La Banque du Liban (BDL) a publié hier quatre nouvelles circulaires intervenant dans différents domaines aussi bien liés à la crise économique et financière que traverse le pays depuis août dernier qu’au financement des réparations des dégâts provoqués par la double explosion survenue le 4 août au port de Beyrouth – qui a coûté la vie à plus de 180 personnes et causé plusieurs milliards de dollars de dégâts. Une série de dispositifs qui ont suscité l’incompréhension chez certains banquiers qui les jugent difficiles à mettre en œuvre et encore plus dommageables pour la confiance envers le secteur bancaire, déjà réduite à néant, notamment en raison des restrictions illégales et arbitraires que subissent les déposants depuis un an et la dépréciation spectaculaire de la livre sur cette période. « Il manque beaucoup de précisions pour parler d’une disposition complète et réfléchie », constate un des banquiers interrogés, sous couvert d’anonymat. « La BDL sort même du domaine de sa compétence concernant certaines dispositions, notamment celle concernant le rapatriement des fonds », relève un autre. Le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, a indiqué hier à Reuters « qu’il est impossible de déterminer jusqu’à quand la banque centrale pourra subventionner les importations de denrées de base ». La BDL finance en effet les importations de blé, de carburant et de médicaments au taux de 1 507,5 livres selon la circulaire n° 530 datant d’octobre 2019. Riad Salamé a également confirmé que « les réserves en devises de la banque centrale s’élèvent à 19,5 milliards de dollars (dont) 17,5 milliards de dollars de réserves obligatoires ».
Prêts en devises
La circulaire (intermédiaire) n° 568 permet aux clients des banques libanaises de payer ou solder, à certaines conditions, les mensualités des prêts en devises qu’elles ont contractées en livres libanaises et à la parité officielle, soit 1 507,5 livres pour un dollar. La mesure s’adresse uniquement aux clients – personnes physiques – résidant au Liban et qui n’ont pas de compte en devises dans l’établissement où ils ont contracté le prêt. Ce dernier peut être soit un prêt personnel inférieur à 100 000 dollars – sans préciser explicitement si les montants engagés via les cartes de crédit sont inclus –, ou un prêt immobilier inférieur à 800 000 dollars. La banque ne devrait pas en principe refuser cette possibilité à un client qui a un compte en devises dans une autre banque. Les clients non résidents sont, eux, tenus de régler leurs crédits en devises en « fonds frais ». La circulaire exclut enfin les « crédits pour le secteur commercial » qui doivent être remboursés dans la monnaie dans laquelle ils ont été contractés.
Pour rappel, les « fonds frais » se réfèrent à ceux qui ont été déposés en espèces ou transférés depuis l’étranger sur un compte spécial au Liban et dont les titulaires peuvent disposer librement, par opposition aux comptes en devises en « dollars libanais », qui sont soumis à d’importantes restrictions. Il est par exemple impossible de retirer des dollars en espèces à partir d’un compte en « dollars libanais » comme il est devenu quasiment impossible de s’en servir pour transférer de l’argent à l’étranger. Les clients peuvent cependant retirer en livres à un taux qui est actuellement de 3 900 livres pour un dollar – un niveau équivalent à celui imposé aux agents de change agréés. La circulaire n° 568 entre enfin en vigueur alors que certains établissements ont récemment imposé à leurs clients de rembourser une partie des montants engagés via leur carte de crédit en « dollars libanais ». Ceux qui n’ont pas de compte en devises se sont vu proposer un échéancier pour payer en livres l’équivalent des dollars libanais dus, le tout avec des intérêts, une pratique fondamentalement illégale.
Reconstruction des biens-fonds
La circulaire intermédiaire n° 569 amende un précédent texte (circulaire principale n° 152) adopté après la tragédie du 4 août. La BDL avait alors permis aux entreprises comme aux particuliers dont les biens-fonds (logement, locaux commerciaux, etc.) ont été totalement ou partiellement détruits de bénéficier de prêts à 0 % pour financer leur réhabilitation ou leur reconstruction. Selon la circulaire d’origine, ces crédits libellés en dollars peuvent être contractés par les personnes éligibles via leurs banques et seront remboursables sur cinq ans maximum à partir du 31 octobre prochain.La mise à jour publiée hier ajoute une précision : les clients qui auraient souscrit à ce type de prêt devront utiliser toutes les aides financières qu’ils pourraient recevoir – que ce soit les primes versées par leurs assurances, les aides internationales ou encore celles débloquées par le Haut Comité de secours – pour rembourser tout ou partie des montants prêtés via la circulaire n° 569. Le texte ne dit rien s’agissant d’éventuelles déductions dans le cas où la personne a bénéficié d’une aide non financière – réparation financée par une ONG internationale ou locale, par exemple.La circulaire n° 569 précise que le client peut demander de payer en livres et au taux imposé aux agents agréés (via l’application Sayrafa) de rembourser jusqu’à l’équivalent de 15 000 dollars du prêt contracté à 0 % en une fois et en une opération unique.Le dispositif des prêts au taux de 0 % prévu par la circulaire n° 152 avait été critiqué au moment de sa publication par plusieurs associations professionnelles dont des membres ont été durement touchés par la double explosion du 4 août, ces derniers estimant, à l’image du syndicat des hôteliers, qu’elle revenait à faire assumer le coût de la reconstruction aux victimes plutôt qu’à l’État, jugé responsable de la catastrophe par une importante partie de l’opinion publique. Selon plusieurs sources bancaires, « aucun prêt » à 0 % n’a encore été octroyé par les établissements du pays.
Fonds envoyés à l’étranger
La disposition la plus singulière de cette série est sans doute introduite par la circulaire principale n° 154, dont le but affiché est de « refaire fonctionner les banques » du pays paralysées par leurs problèmes de liquidités – liés notamment au défaut de paiement de l’État sur ses obligations en devises (eurobonds) et l’insuffisance actuelle des réserves en devises de la BDL pour honorer ses obligations dues aux banques (certificats de dépôts notamment). À travers ce texte, la BDL appelle les banques locales à demander à leurs clients qui ont transféré plus de 500 000 dollars à l’étranger entre le 1er juillet 2017 et hier pour les convaincre de rapatrier au moins 15 % de ces montants dans un compte bloqué pendant cinq ans. Les banques devront ensuite déposer ces montants en devises à la BDL. Dans les deux cas, la circulaire ne donne aucune précision concernant le montant des intérêts perçus par le client ou les banques, ni en quelle monnaie ils seront versés. Entre 2016 et 2019, une grande partie des ingénieries financières ont eu lieu. La mesure fixe à 30 % le ratio de fonds à rapatrier pour les membres des conseils d’administration des banques, les grands actionnaires ou encore les personnes politiquement exposées, une réponse aux rumeurs et informations indiquant que plusieurs milliards de dollars ont été sortis du pays pendant la crise. La même circulaire dispense en outre les déposants qui souhaitent souscrire à cette démarche d’obtenir un « certificat d’enregistrement » délivré par le ministère des Finances comme l’impose un précédent texte qu’elle avait publié en septembre 2019. La même circulaire énumère d’autres règles. La BDL demande par exemple aux banques de réauditer leurs comptes – une décision sans doute prise en raison des réserves émises par les cabinets d’audit chargés de valider les bilans de certaines banques pour l’année 2019. Les banques peuvent enfin proposer aux déposants d’échanger les fonds rapatriés contre des actions « spéciales » qui pourront être échangées à la « Bourse du Liban », sans préciser s’il s’agit d’une nouvelle structure ou de l’actuelle Bourse de Beyrouth. Dans le cas où ses actions sont achetées, les fonds peuvent être à nouveau transférés à l’étranger. De plus, le texte reporte l’obligation pour les banques d’augmenter leurs fonds propres de 20 % édictée par la circulaire n° 532, adoptée en novembre 2019, et dont la date butoir avait été initialement fixée à fin juin.
Ratios de solvabilité
La dernière circulaire, intermédiaire n° 567, intervient également à plusieurs niveaux. Elle fixe la date butoir de l’ajournement fixé par la circulaire n° 154 à fin décembre 2020. Elle précise en outre que la moitié des 20 % supplémentaires devant être apportés par les actionnaires des banques peuvent être financés par la vente de terrains ou d’immobiliers détenus par ces mêmes actionnaires à la banque. L’établissement aura ensuite la charge de les revendre dans un délai de cinq ans maximum. La BDL se réserve cependant le droit de valider chaque opération en amont. Riad Salamé a d’ailleurs indiqué hier à Reuters que les banques qui n’auront pas augmenté leur capital à fin février 2021 se verront dans l’obligation « de sortir du marché ». Il a toutefois précisé que cette sortie consistera au transfert des actions à la BDL. Quant aux dépôts, le gouverneur de la BDL a précisé qu’ils sont « maintenus et qu’il n’y aura pas de faillite » bancaire. Pour rappel, la banque centrale a créé en juillet une commission chargée de restructurer le secteur financier et composée principalement de personnalités liées aux secteurs concernés.Le même texte exige des banques de publier un « compte de résultat » réaliste qui servira de base à la BDL afin qu’elle puisse modifier certains ratios de solvabilité et de liquidité – sans préciser si ces derniers seront conformes aux exigences du comité de Bâle III. La circulaire en modifie d’ailleurs certains, dont celui des provisions devant être constituées pour couvrir les pertes liées aux titres de dettes en livres et ceux en devises (eurobonds), qui doivent être de 100 % pour les exercices 2020 et 2021 pour, ensuite, être progressivement réduits jusqu’à leur annulation en 2024.
commentaires (6)
Que le gouverneur donne l’exemple et qu’il rapatrie l’ensemble de son patrimoine investi a l’etranger
LH
19 h 08, le 29 août 2020