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Société - Crise

Pourquoi les contestataires peinent à remobiliser les masses

La situation s’est tellement détériorée depuis huit mois qu’il est impensable que les places ne soient pas pleines. D’aucuns pensent que ça ne saurait tarder...

Pourquoi les contestataires peinent à remobiliser les masses

Verra-t-on de nouveau des places pleines ? Et quelle forme prendra la contestation sous le coup de la faim ? Patrick Baz/Archives AFP

« Je ne comprends pas pourquoi nous ne sommes pas tous dans la rue ? Pourquoi faire semblant de vivre quand le pays est mort ? » Ce cri d’une internaute sur un réseau social résume la frustration de beaucoup de Libanais aujourd’hui, qui ne comprennent pas pourquoi un mouvement de contestation né le 17 octobre sur le coup d’une taxe de six dollars (parmi d’autres), qui n’est de surcroît pas arrivé à son objectif de déloger les foyers de corruption dans le système libanais, peine à reprendre son rythme dans la rue alors que la situation économique et sociale, plus de huit mois plus tard, s’est complètement effondrée. Des militants très présents sur le terrain confient à L’Orient-Le Jour pourquoi ce parallèle entre la situation actuelle et octobre dernier n’est pas si judicieux, et analysent les conditions qui feront reprendre aux masses la route des places.

« Peut-être que les gens sont désespérés et déçus, alors qu’ils ne l’étaient pas en octobre dernier, souligne Samir Skaff, un militant. Nous essayons de raviver l’esprit de la révolution, mais finalement ce sont les foules qui choisiront leur moment pour redescendre dans les rues. À mon avis, une réelle explosion sociale est inévitable. »

Pour Lucien Bourjeily, militant politique, le parallèle avec octobre 2019 n’est pas en effet si évident à établir, pour plusieurs raisons. « Nous remarquons une sorte de black-out médiatique, ou du moins une grande différence avec la couverture assurée aux premiers mois de la révolution, dit-il. Je n’en connais pas les causes, mais la conséquence c’est que la population n’est pas toujours informée des mouvements dans les rues, puisque les annonces se limitent aux réseaux sociaux. »

L’autre cause, selon lui, est purement politique. « Des partis politiques, qui font partie intégrante de ce système que nous cherchons à changer, se considèrent aujourd’hui dans l’opposition, poursuit-il. Leur présence sur le terrain parmi les manifestants décourage beaucoup de contestataires du 17 octobre, qui craignent de faire le jeu des politiques alors que leur opposition se dirige contre tout le système. »

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L’absence de leadership clair dans cette révolution joue elle aussi un rôle dans la démobilisation, estime Lucien Bourjeily, tout en relativisant la pertinence de cet argument. « Il y a des pour et des contre, dit-il. Il est vrai qu’un leadership aiderait à mobiliser les foules, mais il risque d’exacerber des tensions internes et externes au mouvement. Aujourd’hui, certaines formations politiques nouvelles nées hors du système pourraient représenter une alternative viable. Mais à mon avis, il vaudrait mieux garder le cap sur la chute du système actuel et privilégier un renouvellement de la classe politique par des élections. »

Le militant craint cependant « que la peur ne paralyse les gens actuellement, et pas seulement celle liée au risque de détention ou de violence, mais celle relative à la survie pure et simple ». « Quand nous sommes tous descendus spontanément dans la rue le 17 octobre, nous nous trouvions toujours sur la terre ferme, et nous avons décidé de sauter dans le vide, poursuit-il. Aujourd’hui, nous sommes comme sur des sables mouvants. Beaucoup ont besoin de retrouver des points d’attache avant de se lancer à nouveau. »

Les violences, plus qu’un risque, une quasi-certitude

Et la peur se justifierait, selon Samir Skaff, même si elle ne doit pas mettre un terme à la volonté de manifester pour ses droits. « Je crois que nous avons dépassé le stade des problèmes économiques et nous entrons de plain-pied dans une ère d’insécurité, dit-il. Les mouvements de rue ne seront plus pareils à ceux du début, il n’y a plus de place aux négociations, il faut à tout prix déloger les voleurs. Je m’attends à ce que les mouvements soient accompagnés de violences, qu’ils se transforment souvent en émeutes, étant donné la détérioration de la situation économique et sociale. C’est une certitude, nous devons composer avec cette situation, mais elle ne doit pas pour autant nous décourager d’aller de l’avant. »

Le militant déclare cependant ignorer quand les foules reviendront en masse dans les places publiques, et c’est également l’avis de Camille Mourani, un autre activiste politique. « Je pense que l’explosion sociale est inévitable, mais personne ne peut prédire quand et dans quelles circonstances elle va éclater, dit-il. Peut-être qu’il suffira d’un petit incident pour mettre le feu aux poudres. Les groupes de la contestation ont appris à accepter de ne pas pouvoir prédire le comportement de la foule. »

Il estime cependant ne pas toujours comprendre dans quel état d’esprit les Libanais abordent leur révolution. « J’ai l’impression que les contestataires ne descendent dans la rue que quand ils ont l’impression de changer quelque chose, souligne-t-il. Or le système au pouvoir est très enraciné dans la société, et même dans la région. Il faut reconnaître que s’opposer à lui implique de nombreuses difficultés. »

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Réveillons-nous avant qu’il ne soit trop tard

Camille Mourani pense cependant qu’une autre raison pousserait les Libanais à bouder la rue. « Les revendications ne sont pas toujours claires », estime-t-il. Alors que Samir Skaff pense que la chute de l’actuel gouvernement doit être en tête de liste des priorités de la contestation, Camille Mourani est convaincu qu’il faut viser plus haut, ce changement de cabinet pouvant se transformer en un remplacement de certains noms par d’autres, sans bouleversement sur le fond. « À mon avis, il faut demander la démission du président de la République pour créer un choc réel, affirme-t-il. Le président actuel n’aurait-il pas exigé le départ d’un autre si de telles circonstances étaient réunies sous un autre mandat ? »

Toutefois, quelles que soient les revendications par ailleurs, le militant est convaincu que les groupes de la contestation doivent continuer à œuvrer pour une feuille de route unifiée, qui servirait de guide aux manifestants quand ceux-ci réinvestiront la rue.

« Je ne comprends pas pourquoi nous ne sommes pas tous dans la rue ? Pourquoi faire semblant de vivre quand le pays est mort ? » Ce cri d’une internaute sur un réseau social résume la frustration de beaucoup de Libanais aujourd’hui, qui ne comprennent pas pourquoi un mouvement de contestation né le 17 octobre sur le coup d’une taxe de six dollars (parmi d’autres), qui...

commentaires (9)

Il suffit de voir les tags anarchistes au centre ville de Beyrouth pour peut-être trouver un début d'embryon de réponse sur les craintes de la majorité des libanais pour qui les libertés et le respect de la propriété privée sont essentielles. Où la société dite civile veut-elle les mener ?

Eglise Protestante Française au Liban

12 h 22, le 03 juillet 2020

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Commentaires (9)

  • Il suffit de voir les tags anarchistes au centre ville de Beyrouth pour peut-être trouver un début d'embryon de réponse sur les craintes de la majorité des libanais pour qui les libertés et le respect de la propriété privée sont essentielles. Où la société dite civile veut-elle les mener ?

    Eglise Protestante Française au Liban

    12 h 22, le 03 juillet 2020

  • " ALL OF THE ABOVE" sont de bonnes syntheses. mais priere ne pas oublier qu'a un moment ,donne, d'un claquement de doigt de nasrallah, berri , hariri & jobran on a vu se retirer des rues je dirais 80% des manifestants. ca veut dire quoi ? ca veut simplement dire que 80% des citoyens sont encore les esclaves de leurs maitres respectifs. ESPERONS seulement que depuis lors les 80% auront diminue, devenus 50%-ce serait deja formidable que 50% descendent dans les rues.

    Gaby SIOUFI

    12 h 04, le 03 juillet 2020

  • Tout simplement parce que des négations ne font pas un programme de ralliement. Il faut un projet et des porteurs de projets nouveaux et ayant une crédibilité. Toute la rue ne sera pas d’accord avec tout, mais il faut donner des directions.

    Bachir Karim

    10 h 43, le 03 juillet 2020

  • Une lassitude et un désarrois se sont emparés des libanais qui croyaient dans leur fort intérieur qu’ils vivaient dans un pays démocratique et qu’une protection instantanée de l’armée et des forces intérieures de sécurité viendraient assurer leurs périmètres de sécurité. Quelle ne fut pas leur sidération de voir ces derniers casser le cordon pour laisser passer les voyous avec leurs mobylettes et leurs bâtons sous les regards amusés des soit disant protecteurs. La suite tout le monde la connaît, on arrête les militants d’un Liban souverain pour les condamner et les dissuader de reprendre le flambeau et on laisse tranquilles les voyous pour la prochaine séance d’intimidations et de terreur. Le ministre de l’intérieur n’avait il pas clairement annoncé son dévouement à notre cher président? LA PREUVE

    Sissi zayyat

    10 h 41, le 03 juillet 2020

  • Il n'y a pas eu de révolution a ce jour mais juste une fronde. Les demandes sont légitimes mais ne seront jamais entendue tant que le pouvoir en place n'est pas changé et cela commence par des élections rapides, un nouveau gouvernement et Président et de suite le désarmement du parti de Dieu. Cette dernière étant une condition sine qua non pour pouvoir changer quelque chose, Sinon c'est peine perdue.

    Pierre Hadjigeorgiou

    10 h 15, le 03 juillet 2020

  • Revisitons nos manuels d'Histoire. A mon avis, ce que nous avons vécu jusqu'à présent n'est pas une revolution mais plutôt une contestation ou un soulèvement populaire. Une véritable revolution doit avoir un programme concis et précis avec un ou deux objectifs (pas plus,) un directoire qui mène la danse et des alliances avec des groupes de pression (ONG, société civile,). A ceux qui retendent qu'un directoire est une cible facile à abattre, je réponds qu'une révolution sans effusion de sang relève alors du folklore.

    Tabet Karim

    09 h 35, le 03 juillet 2020

  • LA PEUR D,INFECTION PAR LE CORONAVIRUS RETARDE LA PLEINE REPRISE DE LA CONTESTATION MAIS UNE FOIS LA PEUR PASSEE ET LA FAIM AIDANT C,EST D,UNE REVOLUTION EN BONNE ET DUE FORME QUE LES CORROMPUS SERONT CONFRONTES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 03, le 03 juillet 2020

  • Tout simplement parce que vous n’êtes pas encore mature!!

    Bery tus

    07 h 01, le 03 juillet 2020

  • Les 5 phases de la douleur de Kübler-Ross Understanding the Kubler-Ross Change Curve https://www.cleverism.com/understanding-kubler-ross-change-curve/

    Zovighian Michel

    05 h 14, le 03 juillet 2020

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