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Politique - GRAND ANGLE

Dans les coulisses de l’initiative française : Macron au secours du Liban (I/II)

Comment l’initiative française a-t-elle été préparée ? Qu’a dit le président français aux leaders libanais ? Comment un parfait inconnu, Moustapha Adib, est devenu un Premier-ministrable? Retour en récit sur le pari libanais d’Emmanuel Macron, de l’explosion du 4 août à la veille de la visite du 1er septembre.

Dans les coulisses de l’initiative française : Macron au secours du Liban (I/II)

Emmanuel Macron pendant un bain de foule dans le quartier de Gemmayzé, à Beyrouth, le 6 août 2020. Photo AFP

4 août 2020. Emmanuel Macron a posé ses valises depuis quelques jours au fort de Brégançon, la résidence d’été des présidents français. La journée s’annonce plutôt calme et agréable. Il fait beau, la France pense avoir réussi son déconfinement et le président en profite pour effectuer sa première sortie officielle à Toulon auprès des auxiliaires de santé et des policiers. Puis, tout s’accélère en quelques minutes aux alentours de 17 heures. Une immense déflagration fait trembler tout le Liban et se ressent jusqu’à Chypre. Le port de Beyrouth vient de subir une double explosion. Les premières vidéos donnent une idée de l’ampleur de la catastrophe. Gwendal Rouillard, député du Morbihan (Bretagne), dont la femme est libanaise, reçoit plusieurs de ces vidéos et contacte tout de suite le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, qui en informe directement Emmanuel Macron. En parallèle, le président est certainement tenu au courant de la situation par les équipes de l’ambassade de France à Beyrouth, mais l’ambassadeur Bruno Foucher est en vacances, tout comme le conseiller diplomatique du président, Emmanuel Bonne, et le conseiller chargé de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, Patrick Durel.

Les premières informations sont alarmantes. L’explosion est spectaculaire et plusieurs quartiers de la capitale semblent détruits. En France, les contacts s’intensifient et très rapidement une évidence se dégage : il faut se rendre à Beyrouth le plus vite possible. Bernard Mourad, banquier d’affaires franco-libanais et vieil ami d’Emmanuel Macron, se fend d’un message via l’application Telegram : « Je me suis permis de lui dire que le peuple libanais se sentirait abandonné si personne ne se rendait sur place, et que si la France ne jouait pas ce rôle, personne ne le ferait. » La décision de venir au Liban est prise dans les dizaines de minutes qui ont suivi la catastrophe et confirmée dans les heures suivantes. « Qui pouvait imaginer que nous ne viendrions pas au Liban dans ces circonstances? » raconte un membre de l’équipe française, comme s’il s’agissait d’une évidence, quel que soit le président. Les visites éclair à Beyrouth en pleine crise relèvent presque de la coutume pour les locataires de l’Élysée. En 1983, François Mitterrand s’y était rendu dans les heures qui suivirent l’attentat-suicide contre le Drakkar. En 2005, Jacques Chirac était venu présenter ses condoléances à la famille Hariri, deux jours après l’attentat qui coûta la vie à l’ex-Premier ministre libanais.

La visite d’Emmanuel Macron est préparée en seize heures. Une prouesse, compte tenu des enjeux sécuritaires dans une ville qui vient d’exploser. Bruno Foucher rentre en urgence à Beyrouth et les équipes de sécurité viennent repérer les lieux la veille de l’arrivée du président. « Il n’y avait pas de temps pour les atermoiements. On s’est dit : il faut y être et après on voit ce qui se passe », commente un diplomate français. Emmanuel Macron arrive à Beyrouth le 6 août, dans une ville à moitié ravagée, pour la première fois de son mandat. Maintes fois préparée, maintes fois repoussée, sa venue au Liban aurait dû avoir lieu il y a bien longtemps, dans de tout autres circonstances. Le président devait venir en 2018, quelques mois après la conférence internationale CEDRE en soutien au Liban pour faire un point sur les avancées. Puis en 2019. Puis en 2020. Mais puisque rien n’a bougé ne serait-ce que d’un iota, pourquoi se déplacer, si ce n’est pour faire le constat d’un échec ? Le président français avait même fini par renoncer au déplacement prévu pour le centenaire de la proclamation du Grand Liban par le général Gouraud à la Résidence des Pins, événement le plus symbolique de la relation qui unit la France et le Liban.

« Il connaît bien l’histoire libanaise »

Tous les éléments étaient pourtant réunis dès le départ pour que rendez-vous soit pris entre Emmanuel Macron et le Liban. Il s’y était rendu pendant la campagne présidentielle de 2017 et « était tombé sous le charme du pays », selon l’un de ses proches. « L’accueil avait été fabuleux, il y avait une vraie curiosité des Libanais pour ce libéral appartenant à un gouvernement socialiste », décrit un banquier libanais ayant organisé la venue du candidat. Le voyage devait lui permettre de développer une stature d’homme d’État, mais aussi d’encourager de généreux Libanais à contribuer à sa campagne. Il n’y a pas eu de levée de fonds pendant la visite, mais il n’empêche : les Libanais arrivent en troisième position parmi les contributeurs étrangers à la campagne d’Emmanuel Macron, avec 148 000 euros récoltés. Au premier tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron ne recueillera toutefois que 16 % des suffrages au Liban, très loin derrière François Fillon et ses 60 %.

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Élu, Emmanuel Macron fait du pays du Cèdre un de ses dossiers prioritaires dans la région, en raison notamment d’un entourage très propice au développement de cette relation. Il y a son ami Bernard Mourad, qui fut son conseiller spécial durant la campagne et qui assure qu’Emmanuel Macron « connaît bien l’histoire libanaise et sait qu’elle est compliquée ». Il y a son conseiller diplomatique, Emmanuel Bonne, ancien ambassadeur au Liban et amoureux du pays, toujours très impliqué sur le dossier, si bien que beaucoup le considèrent encore aujourd’hui comme le second ambassadeur de France au pays du Cèdre. Il y a le chef de la DGSE, Bernard Émié, lui aussi ancien ambassadeur à Beyrouth et lui aussi toujours très actif dans la gestion de ce dossier. Il y a enfin son ami de l’ENA, Aurélien Lechevallier, ancien directeur de l’Institut français au Liban puis conseiller diplomatique du président jusqu’en 2019, où il est nommé ambassadeur en Afrique du Sud. Autant dire que le Liban a une place de choix, relativement à sa taille et à son importance stratégique, dans les conversations diplomatiques à l’Élysée. « Chaque semaine depuis trois ans, on échange au sein du premier cercle sur la question libanaise. On a l’habitude de travailler ensemble depuis des années, on se connaît tous très bien », confie le membre de l’équipe précité.

Emmanuel Macron arrive au Liban avec plusieurs calculs en tête : il faut marquer le coup, montrer que la France peut reprendre l’initiative dans la région après ses échecs en Libye et dans sa tentative de médiation entre les États-Unis et l’Iran, et surtout venir au secours d’un pays avec qui les relations dépassent largement les enjeux diplomatiques traditionnels. L’urgence est avant tout humanitaire. L’État libanais, du moins ce qu’il en reste, n’a pas les moyens de répondre à la catastrophe. Il faut des aides, des secouristes, il faut réfléchir à la reconstruction des logements et à celle du port. La logistique, là encore, se met en place en un temps record. Paris affrète trois avions, dont un fourni par le groupe CMA CGM dirigé par le Franco-Libanais Rodolphe Saadé, avec qui l’Élysée a travaillé en étroite coopération pendant toute l’opération. L’« initiative française », comme elle sera surnommée plus tard, n’est pas encore née, mais elle se prépare déjà dans les coulisses, en précipitation et sans en définir pour l’instant avec précision les contours. Dix jours avant, Jean-Yves Le Drian était venu à Beyrouth pour tirer la sonnette d’alarme et mettre un coup de pied dans la fourmilière avant que le pays ne s’effondre. « Aidez-nous à vous aider », avait presque imploré le ministre français, qui rappelait une énième fois que le déblocage de l’aide internationale, seule façon de remettre le Liban sur les rails, était conditionné à la mise en œuvre des réformes. Que pouvait faire la France de plus ? Abandonner complètement le Liban? Le contraindre à faire des réformes ? Mais avec quels moyens de pression et pour quels résultats face à l’urgence ? Le sauver malgré tout, et mettre une nouvelle fois sous perfusion un patient que l’on sait atteint d’une maladie incurable ? « Nous avons tiré les enseignements des échecs de Paris I, II et III (conférences internationales de soutien au Liban) », confie un diplomate français. Dès le départ, la mission était impossible, la marge de manœuvre étroite et les ambitions élevées.

« Vous avez tous été impliqués »

À peine débarqué à Beyrouth, Emmanuel Macron se rend au port puis dans le quartier sinistré de Gemmayzé. Aucun politicien libanais n’a jugé utile de s’y rendre avant lui et/ou avec lui. Le président français est accueilli comme le Messie. C’est le moment de transe de la visite, celui où l’animal politique qu’est Emmanuel Macron déroule tout son arsenal dans une théâtralité si maîtrisée qu’elle en paraît sincère. Il est en terrain conquis à Gemmayzé où il va rester pendant presque une demi-heure dans une séquence qui n’était pas prévue et qui fait le bonheur des journalistes locaux et internationaux. Emmanuel Macron déambule dans le quartier sinistré, s’offre un bain de foule et des images qui font le tour du monde. Tout le monde crie, tout le monde se pousse, tout le monde enlève et remet son masque, tout le monde veut l’approcher, le toucher, lui parler, l’implorer de les aider à se débarrasser de cette classe politique qui dirige le pays depuis des décennies. Les militaires libanais apparaissent complètement dépassés par ce président étranger qui se mêle aux gens et fait tomber la veste. La colère se mélange à l’euphorie, les chants révolutionnaires aux demandes d’ingérence dans un moment si authentique et en même temps si absurde qu’il pose les jalons d’un malentendu qui va s’installer entre Emmanuel Macron et les Libanais. Ces derniers attendent le grand soir et celui-ci n’est pas en mesure de le leur offrir. Il vient pour les réformes, pas pour la révolution.

Mais à Gemmayzé, dans cette ambiance électrique, Emmanuel Macron est porté par l’hubris. « Il sent l’atmosphère, il a compris ce qu’attendent les Libanais », commente un diplomate occidental. Le président français va loin, trop loin se rendra-t-il compte plus tard. « Je suis là aujourd’hui, je vais leur proposer un nouveau pacte politique cet après-midi et je reviendrai pour le 1er septembre et s’ils ne savent pas les tenir (les engagements, NDLR), je prendrai mes responsabilités avec vous », promet-il à un homme qui l’interpelle. Nouveau pacte politique ? Souhaite-t-il changer la Constitution et modifier les équilibres communautaires ? A-t-il conscience de la façon dont ces mots vont être reçus par les Libanais ? Le soir, lors de la conférence de presse, la moitié des questions des journalistes porteront sur ce sujet. « La communication n’est pas bonne à ce moment-là, il y a eu un manque de préparation », décrypte le diplomate occidental. « L’idée du président, c’était d’organiser un grand dialogue national qui permette de dépasser les blocages actuels », défend le membre de l’équipe française.

Changement de décor et d’ambiance. Le tribun laisse place au professeur d’école. Emmanuel Macron convoque les principaux leaders du pays à la Résidence des Pins. Seuls manquent Nabih Berry et Hassan Nasrallah, représentés respectivement par Ibrahim Azar et Mohammad Raad. Le ton est très dur et très franc. Le président français accuse les responsables libanais d’avoir mis le pays dans une situation impossible et leur explique qu’il est temps de tourner la page. « Vous avez tous été impliqués d’une façon ou d’une autre, vous devez désormais assumer tous ensemble le sauvetage du pays », dit Emmanuel Macron, selon plusieurs sources concordantes, en réponse aux leaders de certains partis qui considèrent qu’ils font partie de l’opposition et qu’ils ne devraient pas être traités de la même manière. En amont, il avait demandé à chaque leader politique de faire une présentation rapide afin de se mettre d’accord sur le début d’une feuille de route. Il voulait aller à l’essentiel, bâtir sur des projets concrets qui peuvent être partagés par tous. Résultat : la séance va durer deux heures et chacun va développer sa rhétorique.

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« Geagea parle à plusieurs reprises, Hariri est un peu long et Frangié interminable », confie un homme politique présent dans la salle. On parle de l’Iran, de la Palestine, de la Syrie, et beaucoup moins de l’audit de la banque centrale ou de la réforme de l’électricité. Samir Geagea et Samy Gemayel évoquent les armes du Hezbollah et considèrent qu’il est impossible de discuter avec un tel parti. Le Hezbollah ne répond pas. On entend les mouches voler dans la salle. Emmanuel Macron écoute attentivement, avant de mettre fin à la discussion. Il fait comprendre à tout le monde qu’il n’est pas là pour régler ce problème. Pas non plus celui du conflit israélo-palestinien ou du bras de fer américano-iranien. « Je suis là pour des choses concrètes : les réformes, les banques, la corruption. Je vous conseille de ne pas soulever d’autres points litigieux qu’on ne peut pas régler », dit-il à l’assemblée. « Je peux vous ouvrir les portes de la Banque mondiale et du FMI, mais à une condition : les réformes », ajoute-t-il. La question des armes du Hezbollah demeure l’éléphant dans la pièce. Dans l’esprit du président, impossible de lancer une initiative sans embarquer le parti, considéré comme le plus fort sur la scène libanaise.

« C’est un problème, mais pas un problème immédiat », explique un diplomate français. Emmanuel Macron prend Mohammad Raad en aparté, alors que celui-ci insiste sur le fait que le Hezbollah n’acceptera pas qu’on lui impose des conditions. Le deal est clair : Paris traite le Hezbollah au même titre que les autres partis libanais mais celui-ci doit jouer le jeu en retour. Ce parti pris vaudra à la France de nombreuses critiques et compliquera certainement la suite de l’initiative d’un point de vue géopolitique. Mais était-il possible de faire autrement ? Est-ce que le fait de marginaliser le parti chiite ou d’adopter une politique plus agressive à son égard aurait permis d’accélérer la mise en œuvre des réformes essentielles au sauvetage du pays ? Rien n’est moins sûr. Avec le Hezbollah dans l’équation, le changement à court terme est improbable. Sans lui, il est impossible.

Le président de la République Emmanuel Macron en visite au Liban le 6 août 2020. Thibault Camus/Pool/AFP

« On a compris que Macron préparait le retour de Hariri »

Dans une salle annexe, les membres de la société civile qui ont été prévenus le matin même que le président français souhaitait les rencontrer s’impatientent. La réunion avec les politiques dure beaucoup plus longtemps que prévu. L’ambiance est bizarre. Parmi la trentaine de personnalités invitées, beaucoup craignent qu’Emmanuel Macron ne soit en train de remettre en selle la classe politique traditionnelle. Ils essayent de s’organiser pour choisir des porte-parole susceptibles de représenter tout le monde et de faire passer un message d’unité au président français. Mais la tentative échoue. Il n’y a pas assez de temps, trop d’ego et chacun veut défendre sa paroisse, alors que sont réunis des gens du monde de la culture, de l’éducation, de la santé, de la justice ou des partis politiques issus de la société civile.

De l’autre côté, la séance avec les politiciens est terminée. Les grands leaders sortent, les uns après les autres, le regard vide et la mine abattue. Seul Samy Gemayel semble garder le sourire. « Quand on voit le président répéter tout ce que l’on dit depuis des années, c’est normal que l’on soit satisfait », explique-t-il quelques semaines plus tard, en souriant.

Emmanuel Macron rejoint les membres de la société civile. Il fait un tour de salle, chacun se présente et discute quelques minutes avec le président. En voyant le temps qui passe, les invités comprennent qu’il ne compte pas réunir tout le monde pour un échange plus approfondi. « Il était là pour discuter avec les gens, pas pour refaire le monde », raconte une personne présente dans la salle. Plusieurs invités s’irritent de ce qu’ils estiment être un manque de considération à leur égard. Certains lui expliquent qu’il faut soutenir les partis issus de la société civile et former un gouvernement d’urgence. « Je ne suis pas le président du Liban. C’est à vous de construire un contre-pouvoir », répond Emmanuel Macron, selon une source présente dans la salle. Les personnalités les plus politiques ressortent de la rencontre avec un goût amer. « On a compris que Macron préparait le retour de Hariri », confie l’une d’entre elles.

La conférence de presse qui va suivre résume la journée, autant en raison des sujets abordés que de l’ambiance générale, entre attente démesurée, doutes légitimes et relation passionnée. Les journalistes libanais applaudissent chaque intervention du président devant les regards interloqués de leurs confrères français. Emmanuel Macron confirme qu’il va revenir le 1er septembre prochain et s’attend à ce que la situation ait évolué dans le bon sens d’ici là. « Parce que c’est la France, parce que c’est le Liban, parce que c’est vous, parce que c’est nous », dit-il avec la dose d’émotion que ces mots requièrent, avant de conclure son discours par un « Bhebbak ya Lebnen ». L’heure est à l’optimisme dans les rangs français. On y croit, malgré les difficultés. L’explosion est un tournant qui doit entraîner un changement dans l’attitude de la classe politique locale. Paris compte sur le réveil de la rue pour maintenir la pression.

« C’est mon ami, mais je ne pense pas que ça peut passer »

De retour en France, Emmanuel Macron doit gérer les polémiques que suscite son initiative libanaise. Le président est accusé d’ingérence et de néocolonialisme. Un paradoxe, après avoir réfréné pendant 24 heures les invitations d’une partie des Libanais à prendre en main le destin de leur nation. « Ces critiques sur le colonialisme, c’est à la fois stupide et cliché. C’est la France qui a créé le Grand Liban et c’est normal que la France vienne à notre secours dans un tel moment », avance Walid Joumblatt.

Les polémiques enflent des deux côtés de la Méditerranée sur les réelles intentions françaises, alors que Paris a dépêché son porte-hélicoptères Tonnerre au port de Beyrouth. La France est accusée de vouloir mettre la main sur le port pour contrer les ambitions d’Ankara en Méditerranée orientale et s’approprier une partie des ressources gazières qui dorment dans la région. « Nous avons des intérêts et nous les assumons. La France développe une stratégie en Méditerranée orientale. Nous avons conforté des partenariats stratégiques avec la Grèce, Chypre et l’Égypte, et cela doit inclure le Liban. C’est dans l’intérêt du Liban mais aussi de la France et de ses entreprises, notamment CMA CGM », explique Gwendal Rouillard, proche de Le Drian. « Le port libanais n’est pas d’une grande importance stratégique », nuance un diplomate occidental.

Sur la scène locale, les vieilles habitudes reprennent rapidement le dessus. Le Premier ministre Hassane Diab démissionne le 10 août. S’ensuivent des semaines de tractations, de négociations de petits boutiquiers et de jeux de rôle comme la politique libanaise sait si bien en offrir. Emmanuel Macron appelle tous les leaders politiques un à un pour les presser de former un « gouvernement de mission ». Lors de sa visite au Liban, il avait parlé de gouvernement d’union nationale, ce qui avait alimenté une certaine confusion, vite rectifiée par les conseillers de l’Élysée. « En France, l’expression renvoie au fait que les partis laissent leur place à un groupe d’individus qui défendent l’intérêt général et qui mettent leurs différends de côté pour sauver la patrie. Au Liban, c’est perçu comme un retour au partage du gâteau habituel », décrypte un diplomate français.

Emmanuel Macron et ses conseillers tâtent le terrain auprès de chaque leader. « Que pensez-vous d’un retour de Saad Hariri ? » Chacun se positionne. Du côté français, on ne tient pas forcément au retour de l’ex-Premier ministre libanais, mais l’échec de l’expérience Diab a convaincu qu’il fallait absolument obtenir son aval sur le choix de la figure sunnite amenée à diriger le futur gouvernement. Saad Hariri a la préférence des partis chiites, mais n’a pas le soutien, pour des raisons différentes, des partis chrétiens. Walid Joumblatt n’est pas non plus favorable au retour de l’ex-Premier ministre qui risque, selon lui, de crisper un peu plus la rue. « Je suis allé chez Berry pour lui expliquer pourquoi je n’étais pas pour un retour de Hariri. Il était surpris. Je lui ai proposé le nom de Nawaf Salam. Berry m’a dit “c’est mon ami, c’est un bon diplomate, mais je ne pense pas que ça peut passer”. J’ai compris le message », raconte Walid Joumblatt. Nawaf Salam, personnalité plébiscitée par la société civile et par une partie des formations politiques traditionnelles, est considéré par le Hezbollah comme trop proche des Américains.

« J’ai ensuite pensé à Tammam Salam. Je suis allé chez lui pour lui en parler, mais il m’a répondu de façon polie qu’il n’avait pas envie de répéter l’expérience avec Gebran Bassil », poursuit le leader druze. Le temps passe et les tractations ne donnent aucun résultat. Emmanuel Macron est censé revenir au Liban dans les prochains jours et le pays n’a toujours pas réussi à s’entendre sur le choix d’un Premier ministre. Mais 24 heures avant l’arrivée du président, la classe politique va surprendre tout le monde en sortant de son chapeau le nom d’un parfait inconnu. Ancien chef de cabinet de Nagib Mikati et ambassadeur du Liban en Allemagne, Moustapha Adib reçoit en quelques heures l’aval de presque tous les partis pour accéder au poste le plus important du pouvoir réglementaire libanais. « Il y a eu des discussions de très haut niveau entre Paris et Beyrouth à ce sujet. Il avait un profil acceptable, des liens avec les anciens Premiers ministres sunnites et une capacité à être accepté par tous », décrypte une source proche du dossier. Un mois plus tard, Moustapha Adib prendra un aller simple pour Berlin.

Le second épisode est ici : II - Emmanuel Macron dans les méandres de la politique libanaise

4 août 2020. Emmanuel Macron a posé ses valises depuis quelques jours au fort de Brégançon, la résidence d’été des présidents français. La journée s’annonce plutôt calme et agréable. Il fait beau, la France pense avoir réussi son déconfinement et le président en profite pour effectuer sa première sortie officielle à Toulon auprès des auxiliaires de santé et des policiers....

commentaires (13)

Vous y êtes allé trop vite sur la désignation de Mustapha Adib et sa filiation élyséenne., dont le beau père officierait à lÉlysée. comme noble correspondant des services...

Guy de Saint-Cyr

20 h 38, le 30 octobre 2020

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Commentaires (13)

  • Vous y êtes allé trop vite sur la désignation de Mustapha Adib et sa filiation élyséenne., dont le beau père officierait à lÉlysée. comme noble correspondant des services...

    Guy de Saint-Cyr

    20 h 38, le 30 octobre 2020

  • Excellent article

    Georges Khalil

    15 h 53, le 28 octobre 2020

  • Ça c’est un décryptage. C’est Pour quand le prochain épisode?

    Sissi zayyat

    12 h 02, le 28 octobre 2020

  • POURQUOI VOUS NE PUBLIEZ PAS LA CARICATURE DE CHARLIE HEBDO SUR ERDOGAN ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 41, le 28 octobre 2020

  • JE T,AIDE A TE RETABLIR. - JE NE VEUX PAS. J,AIME RESTER MALADE ET MOURIR. TELLE EST L,HISTOIRE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 51, le 28 octobre 2020

  • JE T,AIDE A TE RETABLIR. - JE NE VEUX PAS. J,AIME RESTER MALADE ET MOURIR. TELLE EST L,HISTOIRE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 51, le 28 octobre 2020

  • Où on voit que la diaspora libanaise et ses alliés sortent enfin du bois qu’il s’agisse de CMA CGM, de Bernard Mourad ou de Franćais mariés à des Libanaises. Un futur lobby qui pèsera un jour sur les politiques étrangères au Liban? Sur la politique locale? On peut rêver..

    Marionet

    08 h 25, le 28 octobre 2020

  • Un vrai régal que cet éclairage!

    Marie-Hélène

    07 h 22, le 28 octobre 2020

  • Si vous voulez vendre des abonnements, c'est ce genre d'articles qu'il faut ecrire et des enquetes sur le terrain Y'en a marre des analyses du mehwar amerki vs mehwar tartenpion

    Elementaire

    06 h 19, le 28 octobre 2020

  • Hâte de lire la suite

    PS

    06 h 12, le 28 octobre 2020

  • J’aime beaucoup la plume et les analyses d’Anthony Samrani et cette rétrospective qui, effectivement, nous donne le goût de la suite...merci.

    De Chadarévian Simone

    03 h 06, le 28 octobre 2020

  • En tou cas, actuellement avec la crise du Covid en France qui accapare les responsables dont M Macron , en rajoutant la crise temporaire avec la turquie ET eu égard au menfoutisme des responsables libanais qui ont recrée un gouvernement à leur image avec les mêmes partis, même partage du gateau... Le liban n 'a plus rien à attendre de la France et des autres pays. Les tenants du pouvoir au liban croient se moquer des libanais et du monde entier avec ce gouvernement bis ?? Leur farce ne fonctionnera pas cette fois ci. Cette classe politique est en train de se tirer une énième balle au pied. Ils sont en train de signer la fin de leur occupation du pouvoir et du partage du gateau. Puisque gateau, il n'y en aura plus.

    LE FRANCOPHONE

    01 h 15, le 28 octobre 2020

  • Très bon papier au style enlevé. On a envie de lire la suite.

    Marionet

    00 h 42, le 28 octobre 2020

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