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Nos Lecteurs ont la Parole

Corruption et mentalités

C’est un secret de polichinelle : le Liban a acquis la terne réputation d’être l’un des pays les plus corrompus au monde durant les dernières décennies. Dans son rapport annuel de 2019, Transparency International classe le Liban au bas du peloton (142e sur 180 pays) au niveau mondial de l’indice de perception de la corruption. Ce résultat n’est point surprenant. En effet, il suffit de puiser dans le tas grouillant de dossiers administratifs pour y découvrir moult magouilles et prévarications qui rendraient vert de jalousie les véreux, les plus endurcis de la planète. Aucune échoppe, grande ou petite, n’échappe à la convoitise des rapaces mafieux. D’une manière métaphorique, on pourrait dire que le Liban est une bête magnifique que des vampires insatiables ont impitoyablement abattu et vidé de son sang, où pullulent des parasites de toutes sortes et dont les miasmes puants envahissent l’atmosphère d’odeurs nauséabondes.

La charogne des fortunes mal acquises au pays du Cèdre provient invariablement des cuisines mortifères qui sont sous la houlette d’une poignée de politiciens chevronnés. Leurs subalternes sont une bonne centaine de fonctionnaires de première et deuxième catégories, ainsi que d’autres groupuscules interconnectés qui orbitent autour de la cour des puissants seigneurs, tels des charognards qui gravitent autour des redoutables prédateurs dans la jungle sauvage.

Dans ce contexte morbide, il est à noter que la corruption n’est l’apanage d’aucune tendance politique. En conséquence, les corrompus sont souvent affiliés à des partis politiques antagonistes qui ont marqué les esprits par l’intensité de leurs divergences et donc de leurs animosités. Mais le miracle se produit dès que l’un d’eux est soupçonné de corruption. Soudainement, comme par enchantement, les différents antagonistes fusionnent. Ils relèguent aux oubliettes leurs querelles intestines. Ils enterrent temporairement leurs haches de guerre. Ils se consultent furtivement loin des projecteurs et des regards indiscrets. Finalement, les choses se tassent, l’affaire est classée et, au final, il n’y a ni crime ni châtiment.

D’une certaine façon, la corruption au Liban s’apparente à l’Hydre de Lerne, le monstre légendaire à multiples têtes de la mythologie grecque. Aussitôt que l’on tranche une tête du monstre, elle se régénère instantanément. Il n’est donc point surprenant qu’aucune personnalité politique de premier plan n’ait été inculpée de corruption dans l’histoire du Liban. Ce phénomène, unique au monde, engendre frustration et crispation. Pour calmer les ardeurs, les responsables se lancent effrontément dans des diatribes virulentes et passionnées à l’encontre de coupables sans nom, sans voix, sans yeux et sans visage, c’est-à-dire tout simplement des coupables fantômes. En évoquant la situation lamentable du pays, ces responsables exhibent une mine affligée et clament solennellement leur innocence, à tel point qu’on leur donnerait le Bon Dieu sans confession.

Mais le passage du temps a changé la donne. Le pays du Cèdre s’enlise systématiquement dans la pauvreté et le citoyen n’arrive plus à joindre les deux bouts. Ce qui était toléré auparavant ne l’est plus aujourd’hui. Le ras-le-bol est à son paroxysme. Au sens figuré comme au sens propre, les Libanais réclament que des dirigeants rendent des comptes. Cependant, ces dirigeants ne viennent ni de Saturne, ni de Neptune, ni de Corfou, ni de Tombouctou. Ce sont les fils de notre pays, aussi purs que le lait et le miel du pays du Cèdre. Bref, ils sont le miroir de notre société, le produit de notre environnement et l’expression de notre culture.

Ayons donc la lucidité de voir la réalité brute telle qu’elle est : nous sommes tous responsables de la corruption, qu’elle soit directe ou indirecte, flagrante ou subtile, visible ou invisible. Nous sommes corrompus lorsque l’on viole insolemment les règles les plus élémentaires du respect, de la compassion, de la dignité et de la déférence à l’égard du prochain. Par exemple, nous sommes corrompus lorsque nous sollicitons des connaissances pour nous soustraire à un contrôle de fisc ou de police. Aussi, nous sommes doublement coupables lorsque nous roulons à tombeau ouvert dans des quartiers résidentiels et que nous mettons en danger la vie des autres.

Il faut se rendre à l’évidence. La corruption est une tare génétique qui sévit dans le pays depuis belle lurette. En conséquence, les revendications pour éradiquer la corruption, aussi nobles fussent-elles, resteront lettre morte tant que les mentalités perdureront. En d’autres termes, les chiens aboieront et la caravane passera. Un vrai changement nécessite un désir ardent et une volonté réelle de changer les choses au plus profond de la conscience humaine.

Deux transformations fondamentales devraient se produire au niveau mental pour aspirer à un avenir meilleur. Premièrement, il faudrait bouleverser notre façon ethnocentrique de penser. Deuxièmement, il faudrait avoir l’esprit ouvert pour assimiler de nouvelles perspectives géocentriques. Cela n’est pas chose facile car les mentalités sont fortement ancrées dans les esprits. Elles se transmettent de génération en génération, de père en fils, de mère en fille, et bien au-delà.

Néanmoins, un vent de changement souffle sur la jeunesse libanaise, pourtant pétrie de désillusions. Beaucoup de préjugés qui étaient outrageusement acceptés dans le passé (comme, par exemple, le racisme et la xénophobie) ne sont plus pour autant tolérés de nos jours. Quelle est la cause de ce nouveau crépuscule? Je pourrais m’aventurer en pointant du doigt la mondialisation et la révolution numérique. Ces deux phénomènes du monde contemporain contribuent largement à la réduction des distances entre les populations des divers confins du monde et donc, dans une certaine mesure, à harmoniser certaines cultures et valeurs universelles. Le Liban, à l’instar des autres pays du globe, n’est pas à l’abri d’une transformation affective et comportementale. L’optimisme est donc de mise.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

C’est un secret de polichinelle : le Liban a acquis la terne réputation d’être l’un des pays les plus corrompus au monde durant les dernières décennies. Dans son rapport annuel de 2019, Transparency International classe le Liban au bas du peloton (142e sur 180 pays) au niveau mondial de l’indice de perception de la corruption. Ce résultat n’est point surprenant. En effet, il...
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