
Le président Michel Aoun recevant le 24 octobre 2020 le Premier ministre désigné Saad Hariri. Photo Dalati et Nohra
Alors que tout portait à croire que la tâche dont s’est trouvé investi Saad Hariri jeudi dernier était titanesque et semée d’embûches, celles-ci semblent avoir été levées comme par enchantement, en moins de 48 heures. Ayant boudé le processus de négociations politiques en amont et refusé de nommer M. Hariri pour former un cabinet, Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre, la plus importante formation chrétienne qui fait tandem avec le président de la République, semble être revenu sur son opposition et avoir accepté de traiter avec le fait accompli.
Alors qu’il était quelques jours plus tôt à couteaux tirés avec Saad Hariri, le chef du CPL a fini par se réunir avec lui vendredi dernier dans le cadre des traditionnelles consultations parlementaires non contraignantes. Un geste qui a surpris de nombreux observateurs de la scène politique libanaise, qui évoquaient une querelle d’ego entre les deux hommes bien plus grave et plus profonde qu’un conflit politique plus facilement remédiable en général.
En annonçant très tôt qu’il n’avaliserait pas la candidature de M. Hariri, M. Bassil avait été même plus loin en jurant devant son public qu’il ne changerait pas d’avis même si les consultations parlementaires contraignantes devaient été reportées, ce qui fut le cas il y a deux semaines. Mais c’est mal connaître les ambitions et la détermination du chef du CPL à ne pas lâcher prise et à mettre de côté les considérations personnelles pour ne pas rater le coche. Ayant perdu le pari de la désignation, M. Bassil joue aujourd’hui la carte du pragmatisme. Il ne voudrait surtout pas perdre la prochaine manche qui se joue au niveau de la composition du gouvernement, un processus qui ne passera pas sans qu’il n’y appose son empreinte, même s’il doit le faire désormais, comme d’autres formations d’ailleurs, de manière plus discrète que d’habitude, histoire de ne pas enflammer la rue.
C’est dans cette optique qu’il faut comprendre la seule condition posée – pour l’heure – par M. Bassil lors de sa rencontre avec le Premier ministre désigné. Le chef du CPL, qui a exprimé son soutien à la feuille de route française et aux réformes, a demandé à M. Hariri que des « critères unifiés » soient appliqués en matière de composition du cabinet. Comprendre : ce qui vaut pour les autres vaut également pour le bloc aouniste. Si M. Hariri s’est donc engagé en amont à satisfaire les desiderata du tandem chiite, mais aussi ceux de tous les autres groupes parlementaires qui ont consenti à sa désignation, il devra en faire tout autant avec le CPL maintenant que ce dernier vient de marquer son retour dans l’arène du marchandage politique.
Le CPL qui, à l’instar des Forces libanaises, n’a pas non plus nommé Saad Hariri s’est ainsi dépêché d’inverser la vapeur afin de ne pas se mettre hors jeu comme l’ont fait les FL. Il ne veut pas non plus paraître comme étant le mauvais perdant et porter, en la faisant assumer par ricochet au chef de l’État, la responsabilité du blocage d’un processus placé sous le signe du sauvetage d’un pays totalement à la dérive. C’est également le mandat, ou ce qu’il en reste, et l’image du CPL, et ce qu’il en reste aussi, qu’il espère sauver. Ou à défaut en redorer, a minima, le blason. Une tactique qui pourrait s’avérer d’autant plus payante que le groupe parlementaire aouniste peut aujourd’hui prétendre à la part du lion au sein du prochain gouvernement, au moins huit ministres pour la représentation chrétienne aouniste, deux autres devant être dévolus aux Marada.
Si l’ensemble des protagonistes politiques continuent de distiller un climat positif et espèrent un dénouement prochain du processus complexe de la formation du cabinet, certains craignent toutefois les complications usuelles en cours de route et rappellent que le diable est dans les détails. Les rencontres samedi puis dimanche entre le Premier ministre désigné et le chef de l’État ont pourtant été marquées par ce même climat d’optimisme et, chose rare, les sources de Baabda ont refusé de commenter, même indirectement, la teneur des entretiens. « Une avancée a été enregistrée » sur le plan de la formation du cabinet, a indiqué hier Baabda, dans un communiqué laconique. Samedi, M. Hariri s’était, pour sa part, contenté de dire que « l’atmosphère est positive ».La seule information qui a fuité peu avant la réunion de samedi est l’unique demande que formulera le chef de l’État, à savoir l’adoption de critères unifiés dans le choix des ministres et la répartition des portefeuilles. Des déclarations qui font écho à la requête formulée un jour plus tôt par Gebran Bassil, dans un jeu de rôle bien orchestré.
Cette seconde visite au président de la République en l’espace de quarante-huit heures depuis sa nomination a valu à Saad Hariri le qualificatif d’homme « complètement changé » pour certains observateurs. Un homme qui semble en tous les cas s’être résigné à la réalité politique libanaise et au système en place, par-delà ses multiples dysfonctionnements et quand bien même il aurait été largement décrié par le mouvement de contestation. L’attitude du chef du courant du Futur et sa politique d’ouverture, à l’égard de Baabda notamment, tranchent avec celles de Moustapha Adib, son prédécesseur, qui avait tenté de faire cavalier seul en boudant la présidence, passage obligé pour la formation du gouvernement.
Qui nommera qui ?
Il reste à voir quelle sera la mise en scène pour laquelle optera M. Hariri pour orchestrer tous ces compromis qu’il se trouve aujourd’hui contraint de concéder aux parties politiques, ce qui l’amènera à ignorer la principale revendication de la rue, à savoir amener des indépendants au pouvoir.
Ayant largement misé sur la sémantique – il était question d’abord d’un gouvernement de spécialistes indépendants, puis d’experts non partisans, puis d’experts tout court –, le Premier ministre désigné ne dira à aucun moment comment se fera la prise de décision en matière de candidats ministrables, laissant une large brèche dans laquelle les parties pourront subtilement s’engouffrer. « L’issue serait de présenter une liste de candidats dans laquelle les parties pourront puiser, ou l’inverse, c’est-à-dire que les parties proposent une liste dans laquelle M. Hariri puisera », commente un analyste proche du Hezbollah. À condition qu’aucune figure accédant au cabinet ne soit une figure partisane, un principe qui semble acquis chez tout le monde.
C’est contre ce jeu qui risque de mal tourner si l’appétit des uns et des autres devait être aiguisé que le patriarche maronite a mis en garde hier. Béchara Raï a appelé dans son homélie dominicale Saad Hariri à « passer outre aux conditions des formations politiques » dans le processus de formation du gouvernement et à « éviter le bourbier du partage des parts », afin de pouvoir nommer des ministres « experts et indépendants des forces politiques ». « Faites attention aux accords bilatéraux secrets et aux promesses », a encore déclaré le patriarche maronite.
Alors que tout portait à croire que la tâche dont s’est trouvé investi Saad Hariri jeudi dernier était titanesque et semée d’embûches, celles-ci semblent avoir été levées comme par enchantement, en moins de 48 heures. Ayant boudé le processus de négociations politiques en amont et refusé de nommer M. Hariri pour former un cabinet, Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre,...
commentaires (8)
De quelle rue parlez-vous madame ? Des rues peut-être que les contestataires ont désertées comme par enchantement .
Hitti arlette
22 h 08, le 26 octobre 2020