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Politique - GRAND ANGLE / DANS LES COULISSES DE L’INITIATIVE FRANÇAISE

II. Emmanuel Macron dans les méandres de la politique libanaise

Le 1er septembre, le président français pousse les leaders libanais à s’engager à former un gouvernement de mission en deux semaines et à mettre en œuvre les réformes prévues par la feuille de route. Deux mois plus tard, il n’y a toujours pas de gouvernement et pas le moindre début de réforme. Que s’est-il passé ? Pourquoi l’initiative française a-t-elle capoté ? Récit des limites de la diplomatie française dans le bourbier libanais.


II. Emmanuel Macron dans les méandres de la politique libanaise

Emmanuel Macron à la Résidence des Pins le 1er septembre 2020. Photo AFP

31 août 2020. Dans l’avion en direction de Beyrouth, Emmanuel Macron expose sa stratégie libanaise dans un entretien accordé à Rym Momtaz, une journaliste du site américain Politico qui a la particularité de bien maîtriser les deux dossiers en question : la diplomatie macronienne et le Liban. « Je prends un pari risqué, j’en ai conscience… je mets la seule chose que j’ai sur la table : mon capital politique », explique le président, contraint par la réalité libanaise de se livrer à cet exercice d’humilité. L’homme est à la fois un cérébral et un instinctif, capable de s’approprier en un temps restreint des dossiers complexes mais aussi de saisir l’opportunité quand elle se présente. Au lendemain de l’explosion du 4 août, il sent le moment et se jette dans la fosse libanaise. La tragédie ouvre une brèche dans laquelle Emmanuel Macron s’engouffre pour remettre la France au cœur du jeu politique local avec un objectif précis : empêcher l’effondrement total du pays qui doit advenir, selon tous les indicateurs, dans les prochains mois. S’il réussit, il restera comme celui qui a sauvé le Liban et permis à la France de frapper un grand coup dans toute la région. Mais s’il échoue, l’initiative sera perçue au contraire comme un révélateur des limites de la puissance française au Proche et au Moyen-Orient, et de son arrogance à continuer de vouloir jouer dans la cour des grands.

Retrouvez, ici, la première partie de ce grand angle

Dans les coulisses de l’initiative française : Macron au secours du Liban (I/II)

Un président français qui vient à deux reprises en moins d’un mois dans un petit pays de quelques millions d’habitants de l’autre côté de la Méditerranée, ce n’est pas rien. Certes, le pays en question est le dernier pré carré français au Moyen-Orient et constitue un terrain idéal pour venir ajouter son grain de sel dans plusieurs grands dossiers régionaux – la guerre en Syrie, le bras de fer américano-iranien et les tensions en Méditerranée orientale. Mais cela justifie-t-il pour autant que la plus haute autorité de l’exécutif français vienne mettre son « capital politique sur la table » dans une opération de sauvetage qui ressemble dès le départ à une mission impossible ? Le Liban en vaut-il la chandelle ? Aux yeux de la France, la réponse ne fait aucun doute. C’est parce que Paris ne peut se résigner, pour des raisons historiques et géopolitiques, à regarder le bateau libanais couler sans rien faire que l’initiative française a été lancée. C’est parce que la France, contrairement aux autres pays européens, n’a pas renoncé à sa volonté d’être une puissance dans la région qu’autant de moyens humains et matériels ont été déployés. C’est parce que Emmanuel Macron a la passion de l’histoire et qu’il veut l’écrire à son tour dans cette région qu’il a pris le risque de mettre les pieds dans le bourbier libanais. « C’est un homme qui aime prendre des risques et qui cherche toujours à trouver des solutions, surtout quand on lui dit que c’est compliqué », commente Bernard Mourad, banquier d’affaires franco-libanais et ami de 10 ans du président français. « Il ne faut pas oublier d’où il vient. Il a réussi à faire exploser un système politique bipartisan qui existe depuis le début de la Ve République », ajoute-t-il. Comment apprendre l’humilité quand on a ravi le pouvoir au nez et à la barbe de tous à seulement 39 ans et sans jamais avoir été élu auparavant ? Comment ne pas croire après cela que sa seule détermination peut suffire à déplacer des montagnes ?


Emmanuel Macron dans les cèdres de Jaj le 1er septembre 2020. Photo AFP


« Hariri se plantait complètement »

Emmanuel Macron arrive au Liban dans la soirée du 31 août pour une visite toute en symboles. Il s’agit de célébrer le centenaire du pays à un moment où celui-ci est à l’agonie mais aussi de mettre les mains dans le cambouis de la politique libanaise pour relancer une initiative qui, à peine le président avait quitté la place lors de sa précédente visite, était déjà enlisée. Après une rencontre avec Feyrouz à l’abri des caméras, Emmanuel Macron reçoit Saad Hariri à la Résidence des Pins, tard dans la soirée. La famille Hariri est le principal allié de Paris sur la scène politique libanaise depuis 25 ans. Entre les deux hommes, la relation est bonne sur le plan personnel et a été renforcée par les moments difficiles. Mais Saad Hariri a beaucoup déçu ses interlocuteurs français au cours de ces dernières années au point qu’ils ont considéré, à un moment donné, son retrait de la scène politique comme n’étant pas une si mauvaise chose. Et pour cause : Emmanuel Macron a engagé à plusieurs reprises son « capital politique » pour celui qui était alors Premier ministre. En le sortant des griffes saoudiennes en novembre 2017. En organisant la conférence de soutien international au Liban dite

CEDRE en avril 2018, un mois avant les législatives libanaises et en faisant de lui le principal interlocuteur pour gérer cette initiative, déjà destinée à éviter la faillite de l’État libanais. Les mois ont passé et les réformes ne sont jamais venues. Certes, la tâche de Saad Hariri n’a pas été facilitée par ses partenaires au sein du gouvernement, plus occupés à batailler pour se tailler la part du lion qu’à tenir les engagements qu’ils avaient pris auprès de la communauté internationale. Mais le leader sunnite est loin d’avoir été irréprochable sur ce plan-là et y a ajouté en plus une certaine nonchalance qui a fini par irriter l’Élysée. « Hariri considérait CEDRE comme son affaire personnelle et s’appuyait sur une équipe de deux économistes qui n’étaient pas capables de porter un plan de onze milliards », raconte une source proche du dossier. « À chaque fois qu’il s’entretenait directement avec Macron, il se plantait complètement, si bien que tout a été fait pour essayer d’éviter ce scénario », ajoute la source précitée. L’échec du gouvernement Diab a toutefois contraint Paris à revoir ses analyses. Dans le contexte politique actuel, l’absence de couverture sunnite, que Saad Hariri est le seul à pouvoir réellement offrir, est une épine dans le pied de n’importe quel Premier ministre, si gênante qu’elle finit nécessairement par le paralyser. « On a compris que Hariri voulait continuer à tirer les ficelles », résume un membre de l’équipe française.

Il est minuit passé à la Résidence des Pins et la journée à venir a des allures de marathon. Mais Emmanuel Macron prend tout de même le temps de discuter avec Saad Hariri, qui n’occupe alors aucune fonction officielle, pour s’assurer du fait que le chef du courant du Futur facilite la suite des opérations. Les semaines suivantes confirmeront que l’intuition était bonne, mais les promesses bien trop fragiles.

Difficile de faire plus symbolique. Pour la seconde fois en moins d’un mois, et cent ans jour pour jour après la proclamation du Grand Liban par le général Gouraud à la Résidence des Pins, Emmanuel Macron convoque tous les leaders politiques du pays dans ce lieu mythique. La veille, un parfait inconnu du nom de Moustapha Adib avait été nommé Premier ministre après avoir obtenu le soutien de toutes les formations politiques, à l’exception des Forces libanaises et des Kataëb. Le nom aurait été proposé par Nagib Mikati, après concertation avec les ex-Premiers ministres libanais. « Nous étions d’accord pour soutenir le candidat proposé par Saad Hariri quel qu’il soit. Il était question de trois noms, Mohammad el-Hout (PDG de la MEA), Ghassan Oueidate (procureur de la République) et Moustapha Adib. Le président Aoun a opté pour Adib, alors, naturellement, nous avons suivi ce choix », explique Afif Naboulsi, porte-parole du Hezbollah. Moustapha Adib jouit d’une bonne réputation et est bien connecté politiquement, ce qui devrait faciliter la suite des tractations, pense-t-on côté français. « Nous n’étions pas tellement intéressé par le nom du futur Premier ministre, mais plutôt par sa capacité à agir et à obtenir l’aval de Hariri », décrypte un diplomate français.

« Nous ne sommes pas là pour recevoir des instructions »

Quelques minutes avant le début de la réunion, Paris distribue une feuille de route qui fait la synthèse des principales réformes exigées par la communauté internationale si le Liban veut bénéficier d’une aide extérieure. Les points sont précis et techniques, la discussion est censée être rationnelle et ne pas s’éterniser. Le plan français contourne tous les sujets qui peuvent faire débat ou presque sur la scène politique locale. Il n’est pas fait mention des armes du Hezbollah ou de la politique étrangère de Beyrouth. « Nous n’avions pas la prétention de régler en quelques semaines ce que le Liban et ses amis n’ont pas réglé en 30 ans », explique un membre de l’équipe française. Emmanuel Macron prend la parole pour presser les leaders politiques de mettre la feuille de route à exécution dans les plus brefs délais. Il faut imaginer la scène : le jeune président français remontant avec entrain les bretelles des vieux briscards libanais. Mais ces derniers en ont vu d’autres et ne parlent pas le même langage. « Macron est un cartésien et Descartes n’est jamais passé par le monde arabe », s’amuse Walid Joumblatt.

La discussion s’éternise, comme lors de la première visite. « Nous ne sommes pas là pour recevoir des instructions », dit Mohammad Raad, qui représente le Hezbollah. « Ce ne sont pas des instructions, mais des recommandations », répond Emmanuel Macron. Dans l’ensemble, la feuille de route ne fait pas vraiment débat. « Je ne crois pas que l’un d’entre nous ait pris le temps de la lire avec attention à ce moment-là », admet un homme politique libanais. « Nous étions d’accord avec 90 % du contenu », résume Afif Naboulsi. Un seul point fait débat et menace de faire capoter toute l’initiative : l’organisation d’élections législatives anticipées. Le Hezbollah, Amal et le Courant patriotique libre sont contre, alors que le dernier cité est certainement celui qui aurait le plus à perdre en cas d’élections. Les FL et les Kataëb menacent de quitter la salle si le point est retiré. Emmanuel Macron prend conscience qu’il sera impossible de parvenir à un compromis sur cette question. L’urgence est aux réformes, les élections sont de toute façon prévues pour 2022 et les partis issus de la société civile ne sont pas encore prêts pour y obtenir un résultat significatif. Le président décide alors de retirer le point litigieux. « C’était la seule chose qui nous donnait de l’espoir », souligne Samy Gemayel. Pourquoi ne pas avoir déserté les lieux alors à ce moment-là ? « Nous avons exprimé notre mécontentement, mais cela ne sert à rien de se retirer d’une réunion pareille et de casser les ponts avec la France qui a toutes les bonnes intentions du monde à l’égard du Liban », explique le chef des Kataëb.

Ce débat tranché, il s’agit désormais pour chaque homme politique présent dans la salle de s’engager à respecter la feuille de route et à former pour cela un « gouvernement de mission » dans les deux semaines. Walid Joumblatt ouvre le bal et Saad Hariri le ferme. Le leader sunnite s’engage sans s’engager, en disant qu’il fera tout pour soutenir l’action de Moustapha Adib mais en faisant comprendre qu’il n’est pas prêt à tous les compromis.

Il est presque 22h quand Emmanuel Macron se présente devant les journalistes pour la conférence de presse censée clôturer la visite. Le président a obtenu ce qu’il voulait et le fait savoir : les leaders se sont engagés à former un gouvernement dans les deux semaines et à entreprendre les premières réformes dans les six semaines à venir. Il annonce, par ailleurs, qu’il reviendra pour faire le point en décembre. Trois mois pour une dernière chance. On veut y croire, des deux rives de la Méditerranée.

« J’avais beaucoup d’espoir à ce moment. Je me disais “qu’est-ce qui peut bien nous arriver de pire encore ?”. Mais ensuite la géopolitique a repris le dessus », raconte Walid Joumblatt.

« Il n’est pas si différent des nôtres finalement »

Il y a une atmosphère particulière ce soir-là dans la cour de la Résidence des Pins. Comme un sentiment que la journée n’est pas finie et qu’il va encore se passer quelque chose. La conférence de presse est terminée depuis quelques minutes lorsque l’on entend le ton monter en plein milieu de la cour. Emmanuel Macron s’emporte avec virulence contre le journaliste du Figaro Georges Malbrunot, lui reprochant d’avoir écrit que la France s’apprêtait à sanctionner des leaders libanais, dont Saad Hariri, en coopération avec les Américains. La séquence dure plusieurs minutes dont une partie est captée par les caméras et animera le lendemain les débats sur les plateaux télé français. « Cela a contribué à brouiller la communication », reconnaît un diplomate français. Le président français souhaitait-il envoyer un message aux leaders locaux ou est-il tout simplement sorti de ses gonds après une journée entamée tôt le matin dans les cèdres de Jaj et sans interruption jusqu’à ce moment-là ? Les journalistes locaux découvrent une nouvelle facette du personnage : un chef d’État démocratique capable d’humilier un journaliste devant une large audience. « Il n’est pas si différent des nôtres finalement », s’amuse l’un d’entre eux.

Au-delà de la polémique, la séquence fait jaser, car elle entretient un fantasme, né durant la précédente visite d’Emmanuel Macron : celui qu’il s’apprêterait à sanctionner l’ensemble de la classe politique, pour des questions de corruption et/ou de liens avec le terrorisme. Lors de sa première conférence de presse, le président français avait admis pour la première fois qu’il n’excluait aucune option. Des sanctions françaises contre le Liban ? Contre un pays allié et y compris contre des leaders avec qui la France entretient des relations étroites depuis des années ? Sur le plan diplomatique, c’est du jamais-vu. Et puis comment les justifier ? Sur quelles bases légales et avec quel objectif ? En septembre devant les journalistes, Emmanuel Macron modère les attentes : l’option est sur la table, mais elle n’est pas privilégiée et ne peut être une réponse à l’absence de réformes. Un mois plus tard, lors d’une conférence de presse à Paris consacrée au Liban, il enterre complètement cette possibilité, au grand dam de tous ceux qui y voyaient le seul moyen de contraindre les politiciens locaux à céder du terrain. « C’est une méthode américaine, pas une méthode française », dit le président français.

Des semaines durant pourtant, Paris a véritablement envisagé cette option. Pourquoi avoir reculé à un moment où le bâton pouvait venir compléter la carotte ? « Il y a eu un effet de bluff. Mais en réalisant que les personnes attendaient trop des sanctions, on a fait redescendre le sujet », explique le membre de l’équipe française précité.Retour à Beyrouth, où l’esprit de l’initiative française semble déjà avoir été oublié. Le conseiller diplomatique du président, Emmanuel Bonne, le chef de la DGSE, Bernard Émié, et l’ambassadeur au Liban, Bruno Foucher, sont pourtant en contacts quotidiens avec les leaders libanais. Mais la politique locale a ses raisons que la raison ignore. Encore plus quand on y ajoute une dose de géopolitique réelle ou fantasmée. Dans l’arène, un bras de fer sunnito-chiite se met en place. Le camp sunnite, représenté par le clan des quatre anciens Premiers ministres, veut profiter de l’initiative française pour prendre sa revanche sur les chiites, après l’humiliation subie avec l’expérience Diab et après des années à avoir été contraint de baisser la tête face à l’arrogance du Hezbollah. La dynamique régionale est en leur faveur, le parti chiite étant dans le corner à tous les points de vue. Il est temps de rappeler que la Constitution dispose, depuis les accords de Taëf, que c’est le Premier ministre qui forme le gouvernement avec comme seul contrainte obligatoire celle de faire valider sa mouture par le président de la République. Autrement dit, les chiites sont exclus du processus. Pour avoir leur mot à dire et être en capacité de bloquer toute action qui ne leur conviendrait pas, les partis chiites vont réclamer deux choses : conserver le ministère des Finances – alors que la majorité des décrets nécessite une contre-signature du ministre qui en a la tutelle – et nommer tous les ministres chiites du gouvernement. Hors de question pour les sunnites. Sur les recommandations des anciens Premiers ministres, Moustapha Adib décide de ne consulter aucune des grandes formations politiques, rompant ainsi avec une coutume bien installée depuis des années. « Chaque fois que nous proposions une idée ou que nous parlions d’un sujet, l’entourage de Adib nous disait qu’il devait d’abord obtenir l’accord de Hariri », raconte Afif Naboulsi.

La tension monte et la situation apparaît très vite bloquée. Comment en est-on arrivé là, alors que le président français avait promis un gouvernement dans les deux semaines ? « Macron s’est fait avoir par les sunnites », commente un analyste libanais proche du dossier. « C’est ce que j’ai dit à mes interlocuteurs à Paris au mois de septembre : ça va foirer, parce que tout le monde sait en ville que Adib ne consulte pas et que tous les noms sont fournis par les anciens PM », ajoute-t-il.

Les questions de la nomination du gouvernement et de la rotation des ministères ne faisaient pas partie de la feuille de route française. « On est allé loin déjà et on était à un niveau présidentiel. Si on l’avait fait, on nous aurait encore plus accusés d’ingérence », explique un diplomate français. « C’était compliquer leur tâche que de rentrer là-dedans », confirme un homme politique libanais.

« Le Hezbollah réfléchit en millimètre carré »

Les hommes à la manœuvre du côté français connaissent la politique libanaise sur le bout des doigts pour l’avoir pratiquée pendant des années. Et pourtant, même eux semblent avoir été dépassés par la tournure des événements. « On comprend vite que l’attitude de Adib va poser problème, mais on ne pense pas que cela va tout bloquer », raconte un diplomate français.

L’attitude de Saad Hariri surprend tout le monde. L’ancien Premier ministre a adopté pendant des années une position modérée vis-à-vis du Hezbollah et il décide de la durcir au moment même où il est remis en selle par l’initiative française. Surprenant mais compréhensible, compte tenu de l’ambiance locale et régionale. « Ce qui est en jeu pour lui, c’est le leadership au sein de la communauté sunnite », résume un membre de l’équipe française. Pour ne pas être débordé à sa droite par son frère Baha’ et d’autres faucons sunnites, il est obligé de durcir le ton. Quand le roi Salmane d’Arabie saoudite, avec qui il entretient des relations très froides depuis des années, dénonce l’hégémonie du Hezbollah à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le leader sunnite comprend le message. Riyad ne voit pas d’un bon œil l’initiative française qui donne de la crédibilité politique au Hezbollah, alors que le royaume considère au contraire que l’effondrement du pays est en train d’affaiblir son ennemi. Les États-Unis ne sont pas en reste. Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo signe une tribune au vitriol contre l’Iran et le Hezbollah dans les pages du Figaro quelques jours après que Washington a annoncé de nouvelles sanctions contre Youssef Fenianos, membre du parti Marada, et Ali Hassan Khalil, pilier du parti Amal, tous les deux considérés comme des alliés du Hezbollah. « On savait qu’il y aurait des sanctions américaines, mais on ne connaissait ni les détails ni le timing », explique un diplomate français, qui reconnaît que cette action a « savonné la planche française ». « C’est le rouleau compresseur de l’administration américaine qui s’est mis en marche avec un agenda différent de celui de Paris », décrypte un bon connaisseur du dossier. Quelques semaines plus tard, Nabih Berry annoncera la reprise des négociations entre le Liban et Israël pour la délimitation des frontières maritimes.

En attendant, les sanctions vont durcir la position des partis chiites. Et surtout, renforcer l’idée qu’ils ne s’adressent pas au bon interlocuteur. Sous la pression de Paris, Saad Hariri accepte de faire un compromis et d’accorder le ministère des Finances aux chiites à condition que son camp le nomme. Hors de question pour les chiites. « Pourquoi Hariri nommerait-il nos ministres », s’énervent-ils auprès des Français.

« On vous a considérés comme un interlocuteur politique, mais le temps du retour d’ascenseur est venu », tentent de convaincre les Français. Mais le tandem chiite ne lâche rien, autant pour des questions de surenchères communautaires que d’enjeux géopolitiques.

Le parti chiite vit une situation paradoxale. Il n’a jamais été aussi fort, tant au Liban que sur la scène régionale. Mais toutes ses positions sont fragilisées et il a le sentiment d’être encerclé de toutes parts. Au Liban, il sait qu’il est en train de perdre une partie de sa couverture chrétienne et qu’il risque de se retrouver seul contre tous les autres. Dans la région, il voit se dessiner une alliance américano-israélo-golfique aux portes de l’Iran. Plus il est acculé, moins il est enclin à lâcher du lest. « En Occident on raisonne en kilomètre carré. Le Hezbollah raisonne en centimètre carré, si ce n’est en millimètre carré », décrypte la source au sein de l’équipe française. « Pour le Hezbollah, le Liban est une carte à donner aux Américains, pas aux Français », relève un politicien libanais.

« On a utilisé toutes nos cartes »

Moustapha Adib se récuse le 26 septembre après avoir échoué à former un gouvernement. Le lendemain, lors de sa conférence de presse, Emmanuel Macron vilipende les leaders politiques libanais, en désignant nommément Saad Hariri et en imputant la principale responsabilité de l’échec de l’initiative au Hezbollah. « J’ai honte pour les dirigeants libanais », dit le président français après avoir fait une analyse clinique de la situation dans le pays. Emmanuel Macron laisse la porte ouverte, mais sa colère ne fait aucun doute : il sait que son pari libanais est quasiment perdu et, qu’à moins d’un miracle, l’effondrement du pays ne pourra plus être évité.

« Le problème à ce moment-là, c’est qu’on a utilisé toutes nos cartes. À partir du moment où le président intervient, on ne peut plus faire monter la pression », admet le membre de l’équipe française qui considère que les délais restreints n’ont pas permis de prendre le temps nécessaire pour embarquer les partenaires internationaux et régionaux.

Un mois plus tard, Saad Hariri fait son grand retour en étant à nouveau nommé Premier ministre. La presse locale est convaincue qu’il dispose d’un appui français et d’un feu vert américain et saoudien. La nouvelle ambassadrice de France au Liban Anne Grillo confirme que Paris a eu des discussions avec ses partenaires, mais précise que la France « jugera sur les actes ». Entre Paris et Beyrouth, les contacts sont en tout cas beaucoup moins intenses qu’au mois de septembre. Et les diplomates français tiennent à mettre les pendules à l’heure : « L’aide internationale ne va pas se débloquer magiquement parce que Hariri est revenu. »

La France n’abandonnera jamais le Liban. Mais le moment macronien est peut-être passé, à moins que la classe politique se décide soudain à réaliser en quelques semaines ce qu’elle n’a pas fait depuis des années. L’histoire peut-elle se terminer autrement ? « La visite de décembre apparaît très compromise », estime un diplomate français. « Chaque jour il y a des réunions sur le Liban à Paris pour préparer sa venue », affirme pour sa part le membre de l’équipe française. Avant d’ajouter : « On a conscience de nos limites, mais on n’a pas le droit de lâcher. »

31 août 2020. Dans l’avion en direction de Beyrouth, Emmanuel Macron expose sa stratégie libanaise dans un entretien accordé à Rym Momtaz, une journaliste du site américain Politico qui a la particularité de bien maîtriser les deux dossiers en question : la diplomatie macronienne et le Liban. « Je prends un pari risqué, j’en ai conscience… je mets la seule chose que...
commentaires (5)

Pardon, mais le titre est un peux présomptueux: "dans les méandres" je ne pense pas, il y a eu un moment "Liban" chez le Président après le désastre du 4 août, tout comme le moment "Liban" qu'il a eu quand Hariri était coincé en Arabie. Il a essayé de faire quelque chose, si ça ne marche pas je ne pense qu'il va bouleverser son agenda politique pour nous mettre au sommet de ses priorités. Le monde y en a marre de nous !

Shou fi

23 h 12, le 29 octobre 2020

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Commentaires (5)

  • Pardon, mais le titre est un peux présomptueux: "dans les méandres" je ne pense pas, il y a eu un moment "Liban" chez le Président après le désastre du 4 août, tout comme le moment "Liban" qu'il a eu quand Hariri était coincé en Arabie. Il a essayé de faire quelque chose, si ça ne marche pas je ne pense qu'il va bouleverser son agenda politique pour nous mettre au sommet de ses priorités. Le monde y en a marre de nous !

    Shou fi

    23 h 12, le 29 octobre 2020

  • Après trois ans en place, Macron est toujours à la cherche d’un nouveau cap, dans un climat de violence et de débâcle sanitaire, (attentat ce jeudi à Nice dans une église). Le macronisme, c’est le ""en même temps"" tout terrain, de l’Afrique, à la Russie de Poutine, en se heurtant au néo sultan Erdogan en Grèce et Chypre, et on se demande si l’efficacité de cette stratégie lui assure un nouveau mandat. Quand il faut chercher l’efficacité de la main tendue, c’est par l’acte et non par les déclarations d’amour, "je t’aime mon Liban". Sinon comment expliquer (vos longs articles d’hier et d’aujourd’hui) l’abandon du Liban à son triste sort depuis un demi-siècle, et les trois visites des chefs d’Etat français Mitterrand, Chirac, et Macron sont les visites au chevet d’un moribond. Dans un pays où l’insécurité et l’instabilité empêchent tout investissement étranger (aucune usine de Renault sous Carlos Ghosn au Liban) pour favoriser la création d’emploi, et j’en passe. Il faut garder les ponts avec la France, (non pas les ponts Bailey livrés par la France lors de la stupide guerre de 2006), mais les ponts économiques qui relient nos jeunes à la liberté et la vie dans la dignité.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    16 h 51, le 29 octobre 2020

  • On peut résumer cet article en un seul titre. La bataille d’influences sunnites-chiites sur la scène libanaise. Si une faction des chrétiens ne s’était pas acoquinée avec les vendus on en serait pas là. Ils leur ont donné le bâton pour nous assommer avec en se scindant et accordant ainsi une majorité parlementaire aux fossoyeurs de la nation et continuent à patauger dans la merde en emportant le pays avec eux n’ayant comme objectif que de garder leur pseudo pouvoir qui nous a mené à la ruine totale pour qu’ils s’enrichissent. Il est temps d’inverser la vapeur en trouvant d’autres partenaires libanais patriotiques qui s‘allieront pour sauver notre pays des griffes des ennemis de la républiques. L’opposition n’a d’autre choix que de former un gouvernement parallèle dans l’urgence et de le présenter au monde comme une alternative pour sortir de ce bourbier avec l’appui de la rue et sous la pression des états amis.

    Sissi zayyat

    10 h 36, le 29 octobre 2020

  • LE PAUVRE IL S,EST LAISSE PRENDRE DANS LES FILETS DES MAFIEUX QUI GOUVERNENT LE LIBAN.

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 03, le 29 octobre 2020

  • Au-delà de ce qui se dit et s'écrit il y a les bonnes intentions de la France. Dans les méandres des argumentations c'est le sens de l'urgence qui se dissout. Le temps n'a plus de valeur. Notre seul repère pour les prochaines élections: voter pour ceux qui comprennent la valeur du temps et son impact sur nos vies, celles de nos enfants et nos petits enfants.

    Zovighian Michel

    01 h 54, le 29 octobre 2020

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