Les accrochages meurtriers qui ont éclaté lundi soir à Tarik Jdidé, quartier sunnite beyrouthin considéré comme fief traditionnel du courant du Futur, ont opposé des membres d’une famille que l’on dit proche de Saad Hariri, chef de cette formation, à une autre sympathisante de son frère aîné Baha’. Si le litige à l’origine des incidents serait d’ordre personnel plutôt que politique, on s’accorde toutefois à dire dans certains milieux qu’il existe une volonté de déstabiliser la rue sunnite.
L’enquête menée actuellement par la police n’a pas encore donné de résultat, mais une source proche du dossier assure qu’il s’agit d’une querelle liée à une affaire de drogue, qui avait opposé dès dimanche deux individus, l’un partisan de Saad Hariri et l’autre de Baha’. Les heurts de lundi soir, au cours desquels des armes automatiques et des roquettes ont été utilisées, ont fait un mort et deux blessés.
Baha’ Hariri a fermement condamné « le crime commis au moyen d’armes illégales », réclamant « des investigations rapides et transparentes afin que tous ceux qui y ont participé soient punis ». Ces propos donnent à penser que des partisans de Baha’ sont en effet impliqués dans les affrontements et que la victime est affiliée à son camp. Une autre présomption rend sûre l’information selon laquelle les accrochages ont également impliqué les partisans de Saad Hariri : « Nous ne permettrons pas aux nouveaux venus de sortir Tarik Jdidé de la légalité », a martelé le chef du Futur, dans une allusion à son frère Baha’, qui avait refusé de succéder à son père lorsque celui-ci avait été assassiné en février 2005, mais qui semble déterminé à se faire désormais une place dans la politique.
Les points de vue de Joumblatt et Rifi
En tout état de cause, au-delà de l’altercation meurtrière de lundi, entre partisans des deux frères Hariri, on déplore dans différents milieux politiques une volonté de fragilisation de la rue sunnite. Dans un tweet posté hier, le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, a dénoncé « les diables des ténèbres et de la violence qui veulent transformer le quartier de Tarik Jdidé en une arène de règlements de comptes ».
Selon notre correspondant politique Mounir Rabih, la querelle individuelle qui s’est amplifiée a constitué une occasion pour les pêcheurs en eaux troubles afin de déstabiliser davantage la rue sunnite. Il s’agit donc d’une bataille pour parvenir à dominer cette rue. Pour le conseiller de presse d’Achraf Rifi, Assaad Béchara, les troubles qui ont ébranlé Tarik Jdidé « font partie d’une série d’événements suspects ». Il a évoqué les accrochages qui ont eu lieu le 27 août entre des membres de tribus arabes sunnites et des partisans du Hezbollah à Khaldé, ainsi que le meurtre quelques jours auparavant de deux policiers municipaux et du fils du président du conseil municipal de Kaftoun (Koura), dans lequel sont impliqués un Libanais originaire du Akkar et un ressortissant syrien résidant dans le camp de réfugiés palestiniens de Beddaoui, au nord de Tripoli. « La rue sunnite est infiltrée par de nombreuses parties », déplore M. Béchara, citant notamment « des factions palestiniennes ». Entre-temps, fait observer un analyste politique sous couvert d’anonymat, le Hezbollah profite de cet état de choses puisqu’en apparence, ce ne sont pas ses armes qui portent atteinte à la stabilité. Roula Tabch, députée du Futur, souligne dans un communiqué qu’« il ne suffit pas de demander aux habitants de Beyrouth de se contrôler et de ne pas se laisser entraîner dans des confrontations, alors qu’ils font l’objet de provocations ». « Il faut qu’il y ait une décision politique de contrôler la situation », martèle-t-elle, demandant aux forces de l’ordre d’« agir d’une main de fer ». « La présence d’armes entre les mains du Hezbollah pousse de nombreuses parties à s’armer elles aussi », dit-elle à L’Orient-Le Jour, niant cependant « vouloir couvrir les armes et les milices ».
Comme en réponse aux propos de la députée, le ministre sortant de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, a assuré que les forces de l’ordre « œuvrent selon leurs moyens à préserver la sécurité des gens et réprimer tout fauteur de troubles ». « L’armée et les FSI font leur devoir pour circonscrire les troubles armés et en appréhender les auteurs », a-t-il ajouté à l’issue d’un entretien avec le mufti de la République, cheikh Abdellatif Deriane, à Dar el-Fatwa. « La patrie ne peut pas rester à l’ombre de la prolifération d’armes dans toutes les régions », a déclaré pour sa part le cheikh Deriane.
Messieurs Saad et Baha’ Hariri! J'en appelle a votre conscience! Arrêtez le massacre qui vient! Au nom des vivants qui sont destinés à mourir. Sortez immédiatement de votre silence et unissez vous pour sauver ceux qui acceptent de mourir pour chacun de vous deux. Déclarez publiquement que plus jamais du sang ne sera versé pour deux frères qui s'opposent!
23 h 49, le 09 septembre 2020