« La disparition du Liban serait sans aucun doute l’un des plus grands remords du monde », a écrit le pape Jean-Paul II dans les années 80 du siècle dernier, dans une lettre célèbre adressée à tous les évêques du monde. « Sa sauvegarde est l’une des tâches les plus urgentes et les plus nobles que le monde d’aujourd’hui se doive d’assumer (…). L’Église désire manifester au monde que le Liban est plus qu’un pays, c’est un message de liberté et un exemple de pluralisme pour l’Orient comme pour l’Occident. » À plus de trente ans de distance, c’est un même avertissement que viennent d’adresser le président français et son ministre des Affaires étrangères. Le 19 mars dernier, fête patronale de l’Université Saint-Joseph, le recteur de l’USJ, le P. Salim Daccache, l’avait déjà lancé dans un discours que la pandémie l’avait empêché de prononcer, mais qu’il a considéré de son devoir d’actualiser, à la veille du centenaire de la proclamation du Grand Liban. « Pour nous, le Liban pluriel demeure et doit continuer d’exister, y affirme le recteur de l’USJ. Nous déplaçons ainsi notre utopie politique – non comme idée irréalisable, mais comme principe d’espérance – vers la reconstruction d’un État de droit, condition d’existence du Liban. (…) Il nous semble, par conviction, que le vivre-ensemble libanais, érigé en vocation historique ou en raison d’être du Liban, n’est pas pleinement réalisé mais demeure un chantier permanent. En vue de le sauvegarder et le renouveler, nous sommes face à une série de choix souvent impossibles : entre appartenance à la communauté et affirmation de l’individu ; entre justice et paix civile. Nous sommes invités à entrer dans une réconciliation avec la vérité issue de l’expérience individuelle et des expériences partagées, comparées, confrontées et débattues. »
C’est une tâche difficile que se proposent l’Université Saint-Joseph et son recteur. Le message s’étend sur les moyens d’un renouveau national qui permettrait au Liban de sortir des terribles turpitudes de la gouvernance qui l’ont conduit au fond du gouffre. Ainsi, partant du constat que le Grand Liban était « promesse d’avenir », il n’hésite pas à décrire comme « quasi mortelle » la crise sous laquelle il ploie. Une crise de gouvernance dont les racines sont, dit-il, « morales ».
« Confessionnalisme sectaire » ; « exercice clientéliste de la vie politique qui attise les conflits en tout genre et démembre les composantes de l’État » ; « crise économique qui entraîne le chômage des diplômés et les pousse à une émigration hors de leur pays » ; « corruption généralisée causée par le clientélisme et qui menace les fondements mêmes de l’enseignement supérieur » sont autant d’abjections que le P. Daccache développe.
Il n’est pas indifférent de citer, à ce sujet, un message adressé par le patriarche Hoayek lui-même à la classe dirigeante qu’il avait contribué à installer en 1920. Dix ans plus tard, il leur écrit : « Qu’ils sont rares les responsables de notre pays qui se détachent de l’inclination et de la partialité envers les personnes, tenant compte uniquement du mérite (…) Il est nécessaire que les responsables tiennent compte du mérite et de la compétence et qu’ils ne soient pas prisonniers de l’appartenance familiale ni de certains visages qui leur sont proches. Il leur incombe de ne pas accorder la fonction bien rémunérée à leurs amis et aux courtisans, négligeant ainsi les plus méritants. »
« De quelle surdité nos gouvernants sont-ils donc frappés depuis les années 1930 jusqu’à aujourd’hui? » s’exclame le P. Daccache. L’appel du grand patriarche est clair : si les politiciens ne mettent pas fin à ce sectarisme clientéliste, le Liban sera en danger d’existence. » Mettant en garde donc contre une possible « disparition du Liban », faute de vision et de réformes, il décrit la vie politique comme « une compétition malsaine pour un Liban devenu plus un cadavre qu’un être vivant ».
Pas de Grand Liban sans État
« Vous ne pourrez jamais faire du Grand Liban une réalité concrète si vous ne lui donnez pas l’État qu’il mérite », constate le P. Daccache, renvoyant aux dérives dénoncées par « la révolution du 17 octobre », qu’il considère comme « un authentique sursaut national » et « le plus grand mouvement national unificateur depuis 1943 », le plus grand drame étant pour lui « que le mouvement populaire soit considéré comme un complot fomenté par des agents à la solde d’intérêts étrangers au pays ».
En symbiose avec l’aide que la France va accorder au réseau scolaire francophone au Liban, le recteur de l’USJ met en garde contre l’affaiblissement, faute d’un État de droit, « du réseau dense d’instituts de formation professionnelle mais surtout d’écoles et d’universités qui sont aujourd’hui mis en péril à cause d’un libéralisme et d’un clientélisme sauvages et corrompus qui font pulluler nombre d’institutions d’enseignement supérieur (58 à ce jour, NDLR) qui délivrent des diplômes en toute immoralité ».
En résonance avec le dégoût et la volonté d’exil d’un grand nombre de Libanais, le recteur de l’USJ cite « la résignation criminelle de la classe dirigeante face au chômage des jeunes diplômés », un chômage qui est, pour lui, rien moins que « le cancer de la société, l’agent démoralisateur de la jeunesse qui ronge et épuise la démocratie ». Et d’exalter « les jeunes et les moins jeunes de la nouvelle génération qui forment, avec la diaspora libanaise, une internationale qui refuse de simplement survivre », déterminée à rebâtir le Liban.
commentaires (4)
Le liban ne disparaîtra pas il deviendra Insignifiant comme la Somalie le Tchad ou la Syrie C est vers la que nous nous dirigeons.....
Robert Moumdjian
17 h 13, le 01 septembre 2020