
Le patriarche maronite accueillant Saad Hariri. Photo ANI
Une nouvelle dynamique politique s’inspirant de l’appel du patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, à la consécration de la neutralité du Liban, est en train de prendre forme et se recoupe avec une autre, diplomatique, dont la finalité est d’empêcher le Liban de s’enliser davantage dans les sables mouvants d’une situation qui reste jusque-là inextricable.
C’est dans ce contexte qu’il faut placer la visite effectuée hier par le chef du courant du Futur et ancien Premier ministre, Saad Hariri, au patriarche Raï, à Bkerké, après un entretien, mercredi, avec le métropolite Élias Audi, à Achrafieh. L’aspiration patriarcale à une « neutralité » du Liban, garantie internationalement, a trouvé un écho auprès de plusieurs figures politiques et diplomatiques, dont l’ancien Premier ministre, pour qui une application rigoureuse de la politique de distanciation, approuvée à l’unanimité en décembre 2007 par son gouvernement, peut constituer une voie de sortie à la grave crise économique dans laquelle se trouve le pays.
Venant donc au lendemain de nombreux appuis politiques et diplomatiques émanant de l’ambassadeur saoudien, Walid Boukhari, du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, et d’un certain nombre de députés, la visite de M. Hariri a été interprétée comme une adhésion aux objectifs poursuivis par le chef de l’Église maronite. « Le Liban paie le prix des conflits régionaux et tout le monde sait pourquoi, mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas engager un dialogue entre nous pour sortir de la crise. Chaque partie doit consentir un sacrifice, mais certaines doivent sacrifier davantage que d’autres », a déclaré M. Hariri à sa sortie de Bkerké, en allusion notamment au rôle de l’Iran et du Hezbollah dans la région.
Les propos de Saad Hariri font dans le même temps écho à ceux que les deux chefs de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, et américaine, Mike Pompeo, ont récemment tenus, le second pour assurer que Washington ne permettra pas que le Liban reste dépendant de l’Iran et le premier pour presser la classe politique d’enfin entreprendre les réformes structurelles exigées pour un déblocage des aides internationales. M. Le Drian qui est attendu en principe la semaine prochaine à Beyrouth – selon des informations qui ne sont toujours pas confirmées – devrait discuter plus en profondeur avec ses interlocuteurs libanais des obstacles qui se dressent devant un accès aux aides promises. Il est vrai qu’il sera porteur d’une assistance financière d’urgence qui serait de l’ordre de 20 millions d’euros aux écoles homologuées, mais l’intervention française en faveur du Liban s’arrêtera là tant que l’inaction du pouvoir restera de mise sur le volet des réformes.
Beyrouth ne peut en effet espérer accéder à des aides substantielles sans un changement fondamental de la politique que suit actuellement la majorité au pouvoir. À Bkerké, Saad Hariri et le patriarche ont longuement abordé cette question, selon des sources proches de la délégation qui accompagnait l’ancien Premier ministre. Ils ont discuté de la crise sous tous ses aspects mais se sont plus particulièrement penchés sur deux dossiers principaux, selon les mêmes sources : la nécessité d’œuvrer pour une neutralité du Liban en vue d’un retour du pays à sa position d’antan parmi le cercle des pays arabes qui, aujourd’hui, lui tournent le dos, et la structure des réformes qui devraient être engagées.
De mêmes sources, on affirme qu’aucun des deux hommes n’a abordé la question des armes du Hezbollah, mais ils ont évoqué l’importance d’œuvrer pour ramener ce pays dans le giron libanais. Saad Hariri s’est longuement étendu sur ce point, rappelant qu’il s’agit d’une exigence de tous les pays qui soutiennent le Liban et qui se préoccupent de sa situation, notamment le Vatican et la France, dont le chef de la diplomatie devrait aborder à son tour la question de la neutralité du pays avec les dirigeants libanais. Toujours selon les mêmes sources, M. Hariri a assuré le patriarche que Beyrouth n’obtiendra pas un sou de la communauté internationale tant que les réformes et la neutralité du pays resteront des vœux pieux.
Au siège patriarcal maronite, on se félicite de la visite du chef du courant du Futur et de l’intérêt soulevé par l’appel du chef de l’Église maronite à la « levée de l’hypothèque » qui pèse sur « la libre décision » du Liban et à sa plaidoirie en faveur de la proclamation par l’ONU de « la neutralité du Liban ». On précise, de source proche du siège patriarcal, que le chef de l’Église maronite pourrait se rendre à Rome sous peu, pour en discuter avec le pape François et lui remettre un document sur la neutralité du pays, le Saint-Siège pouvant mener les contacts qu’il faut afin d’essayer d’atteindre cet objectif, d’autant que le Liban est le siège du dialogue des civilisations et des religions.
Quant à la double visite de M. Hariri à NN.SS. Audi et Raï, elle pourrait être le début d’une initiative allant dans le sens de l’appel patriarcal, en vue de la mise en place d’un front national qui établirait une feuille de route pour le sauvetage du pays, parallèlement aux démarches que le chef de l’Église maronite compte mener dans le même sens. Réussira-t-elle avec celle de Bkerké et de Paris à faire une brèche dans l’immobilisme qui menace de tirer le Liban plus profondément dans l’abîme ?
Une nouvelle dynamique politique s’inspirant de l’appel du patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, à la consécration de la neutralité du Liban, est en train de prendre forme et se recoupe avec une autre, diplomatique, dont la finalité est d’empêcher le Liban de s’enliser davantage dans les sables mouvants d’une situation qui reste jusque-là inextricable. C’est dans ce contexte...
commentaires (11)
""Neutralité"", ""distanciation"", et c'est la troisième ""analyse"" d'affilée sur ce sujet, et j'avoue ne rien comprendre au sens que donne les Libanais à la neutralité. Comment comprendre la neutralité ou la distanciation alors qu'on est en guerre ? J'aimerai bien me faire une idée ?
L'ARCHIPEL LIBANAIS
19 h 48, le 10 juillet 2020