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Culture - Interview post-confinement

Karen Chekerdjian : J’ai toujours pensé qu’il fallait ralentir le rythme

« Le monde entier s’était mis en mode pause, j’avais enfin le droit d’en faire autant », déclare la designer phare de la scène libanaise, qui a profité de l’isolement sanitaire forcé dû à la pandémie de Covid-19 pour se reconnecter avec sa nature profonde de contemplative. La créatrice, qui a toujours privilégié la quête de sens et de pérennité dans son travail, est plus que jamais convaincue de la nécessité de se réapproprier le temps. « En tout cas, je ne vais pas revenir au rythme de ma vie d’avant », assure-t-elle.

Karen Chekerdjian : J’ai toujours pensé qu’il fallait ralentir le rythme

Le confinement a fait revenir Karen Chekerdjian à sa nature profonde de contemplative. Photo DR

Comment avez-vous vécu ces deux mois de réclusion sanitaire forcée ?

À ma grande surprise, alors que je n’imaginais pas pouvoir tenir plus de deux semaines confinée, plus le temps passait, plus j’éprouvais du plaisir à rester chez moi. Je suis ainsi « redevenue » paresseuse. Car c’est ce que je suis profondément, même si toute ma vie j’ai essayé d’aller à l’encontre de ma nature. En fait, depuis mes 21 ans, je m’étais mise dans un rythme de travail effréné, sans jamais m’arrêter, sans jamais me reposer. Et je commençais à en ressentir le contrecoup. Cette dernière année en particulier, je me sentais constamment fatiguée. Je n’arrêtais pas de répéter que j’avais besoin de vacances.

Alors, le confinement a été un soulagement. Je me suis enfin laissée aller à une espèce de farniente total. Je me suis beaucoup occupée de moi, ce que je n’avais jamais le temps de faire avant. Et comme je n’avais plus à me soucier de devoir me lever tôt pour l’école des enfants et le travail, j’ai suivi mes propres rythmes : dormir tard, me lever tard, lire et regarder des films toute la nuit… Mais j’ai aussi fait du sport tous les jours. Et puis j’ai profité de ma maison…

Qu’avez-vous découvert, expérimenté, appris de nouveau ou encore tiré comme enseignement de cette période de confinement et de temps ralenti ?

J’ai adoré le ralentissement de cette période qui m’a permis de me reconnecter avec mon côté contemplatif. J’ai la chance d’avoir une belle terrasse qui donne sur un jardin en face de là où j’habite. Je pouvais enfin m’y asseoir longuement pour contempler la nature et écouter le chant des oiseaux, le matin et le soir…

J’ai découvert qu’il n’y a rien de plus apaisant. Ça m’a d’ailleurs conduite à la méditation, que j’ai pratiquée grâce au site Yogaholic d’une amie, Danielle Abisaab, professeure de yoga. C’est un outil sublime pour commencer sa journée ou la clôturer, surtout quand on est un peu tendu ou déprimé.

En fait, cette période a été un temps d’introspection bénéfique pour moi, comme pour beaucoup je pense. On s’était tous un peu perdus dans un rythme de vie frénétique et on avait besoin de revenir vers plus de calme, de modération et d’écoute de soi.

En parallèle, j’ai aussi découvert tout ce que pouvaient offrir YouTube et les réseaux sociaux, depuis les séances de sport aux émissions, tutoriels, etc.

Tout un monde avec lequel je n’étais pas familière et qui m’a absolument fascinée.

Cette période vous a-t-elle inspiré la conception ou la réinvention d’un objet particulier ?

Je me suis souvent dit au cours de ces deux mois qu’il faudrait que je dessine quelque chose, mais je n’ai pas tenu une seule fois mon crayon pour le faire. Je ne me suis pas forcée, en prenant pour excuse le fait que le monde entier s’était mis en mode pause et que j’avais le droit d’en faire autant. D’autant que je ne suis pas quelqu’un qui travaille dans la sérénité. Je suis au contraire toujours hyperanxieuse ; je fais beaucoup d’efforts, de recherches, d’introspection…

Et comme il y avait déjà beaucoup d’angoisse qui venait de l’extérieur, je n’avais pas envie de me mettre une pression supplémentaire.

Comment voyez-vous évoluer votre pratique de designer dans ce contexte de double crise sanitaire et économique que connaît le Liban ?

Si le Covid-19 peut, à la limite, ne pas affecter directement le secteur du design, on ne peut pas en dire autant économiquement. On est très mal en ce moment. On tourne à moins de 30 % de notre fonctionnement habituel. Et avec la difficulté à se procurer des matières premières de l’étranger, les métaux, les bois, le cuir qu’il faut payer en devises cash, le coût de production au Liban, déjà élevé, va encore augmenter.

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Alors que depuis mes débuts, j’ai toujours tenu à tout fabriquer au Liban, aujourd’hui je commence à réfléchir à la possibilité de le faire ailleurs. Aujourd’hui, mon stock est très important, parce que je sais que pour le reproduire cela va être très difficile. Donc, pour le moment, je suis en train de retravailler mon site internet, pour le rendre plus accessible, plus clair et attractif pour l’international. Car jusque-là, mon marché était à 85 % au Liban et seulement 15 % à l’étranger. Mais pour survivre, il faudra désormais que les ventes aillent à l’étranger.

Que répondez-vous à ceux qui voient dans la crise sanitaire une revanche de la nature envers la surconsommation ?

Je partage assez leur avis. D’ailleurs, dans ma pratique de designer, j’ai toujours été à l’encontre de la production industrielle de masse. Évidemment, on m’a beaucoup reproché d’avoir une pensée très élitiste. Alors que même le « fait main » peut être accessible, à mon avis. Personnellement, j’ai toujours été en quête de sens et de pérennité des objets. Je préfère par exemple aller aux puces, trouver de vieilles pièces, les acheter et les retransformer plutôt que d’aller vers quelque chose qui est de la grande consommation. Donc effectivement, on a surconsommé et il faut aujourd’hui se poser un peu et se calmer. Avoir effectivement un comportement écoresponsable. Pas besoin d’acheter 10 fois la même chose, on peut s’en tenir à une seule mais de qualité. Quand j’ai travaillé sur mesure pour des intérieurs, j’ai toujours pensé que les pièces mobilières que je faisais devaient rester là pour toujours, qu’elles devaient faire partie intégrante du lieu, y rajouter du sens et accompagner la vie de ses habitants…

Pensez-vous que l’après-Covid-19 ressemblera à l’avant ? Qu’est-ce que cette crise va changer à votre avis ?

Je pense que beaucoup de choses vont changer. Je crois par exemple que beaucoup de gens vont limiter leurs voyages par peur des risques qu’entraînent les déplacements en avion. Et cela va probablement impacter l’industrie du tourisme qui était gigantesque et faisait tourner le monde.

En contrepartie, peut-être que du fait qu’on aura moins la possibilité d’importer et d’exporter, on produira plus local. J’espère que cette pandémie va contribuer à arrêter la délocalisation des industries qui a été une grosse catastrophe pour la planète d’un point de vue écologique, mais aussi au niveau de la préservation des savoir-faire caractéristiques de chaque pays.

Et enfin, j’espère qu’on ira vers plus de lenteur… J’ai toujours pensé qu’on devait ralentir notre rythme de vie et revenir à celui des générations précédentes, plus en phase avec les cycles naturels et l’équilibre humain. Il y a 50 pour cent de chances que les gens réalisent qu’il faut ralentir le rythme, 50 pour cent de chances qu’on revienne au monde d’avant… Pour ma part, c’est décidé, je ne reprendrai pas mon rythme d’avant.

Comment avez-vous vécu ces deux mois de réclusion sanitaire forcée ? À ma grande surprise, alors que je n’imaginais pas pouvoir tenir plus de deux semaines confinée, plus le temps passait, plus j’éprouvais du plaisir à rester chez moi. Je suis ainsi « redevenue » paresseuse. Car c’est ce que je suis profondément, même si toute ma vie j’ai essayé d’aller à...

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