Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Dans vos mémoires bien après le dernier paragraphe

Dans un contexte de violences conjugales exacerbées par le confinement et les mesures obligatoires de distanciation et de limitation de contact avec les autres, un souvenir m’est revenu d’une histoire vraie qui pourrait vous secouer ou vous inspirer, peut-être vous surprendre ou vous heurter, ou même vous amuser, mais dans tous les cas, c’est une histoire qui ne vous laissera pas indifférent. Elle s’est passée longtemps avant le Covid-19 dans ma ville natale.

À peine âgée de 20 ans, la femme dont il s’agit dans cet article s’est mariée à l’homme de son choix en dépit du non-consentement de ses parents. Jeune, belle et rebelle, elle a vécu une splendide lune de miel avec son amoureux de mari. Suite à ce bel emballement, et de retour à la vie normale, elle est tombée enceinte et les emmerdes ont aussitôt commencé à émerger et à envahir son quotidien, ses soirées et ses nuitées surtout.

Chaque soir, son mari revenait de son travail de très mauvaise humeur. Il buvait, perdait tout contrôle et la battait. Un rituel qu’il prenait grand plaisir et énorme satisfaction à perpétrer. Pour un oui ou pour un non, tous les soirs, elle dormait dans la peur et en pleurs, sous les coups de ce mari qu’elle ne reconnaissait plus. Il est devenu, d’un coup, une tout autre personne, violente, déchaînée et tyrannique.

Mais à qui pourrait-elle pleurer son chagrin, à qui pourrait-elle parler de sa peine et se plaindre ? Honteuse de son choix et toujours amoureuse, elle subissait l’emprise de cet homme et elle gardait son désespoir dans ses entrailles. Devant ses parents, elle faisait semblant de filer toujours le grand amour, ces parents qu’elle voyait de moins en moins selon les bleus et les cicatrices laissés sur son corps et sur son visage.

Elle était dans la mouise et la misère et en plus, elle est devenue la chose de cet ignoble. Il décidait de tout, de ses sorties, de son apparence, il contrôlait sa volonté et il jouait de ses sentiments, tantôt il l’embrassait et tantôt il l’assenait de coups, et dans les deux cas, il se réjouissait. Un sentiment de plénitude l’envahissait à chaque fois qu’il la frappait, car il croyait, dans son minable cerveau, dans sa bassesse et sa petitesse, qu’il triomphait. Un mini, messieurs, mesdames, en bonne et due forme. En dehors de la maison, il se comportait en homme poli et gentil, et à l’intérieur, il se transformait en une brute incapable de la moindre humanité.

Un premier bébé, garçon, n’a apaisé cette brute que pour une très courte période, et au blues survenu après son accouchement s’ajouta la pénibilité de la reprise des coups que cette pauvre femme devait subir à un rythme bien soutenu. Tantôt c’est le visage qui subissait des gifles saccadées et brusques, tantôt c’est un coup de pied foudroyant qui touchait le dos et qui la forçait à s’aliter plusieurs jours.

Un deuxième puis un troisième garçon sont nés de cette union déplorable. Et chacun de ces garçons, à peine arrivé à l’âge de marcher, a commencé à payer un lourd tribut du fait de ses bêtises d’enfant. Des claques, des gifles, des coups de pied etc. Pour cette femme, le fait que ses garçons avaient à subir ces atrocités, détester celui qui en est la cause était la moindre des choses. À partir de là, pour elle, la folie disgracieuse de son mari a dépassé toute limite et tout entendement. Sa vie est devenue insoutenable et celle de ses enfants aussi. À présent, elle déteste son mari et sa haine n’a plus de limite.

Et durant ses longues nuits d’insomnie, elle pensait à sa délivrance et à celle de ses enfants. Intelligente et calculatrice, elle savait que ses chances d’obtenir le divorce étaient infinitésimales, alors elle a élaboré une stratégie, qui s’est avérée, avec le recul, extrêmement gagnante. Une stratégie digne de Mme de Merteuil dans Les Liaisons dangereuses de Laclos. Puisque, comme cette dernière, elle a travaillé sur elle-même et elle a « porté le zèle jusqu’à se causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant ce temps l’expression du plaisir ». Elle a joué une comédie et pas des moindres, celle de sa vie à côté de ce monstre, le temps que l’aîné soit en âge de voyager seul. Donc, pendant presque dix ans, elle a acté l’amante dévouée et très attentionnée de cet amant déchu, et sa vie se résumait désormais à la satisfaction, dans la servitude pure et simple, des moindres souhaits et des plus grands désirs et plaisirs de ce forcené laissé en toute liberté.

Et dans cette stratégie efficace où l’hypocrisie et la comédie grignotaient du terrain sur la franchise des sentiments, les coups s’allégeaient un peu sans disparaître pour autant. Elle a réussi à l’amadouer et elle était émerveillée de son pouvoir de le faire. Ainsi les coups et les excès de colère se réduisaient à deux fois ou moins par semaine. Mais la rancune et la répulsion physique et psychologique se sont installées durablement dans le cœur de la belle rebelle, et son avenir, elle ne voulait plus qu’il ressemble à son présent, maintenant qu’elle haïssait du fond du cœur cet homme qu’elle a aimé du fond du cœur.

Aussitôt bachelier, elle envoie son grand aux États-Unis avec l’argent qu’elle a mis de côté à force d’épargne et de bon management, et elle lui promet très secrètement de le suivre avec sa fratrie mais à condition qu’il se démène là-bas, qu’il trouve du travail et qu’il continue ses études en même temps. Et pour l’amour de sa mère, et au nom de leur délivrance, ce jeune s’est porté complice. Il est parti et malgré toutes les difficultés, il est resté, il a enchaîné les travaux, il a bossé de façon ardue et il a vécu de manière très austère pour pouvoir accueillir son frère d’abord, puis sa mère et son petit frère quelques années plus tard.

Réussir à partir pour cette femme relevait d’un défi extrême. Elle ne s’est pas enfuie. Elle est partie en douceur. Elle a promis à celui qui lui a pourri sa jeunesse de faire tout son possible et de s’activer avec ses enfants pour lui créer le climat favorable et préparer le terrain pour l’accueillir dans les meilleures conditions possibles à son arrivée aux États-Unis. Et dans sa naïveté, il était convaincu que ce moment n’allait pas tarder à venir. Mais ce moment n’est pas arrivé, mais ce moment n’est jamais arrivé.

Et depuis le départ de sa femme, il n’a réussi à avoir aucune nouvelle d’elle et de ses enfants. Il a alors menacé sa famille par des armes et des bombes pour lui donner de ses nouvelles, mais celle-ci aussi n’en recevait aucune. Elle a disparu. Elle s’est éclipsée de son radar et de celui de sa propre famille. Plus aucune trace.

Plusieurs années plus tard, sa famille a réussi à avoir des nouvelles de leur fille. Des nouvelles très réconfortantes puisque à force de travail, cette femme à la volonté de fer a réussi ce qu’elle a voulu : une vie décente avec un confort financier assez conséquent et la garantie d’un meilleur avenir pour sa progéniture.

Toute sa vie durant, jamais elle n’a pu oublier les excès de colère et la misérable et détestable haine qu’un vaurien avait déversés sur elle et sur ses garçons. Libérée mais toujours obsédée par sa probable apparition, elle dormait quelque part aux États-Unis avec plus ou moins de tranquillité car, marquée comme au fer rouge par la peur, elle a gardé tout le temps auprès d’elle un long bâton pour le frapper et prendre sa revanche au cas où.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Dans un contexte de violences conjugales exacerbées par le confinement et les mesures obligatoires de distanciation et de limitation de contact avec les autres, un souvenir m’est revenu d’une histoire vraie qui pourrait vous secouer ou vous inspirer, peut-être vous surprendre ou vous heurter, ou même vous amuser, mais dans tous les cas, c’est une histoire qui ne vous laissera pas...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut