
Le président français, Emmanuel Macron, saluant la foule dans le quartier de Gemmayzé, à Beyrouth, le 6 août 2020. Photo Thibault Camus/Pool via REUTERS
Comme il l'avait promis, Emmanuel Macron retourne la semaine prochaine au Liban pour tenter de débloquer l'impasse politique qui empêche la formation d'un "gouvernement de mission" capable de relever le pays en crise, notamment après l'explosion dévastatrice du 4 août. Le président français est attendu lundi soir à Beyrouth pour une visite qui s'annonce extrêmement dense et potentiellement tendue.
"Si nous lâchons le Liban, (...) ce sera la guerre civile", a prévenu vendredi le président français, à trois jours de cette visite. "Si nous lâchons le Liban dans la région, si en quelque sorte nous le laissons aux mains des turpitudes des puissances régionales, ce sera la guerre civile" et "la défaite de ce qui est l'identité même du Liban", a déclaré le chef de l'Etat devant l'Association de la presse présidentielle à Paris. Le président français a évoqué les "contraintes d'un système confessionnel" qui, "ajoutées - pour parler pudiquement - aux intérêts liés", ont conduit "à une situation où il n'y a quasiment plus de renouvellement (politique) et où il y a quasiment une impossibilité de mener des réformes".
Suivant une ligne d'"exigence sans ingérence", il a cité les réformes à conduire: "passer la loi anti corruption, réformer les marchés publics, réformer le secteur de l'énergie" et le système bancaire. "Si on ne fait pas cela, l'économie libanaise va s'effondrer" et "la seule victime sera le peuple libanais (...) qui ne peut pas s'exiler", a-t-il mis en garde.
Or le Liban "est peut-être l'une des dernières formes existantes de ce dans quoi nous croyons dans cette région: c'est-à-dire la coexistence la plus pacifique possible des religions (...), d'un modèle pluraliste qui repose sur l'éducation, la culture, la capacité à commercer en paix", a fait valoir le président français.
Plus tôt dans la journée, l'Elysée avait affirmé que M. Macron "ne lâchera pas", en rappelant l'engagement de soutenir le Liban qu'avait pris ce dernier le 6 août lors de sa visite éclair à Beyrouth, deux jours après l'explosion dans le port de plusieurs milliers de tonnes de nitrate d'ammonium, qui a fait environ 180 morts. M. Macron retournera mardi matin dans les quartiers ravagés, où il fera le point sur les opérations de déblaiement et la distribution de l'aide. Il rencontrera des ONG et les agences de l'ONU, mais aussi une partie des 400 militaires français déployés ces dernières semaines pour aider à débarquer les quelque 1.000 tonnes d'aide médicale, alimentaire ou de reconstruction acheminées depuis la France.
La visite aura aussi une dimension symbolique des relations historiques franco-libanaises : Emmanuel Macron plantera un cèdre avec des enfants libanais dans la forêt de Jaj, au nord-est de Beyrouth, où prospère l'arbre emblématique du pays. Cette "cérémonie simple" célébrera le centenaire de la création de l'Etat du Grand Liban, le 1er septembre 1920, par le général français Henri Gouraud. Pour l'occasion, la Patrouille de France survolera le site en colorant le ciel avec les couleurs du drapeau libanais.
Le président rencontrera également lundi soir une icône libanaise : la diva Feyrouz qui, à 85 ans, est considérée comme la plus grande chanteuse arabe vivante depuis la disparition d'Oum Kalsoum.
"Pression"
Mais Emmanuel Macron est surtout attendu sur sa capacité à débloquer l'inextricable crise politique, près de trois semaines après la démission du gouvernement de Hassane Diab.
"Le but de sa visite est clair : faire pression pour que les conditions soient réunies pour la formation d'un gouvernement de mission capable de mener la reconstruction et des réformes", explique-t-on à Paris. Avec, en contrepartie, l'assurance que la communauté internationale soutiendra le Liban, exsangue financièrement. Pour cela, Emmanuel Macron aura trois séquences de discussions avec les responsables politiques : le lundi soir à la résidence des Pins, celle de l'ambassadeur de France à Beyrouth, le mardi lors d'un déjeuner au palais présidentiel, puis le soir lors d'un tour de table avec les représentants des neuf forces politiques.
Dans une lettre envoyée au président français, le chef du Parti démocratique libanais, le druze Talal Arslane, explique que "le système politique actuel a mené le pays à l'effondrement". "Ce système communautaire, raciste et de quotes-parts a corrompu les institutions et les individus sans épargner personne", a écrit M. Arslane dans cette lettre, estimant que "la seule solution est la tenue d'une Assemblée constituante pour refonder le système".
Dans le cadre des discussions entourant la formation du futur cabinet, une source à l'Elysée a confié à Reuters que Paris estime qu'il est temps que les partis politiques traditionnels du Liban "se mettent de côté" afin de laisser la place à la mise sur pied d'un gouvernement "de changement".
Tout en restant très prudent, l'Elysée "a bon espoir" de faire avancer les discussions après l'annonce, vendredi, de la tenue lundi des consultations parlementaires qui doivent décider du nom du futur chef du gouvernement. Jusqu'à présent, aucun consensus n'a émergé en raison des profondes divergences entre les forces politiques traditionnelles.
"Plus possible"
L'ex-Premier ministre Saad Hariri, chef du plus grand bloc sunnite au Parlement, a renoncé le 25 août à former un gouvernement neutre avec les pleins pouvoirs. Un tel scénario a été rejeté par le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui exige pour sa part "un gouvernement d'union nationale ou rassemblant un large éventail des forces politiques".
Face à cette impasse, Paris a durci le ton. "Cela n'est plus possible et nous le disons avec force", a lancé mercredi le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. Il a dénoncé des responsables politiques qui "se phagocytent eux-mêmes entre eux pour faire un consensus sur l'inaction". Le risque est la "disparition du Liban", un "pays au bord du gouffre" où "la moitié de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté" avec un chômage "épouvantable" et une inflation "ahurissante", a-t-il déclaré. Mais Paris se défend de toute "ingérence" dans les affaires libanaises : "ce n'est pas à nous de former le gouvernement", insiste l'entourage du président.
Au cours de sa visite, Emmanuel Macron devra limiter ses contacts avec la population alors que le pays connaît un rebond de l'épidémie de Covid-19.
Oui, oui et oui, ingérence SVP, ingérence maximale, déterminée, sans hésitation, avec force...
09 h 08, le 30 août 2020