Après un nouveau délai accordé au gouvernement par la Banque mondiale (BM), principal bailleur de fonds du barrage hautement controversé de Bisri, situé dans une belle vallée entre Jezzine et le Chouf, des députés des blocs du Hezbollah et d’Amal ont tenu hier une conférence de presse au Parlement pour défendre un projet qui, selon eux, est indispensable pour approvisionner en eau des régions comme la banlieue sud de Beyrouth. Une position qui suivait une déclaration de l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, hier, assurant qu’il est, lui aussi, « favorable au barrage de Bisri parce qu’il approvisionne Beyrouth en eau ». Parmi les opposants au projet, l’on trouve de nombreux rassemblements de la société civile, mais aussi des partis politiques comme le Parti socialiste progressiste (de Walid Joumblatt) ou les Forces libanaises (de Samir Geagea). Le débat politique primera-t-il donc sur le débat scientifique autour de la viabilité et l’utilité du barrage, sachant que cet aspect est déjà très riche en arguments hostiles à cet ouvrage ?
La réponse de la BM
La Banque mondiale a donc notifié le gouvernement, mardi en soirée, qu’elle approuve sa demande de prolonger la date limite pour répondre aux exigences de l’accord de prêt du projet du barrage de Bisri, et ce jusqu’au 4 septembre. « Le projet du barrage de Bisri est en suspension partielle depuis le 26 juin 2020, rappelle le communiqué. La BM avait informé le gouvernement du fait que le prêt alloué au projet serait annulé à moins qu’elle ne reçoive des preuves satisfaisantes que les conditions préalables au démarrage de la construction du barrage seraient assurées d’ici au 22 juillet 2020, conformément aux conditions de l’accord de prêt. » La BM note que le gouvernement a soumis un projet de plan de compensation écologique le 9 juillet 2020, et qu’il le met actuellement à jour sur base des commentaires fournis par l’organisation, le ministère de l’Environnement ainsi que d’autres ministères et agences gouvernementales. « Le 17 juillet 2020, le gouvernement a fourni à la BM des informations sur le cadre juridique des accords d’exploitation et de maintenance au Liban, précise le texte. Cependant, et conformément à l’accord de prêt du projet du barrage de Bisri, un mémorandum d’accord entre le ministère de l’Énergie et de l’Eau et l’Office des eaux de Beyrouth et du Mont-Liban n’a pas encore été finalisé. À ce jour, l’entrepreneur n’a pas été en mesure de se remobiliser. » Rappelant que le gouvernement a demandé une prolongation du délai de trois mois en date du 20 juillet 2020, la BM ajoute que « sur la base des progrès accomplis à ce jour et à la lumière de la série de défis sans précédent que le pays endure – y compris ceux résultant de la crise du Covid-19 –, qui ont pu entraver la capacité des autorités libanaises à s’acquitter de leurs obligations concernant le barrage de Bisri, la BM a accepté de fournir » ce délai supplémentaire – qui n’est toutefois pas aussi long que l’espéraient les autorités.
« La BM réaffirme une fois de plus la nécessité urgente, pour le gouvernement, de maintenir un processus consultatif ouvert, transparent et inclusif avec toutes les parties prenantes libanaises, et d’assurer des relations pacifiques avec les militants et les représentants de la société civile opposés au projet », souligne encore le texte. À cet égard, la BM a demandé à recevoir une mise à jour sur l’engagement continu du gouvernement avec les parties prenantes libanaises sur le projet du barrage de Bisri, y compris par le biais de consultations en ligne, au vu de la crise du Covid-19. Et de conclure : « À moins que la BM ne reçoive une preuve satisfaisante du respect des exigences mentionnées dans la lettre du 26 juin 2020 au plus tard le 4 septembre 2020, la partie suspendue du prêt pour le projet du barrage de Bisri sera annulée. Dans ce cas, la BM serait prête à travailler avec le gouvernement pour décider de l’utilisation la plus efficace possible du montant annulé, de manière à répondre aux nouveaux besoins du peuple libanais. »
Le tandem chiite défend le projet
Suite à la publication de ce communiqué, trois députés des blocs du Hezbollah et d’Amal, Ali Ammar, Amine Cherry et Mohammad Khawaja, ont tenu hier une conférence de presse au Parlement lors de laquelle ils ont exposé leur point de vue concernant le barrage. Insinuant que les détracteurs du projet usent de « populisme », ils ont rappelé que la première étude sur le barrage date de 1953, que le projet a été concrétisé en 1970 et que c’est grâce à un prêt de la BM, consenti en 2015, que « le rêve est devenu réalité ». « Les habitants qui profitent de ce projet vont de l’est de Saïda aux banlieues sud et nord de Beyrouth, soit la moitié des habitants du Liban », ont-ils dit. Selon eux, « les habitants de ces régions s’approvisionnent en eau à partir de puits qui, avec les années, s’épuisent de plus en plus, d’où la nécessité de trouver une alternative avant que la catastrophe n’ait lieu, sachant que certaines régions comme la banlieue sud n’obtiennent que 20 % de leurs besoins en eau ». Ils ont assuré que leurs deux blocs ont effectué des réunions avec des spécialistes qui les ont convaincus du bien-fondé du barrage. « Nous refusons catégoriquement que ce projet crucial soit abandonné et que ce prêt soit recentré vers d’autres projets », ont-ils affirmé, revendiquant un dialogue autour de ce sujet. Le barrage lui-même avait été estimé à un coût d’un peu plus de 600 millions de dollars, mais selon une source qui suit de près le dossier, le budget réel du projet en entier atteindrait pas moins de 1,2 milliard de dollars.
Boire de l’eau polluée ?
Pour leur part, les détracteurs du barrage n’en démordent pas. Répondant aux députés du tandem chiite sur Twitter, Roland Nassour, porte-parole de la Campagne pour la préservation de la vallée de Bisri, leur demande « s’ils n’ont pas d’objection à ce que les habitants de la banlieue sud boivent de l’eau aussi polluée, pour les beaux yeux (du député) Gebran Bassil, ce qui est un crime à leur encontre », en référence à l’une des sources du projet d’alimentation en eau de la capitale, dont fait partie le barrage, à savoir le lac ultrapollué du Qaraoun. Dans un communiqué, la Campagne s’est « étonnée de cette défense acharnée des députés du Hezbollah et d’Amal, malgré toutes les études qui prouvent la nocivité du projet ». « De l’eau cancérigène sera acheminée vers Beyrouth à partir du lac du Qaraoun, et à travers un tunnel lui-même pollué par le lixiviat (liquide) des déchets de la décharge de Naamé, poursuit le texte. Et le coût exorbitant du barrage ne fera qu’augmenter la facture de l’eau. » Rappelant les échecs des autres barrages du pays, comme à Brissa (Denniyé) et Msaylha (Batroun), les militants de la Campagne font remarquer que « les menaces n’ont aucun effet sur eux ». Pour sa part, le Mouvement écologique libanais a rappelé, sur son compte Facebook, les nombreuses entorses aux lois de ce projet.
Les arguments des détracteurs du barrage sont très nombreux, allant de l’importance de la surface qui sera déboisée à la biodiversité et au patrimoine perdus, en passant par l’incapacité de trouver une source d’eau capable de fournir les 125 millions de mètres cubes promis, les doutes entourant ces sources (dont certaines sont polluées) et la nature très perméable du sol (ce qui explique l’échec de barrages dans d’autres régions)…
Grand temps pour Diab de démarrer une ou deux commissions, what the heck...faisons 3 commissions pour revoir la décision, amadouer la BM et étancher la soif des beyrouthins puisque la bouteille d'eau sous clé s'achète chez les bijoutiers...
13 h 30, le 30 juillet 2020