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Nos Lecteurs ont la Parole

D’un séisme à l’autre...

Il n’y a pas assez d’adjectifs ou de qualificatifs dans la langue française ou dans aucune autre langue pour décrire le drame survenu le 4 août à Beyrouth.

Fondée il y a 5 000 ans avant J-C, cette ville plusieurs fois millénaire, qu’on appelait dans l’Antiquité « Béryte », abrita pendant de nombreux siècles une des plus grandes écoles de droit de l’Empire romain, jusqu’à sa destruction malheureuse par un fort séisme suivi d’un tsunami en 551.

Si cette catastrophe était naturelle, celle qui vient de se produire en est tout l’opposé. Elle est la manifestation de tous les maux qui rongent ce pays de l’intérieur depuis plus de 30 ans maintenant. Telle une sangsue, perfide et sournoise, ou une vermine qui dévore et se nourrit dans les égouts, ou encore un rat qui se vautre dans la bouse et se gave des déchets, des parasites envahissent les villes et les villages des hommes braves et des femmes courageuses, vivent dans leurs déjections et pillent leurs poubelles afin de s’assurer qu’il n’en reste miette.

Cette cité qui fut « la mère des lois » de l’Empire romain n’en connaît aujourd’hui plus aucune. Ironie de l’histoire, elle ne connaît que crises, ravages et destructions, tous enfants d’une corruption endémique de vils dirigeants. Autrefois seigneurs de guerre, devenus féodaux et souverains, ils abreuvent leur pouvoir du sang des hommes, des femmes et des enfants d’une ville défigurée, meurtrie. Catafalque de ses citoyens, toutes classes sociales et toutes confessions confondues, elle est la dernière demeure pour tous ses défunts.

Ne soyons pas dupes non plus mes frères, mes amis. Ce ne sont pas seulement quelques anciens chefs de guerre ou quelques opportunistes devenus patriciens de nos temps modernes, qui sont les seuls responsables de ce cataclysme. Les rouages d’un système désuet, archaïque et fossilisé, datant de temps révolus, ont également participé à cette catastrophe.

Cela va du simple employé ou fonctionnaire réclamant son « bakchich » à nous-mêmes que notre complaisance rend complice et lorsque nous nous gargarisons devant nos amis et nos familles d’avoir bénéficié d’un passe-droit…

Cela passe aussi par ce fonctionnaire ou par ce cadre supérieur de tel ministère ou telle administration publique qui, mécontent de ne toucher son « dû » ou sa commission sur une obscure transaction, sera méprisant, condescendant jusqu’à ce que, nous, paralysés et usés par ce système, nous ne consentions à accorder les faveurs réclamées avec des tonnes de remerciements et des promesses en retour. En le gratifiant, nous sommes complices du marasme économique et nous étayons un système branlant, au lieu de le dénoncer et de lutter pour son émancipation.

Ce système de prébendes atteint la plus haute hiérarchie du pouvoir. Les grands directeurs de l’administration, leurs familles et leur entourage désignés, parachutés, choisis et bénis par des politiciens véreux et des chefs de parti ivres de leur pouvoir, tous distribuent leur faveur au bon « client » qui les réclament. Ils couvrent des embauches et des salaires fictifs à tous les étages, se servent dans la caisse comme s’il s’agissait de leur compte en banque, se partagent avec minutie et cynisme, le fruit du labeur des citoyens comme si cela leur était dû, telle une dîme des temps moyenâgeux.

Le marasme économique qui depuis plusieurs mois frappait de plein fouet s’est aujourd’hui transformé en un cataclysme dévastateur. Il s’abat sur une population déjà exsangue, qui se réveille hagarde, tel un boxeur K.-O. après un ultime combat, le dernier le craint-il.

Cette déchéance politique, cette déliquescence économique, cette dislocation sociale et maintenant cette calamité humaine et écologique ne sauraient être le fruit d’un hasard ou d’un concours de circonstances.

Cela est bien l’œuvre du malin. Celui-là même qui vous demande de lui vendre votre âme, contre la promesse d’un état meilleur synonyme d’une vie éternelle pleine de débauches et de concupiscence. Celui-là même qui vous pousse à continuer à voter et à élire cette classe dirigeante, ses enfants, sa famille, ses gendres et ses amis. Celui-là même qui tout sourire va vous remercier de l’avoir élu, tout en calculant les rentes et les bénéfices qu’il tirera des libéralités qu’il peut désormais accorder aux siens.

Mes amis, où que vous habitiez, ville ou village, qui que vous soyez, riche ou pauvre, quelle que soit votre religion, catholique, maronite, druze, chiite ou sunnite, il est temps de se lever. Non pour des manifestations stériles, ni pour proférer des insultes contre cette classe décadente et sourde, ni même pour lancer des pierres contre une armée, dernier rempart contre le chaos.

Il est temps de se lever pour insuffler un grand changement, un nouveau tsunami, un autre séisme, mais cette fois salvateur pour ce peuple. Il révélera au monde entier le vrai visage d’un Liban que nous chérissons tant. Celui de nos ancêtres dans lequel nous puiserons le courage et la persévérance pour construire un monde meilleur. Un pays pour nos enfants et pour les enfants de nos enfants, et nous permettre un jour de quitter cette terre sans remords ni regrets de n’avoir rien fait pour eux et pour notre mère patrie.

L’avenir de notre pays se construit aujourd’hui. Il se bâtira jour après jour jusqu’à l’éviction complète et définitive de la classe en place et l’émergence d’une nouvelle classe jeune, courageuse et dynamique qui apportera ce vent nouveau, un vent du large, qui balayera tous les débris laissés par un perfide attentat d’un État contre son peuple, dernier soubresaut d’un système à l’agonie.

Il sera toujours temps alors de demander des comptes et de juger les coupables quel que soit leur rang ou leur fortune.

Zahi MOUSSALLI

France

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Il n’y a pas assez d’adjectifs ou de qualificatifs dans la langue française ou dans aucune autre langue pour décrire le drame survenu le 4 août à Beyrouth.Fondée il y a 5 000 ans avant J-C, cette ville plusieurs fois millénaire, qu’on appelait dans l’Antiquité « Béryte », abrita pendant de nombreux siècles une des plus grandes écoles de droit de l’Empire...
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