public comportant un ensemble de droits et d’obligations :

A- * L’inviolabilité, lors d’un conflit, de son territoire dans sa globalité, et le respect des personnes et des biens de ses ressortissants à l’étranger.

* Interdiction de survol du territoire neutre aux aéronefs militaires et civils, appartenant aux belligérants.

* Interdiction des hostilités dans les eaux neutres (articles 1 et 2 de la convention de La Haye de 1907).

B- Liberté économique et commerciale, y compris des échanges avec les belligérants et maintien du pavillon de complaisance.

Face à ses droits qui lui sont reconnus, l’État neutre a des devoirs, notamment :

A- L’abstention de toute participation directe ou indirecte aux hostilités ou de tout assistanat.

1) Participation directe, comme l’acceptation du contrôle de l’ennemi et des services de renseignements ou de ravitaillement, etc.

2) Assistanat indirect, comme le transport occasionnel du personnel militarisé.

B- L’impartialité. L’État neutre ne doit pas prendre parti entre les belligérants mais observer une stricte égalité de traitement envers tous, et de ce fait il ne peut conduire des alliances offensives ou défensives...

L’origine conventionnelle est seule à même de garantir une neutralité à l’État.

Que peut-on en déduire pour le Liban sur le plan du droit international ?

1- Il faudra que la demande de neutralité soit l’expression d’une intention véritable entachée d’aucun vice, formulée par des instances internes représentatives. Selon la Constitution, le président signe les traités et le Parlement les ratifie. C’est la combinaison de ces deux pouvoirs qui engage le Liban.

2- Problème de l’adhésion à la Ligue arabe. Le devoir d’abstention et celui d’impartialité interdisent en principe l’adhésion à toute organisation à vocation sécuritaire et à tout pacte militaire. On pourrait s’inspirer de l’Autriche qui est partie intégrante de l’Union européenne mais ne fait pas partie de son pacte de sécurité.

D’après son pacte, l’État reste souverain dans le domaine de la défense et les modifications successives ont détaché le Conseil de coopération économique du pacte de défense, permettant aux États d’y adhérer sans adhérer aux organismes militaires.

3- Les relations entre le Liban et Israël. Les deux pays sont toujours en état de guerre car la convention d’armistice du 23/03/1949 signe l’arrêt des hostilités et non la fin de la guerre, et l’accord du 17 mai 1983 qui aurait pu changer la nature de ces relations n’a jamais été signé.

Quant à la situation du Hezbollah, elle est sui generis au regard du droit international et alors même que le Liban subit les représailles d’Israël à ses attaques, celles-ci n’engagent pas la responsabilité du Liban qui n’y aurait pas pris part.

Une neutralité globale internationale supposerait la fin de l’état de belligérance, impossible actuellement.

Restent deux solutions potentielles : la première consiste à ce que la communauté internationale décide, sur proposition du Liban, de reconnaître un statut de neutralité excluant Israël de son champ ; la seconde, plus limitée mais plus accessible, serait que la Ligue arabe accorde un statut de neutralité conventionnelle face aux diverses parties arabes permettant au Liban de rejouer son rôle premier de médiateur et de conciliateur.

Samira Hanna EL-DAHER

Ambassadrice

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Le patriarche maronite Béchara Raï s’est adressé, par-delà les autorités libanaises, aux Nations unies les appelant à sauver le pays en proclamant la neutralité du Liban.Il reprenait à son compte la position du pacte national des pères fondateurs du Liban moderne (ni Est ni Ouest) ainsi que la doctrine prônant la « distanciation politique ».L’histoire montre que la...
commentaires (1)

Merci pour cette belle clarification. La neutralité est nécessaire. elle devrait être complétée par un Liban laic et fédéral. Jose Johann Chidiac

Jose Johann Chidiac

09 h 29, le 06 novembre 2020

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Commentaires (1)

  • Merci pour cette belle clarification. La neutralité est nécessaire. elle devrait être complétée par un Liban laic et fédéral. Jose Johann Chidiac

    Jose Johann Chidiac

    09 h 29, le 06 novembre 2020

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