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Nos Lecteurs ont la Parole

Indépendance judiciaire et interventions inappropriées !

Ce ne sont pas les permutations qui peuvent assurer l’indépendance de l’autorité judiciaire, encore moins le niveau de compétence, d’expérience ou de science juridique de la magistrature assise ou debout. Ce n’est pas à la faculté de droit qu’on apprend le courage de dire non, ni à l’École nationale (ou supérieure) de la magistrature que l’on inculque le « constant souci de ne pas plaire ». Ces temples du savoir ne sont pas des académies pour forger le caractère moral ni pour développer l’esprit de rébellion face au diktat des autorités. Disons plutôt que seuls des individus aux âmes bien trempées peuvent se tenir vent debout contre les interventions inappropriées et peuvent, dans leur singularité, constituer un « milieu résistant » aux pressions politiques et aux allégeances primaires, confessionnelles soient-elles ou claniques.

Il ne faut pas désespérer de notre magistrature. Elle a regorgé d’honneur. Et si des magistrats ont souvent failli, d’autres ont été des modèles de probité : ils vécurent leur profession comme une ascèse.

À nous les deux exemples suivants : en 1949, le premier président Émile Tyan, à la tête de la commission des grâces dans l’affaire Antoun Saadé, refusa de se plier aux injonctions du pouvoir. Il eut le cran de s’opposer au chef de l’État Béchara el-Khoury et à ceux qui étaient pressés d’exécuter le leader PPS, dans la foulée d’un procès bâclé. Le professeur de droit qu’il était n’en avait que plus de mérite, le « zaïm », promoteur d’une Grande Syrie, représentant à ses yeux de libaniste ardent l’ennemi total. Mais son intégrité de jurisconsulte lui avait assigné la tâche de s’opposer à l’exécutif. Dans cette épreuve qui l’opposa également au parquet, il ne chercha ni à biaiser ni à louvoyer ; il s’en tint à la lettre de la loi comme à son esprit*. Un autre exemple, et pas des moindres, nous fut donné par Émile Abi Kheir lors du procès-fleuve des putschistes PPS de 1961. Président la Cour de justice qui devait juger les auteurs du coup d’État, il tint tête à ses assesseurs, les quatre juges militaires, et par-delà ces juges, au président Fouad Chéhab et au Deuxième Bureau de l’armée. Il fit prévaloir son point de vue selon lequel le crime en question était un crime politique et ne pouvait être qualifié de crime de droit commun, comme l’aurait souhaité le régime en place qui voulait accabler ceux qui l’avaient pris pour cible.

État des lieux

En cette année du centenaire, notre législatif est asservi et discrédité, notre exécutif est ubuesque, et pourtant nous ne sommes plus sous occupation syrienne, nous assure-t-on. Nous vivons un capharnaüm au niveau de la gestion nationale ; les plaies de l’administration suppurent. Et c’est un tel spectacle de déliquescence et de pourrissement : une cour des miracles où le personnage de Quasimodo fait des apparitions soudaines et puis se retire pudiquement.

Alors que dire de l’appareil judiciaire garant de la suprématie des lois et de l’égalité citoyenne et comment l’émanciper de la tutelle politique ? Par des permutations ? Vraiment ? Irions-nous jusqu’à le croire ?

Qui donc peut redresser la barre ?

Pour savoir à quel saint se vouer, compulsons la Bible. Jéhovah, ayant désespéré de la débauche de Sodome et Gomorrhe, avait décidé, dans la colère que lui attribue la Genèse, de les détruire. Sur l’intercession d’Abraham, il s’était ravisé et écrié : « Qu’on me trouve cinquante justes dans ces bourgades et je les épargnerai ! Qu’on me trouve dix justes et elles seront sauvegardées ! » Or les hommes de bien étaient rares. On connaît la suite; des colonnes de feu et de soufre ravagèrent les lieux.

Reprenons : pour assurer l’indépendance de la justice, on ne peut compter, en cet instant, que sur des cas isolés d’audace individuelle. Alors trouvez-nous cinquante justes dans la magistrature, trouvez-en dix à défaut de mieux !

Car c’est d’un « gouvernement des juges » que viendra la rédemption nationale.

Youssef MOUAWAD

* « Not under my watch », se serait-il s’exclamé en anglais, s’il avait occupé ses fonctions à l’Old Bailey.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Ce ne sont pas les permutations qui peuvent assurer l’indépendance de l’autorité judiciaire, encore moins le niveau de compétence, d’expérience ou de science juridique de la magistrature assise ou debout. Ce n’est pas à la faculté de droit qu’on apprend le courage de dire non, ni à l’École nationale (ou supérieure) de la magistrature que l’on inculque le « constant...
commentaires (2)

Je cite : ""Reprenons : pour assurer l’indépendance de la justice, on ne peut compter, en cet instant, que sur des cas isolés d’audace individuelle. Alors trouvez-nous cinquante justes dans la magistrature, trouvez-en dix à défaut de mieux !""................................................................................................... Voilà qui vient à point pour rappeler que le pays a connu d’éminents juristes de la trempe des deux Emile, Tyan et Abi Kheir. Que sous-entend le texte ? Evidemment, la RESTAURATION de l’autorité judiciaire, et surtout son indépendance par rapport au pouvoir en place. Pour restaurer la bonne réputation de la justice, l’auteur ne cache pas qu’il y a beaucoup de travail à faire, et que les hommes de bonne volonté, de courage et de l’envergure des juristes mentionnés, manquent cruellement à Beyrouth Mères des Lois. Plutôt doublement courageux, car il faut se rappeler le caractère insurrectionnel de l’époque… quand le pouvoir politique s’empiétait sur les autres. L’indépendance de la justice, par temps de paix ou de conflit est essentielle pour la démocratie. J’ai suivi dans les journaux une saga judiciaire pendant une vingtaine d’années, opposant un ex-roi, et donc un chef d’Etat, à une plaignante, sa fille née hors mariage. Après analyses de test ADN, et vérification de dossier, la justice a tranché, et le roi a reconnu sa fille… Cela s’appelle la démocratie… et son immunité ne se renforce qu’avec le travail acharné des démocrates… C. F.

L'ARCHIPEL LIBANAIS

12 h 21, le 10 juin 2020

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Commentaires (2)

  • Je cite : ""Reprenons : pour assurer l’indépendance de la justice, on ne peut compter, en cet instant, que sur des cas isolés d’audace individuelle. Alors trouvez-nous cinquante justes dans la magistrature, trouvez-en dix à défaut de mieux !""................................................................................................... Voilà qui vient à point pour rappeler que le pays a connu d’éminents juristes de la trempe des deux Emile, Tyan et Abi Kheir. Que sous-entend le texte ? Evidemment, la RESTAURATION de l’autorité judiciaire, et surtout son indépendance par rapport au pouvoir en place. Pour restaurer la bonne réputation de la justice, l’auteur ne cache pas qu’il y a beaucoup de travail à faire, et que les hommes de bonne volonté, de courage et de l’envergure des juristes mentionnés, manquent cruellement à Beyrouth Mères des Lois. Plutôt doublement courageux, car il faut se rappeler le caractère insurrectionnel de l’époque… quand le pouvoir politique s’empiétait sur les autres. L’indépendance de la justice, par temps de paix ou de conflit est essentielle pour la démocratie. J’ai suivi dans les journaux une saga judiciaire pendant une vingtaine d’années, opposant un ex-roi, et donc un chef d’Etat, à une plaignante, sa fille née hors mariage. Après analyses de test ADN, et vérification de dossier, la justice a tranché, et le roi a reconnu sa fille… Cela s’appelle la démocratie… et son immunité ne se renforce qu’avec le travail acharné des démocrates… C. F.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    12 h 21, le 10 juin 2020

  • --Car c’est d’un « gouvernement des juges » que viendra la rédemption nationale-- JUSTE MAIS ENCORE FAUDRA T IL QU'ILS SOIENT SECONDES PAR LES FORCES DE SECURITE/ L'ARMEE POUR FAIRE APPLIQUER SES DECISIONS ET CONDAMNATIONS ! SERAIT CE POSSIBLE ?

    Gaby SIOUFI

    10 h 29, le 10 juin 2020

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