C’est une tournure confessionnelle grave que risquent de prendre les agressions subies lundi à Lassa, un village à prédominance chiite de Jbeil, par des cultivateurs chrétiens venus y exploiter des lopins mis à leur disposition par la société Daccache et l’association Ardouna. Une conférence de presse conjointe du vicaire patriarcal de Jounieh, dont relèvent ces terrains, et du député Chaouki Daccache (Forces libanaises), qui a fourni gratuitement semences, serres, circuits d’irrigation, engrais et produits de pulvérisation, a permis de faire le point.
« Cette terre est nôtre et nous l’exploiterons », a dit en substance l’évêque Antoine Nabil Andari, qui a reproché aux autorités sécuritaires et judiciaires locales leurs « dérobades » à l’exercice de leurs responsabilités. Lundi, des fermiers chrétiens venus prendre possession de lopins mis à leur disposition gratuitement pour y cultiver la pomme de terre ont été pris à partie et brutalisés par un groupe de motards chiites armés de bâtons, de pierres et de canifs, et chassés des lieux sous les prétextes les plus fallacieux. Un litige oppose depuis des années l’Église maronite, propriétaire de terrains qu’elle met à la disposition d’agriculteurs, au comité des waqfs chiites de Lassa, qui estime que les habitants de confession chiite sont victimes d’un plan d’éviction de la région, établi selon un agenda « bien précis ».
Dans le but d’empêcher la répétition des incidents de lundi, des contacts ont été pris hier au plus haut de la pyramide par le patriarche Béchara Raï, qui s’en est ouvert au téléphone au président de la Chambre Nabih Berry, ainsi que par le député Simon Abi Ramia, qui a été reçu par le chef de l’État Michel Aoun, et par le député FL de Jbeil, Ziad Hawat, qui aurait reçu de M. Berry l’engagement qu’il mettra de l’ordre dans cette affaire.
Pour sa part, c’est d’un ton très ferme que le vicaire maronite de Jounieh, Mgr Antoine Nabil Andari, connu pour être un homme de grande douceur, a conclu hier la conférence de presse conjointe qu’il a tenue avec le député FL Chaouki Daccache au siège du vicariat patriarcal de Jounieh (Adma) pour faire le point sur ces graves développements. S’adressant aux forces hostiles au projet, Mgr Andari a martelé : « Nous sommes les propriétaires légitimes de ces terrains et non des envahisseurs comme vous le dites. Ne falsifiez pas l’histoire en inventant des récits qui concordent avec votre sentiment de supériorité. Ne nous forcez pas à hausser la voix. Notre décision est prise. Nous sommes les héritiers de ceux qui ont labouré le roc et bonifié les terres pour assurer leur subsistance et sauvegarder l’entité (libanaise). Ne mettez pas la sécurité et la stabilité en péril. » « En sus des poursuites judiciaires, a poursuivi l’évêque, nous adjurons pour la dernière fois les instances concernées, le Conseil supérieur chiite et tous les instances et partis, ainsi que les forces de sécurité à tous les niveaux, de mettre fin à ces conduites déviantes et ces agressions, et de protéger la paix civile et la convivialité. C’est dit : j’ai fait mon devoir et avisé qui de droit. »
Dans son discours, l’évêque a affirmé que les terrains contestés « ont été achetés par étapes, documents à l’appui, par nos prédécesseurs depuis plus de deux siècles (…). Ils ont été bonifiés et exploités, pour le bien des fidèles, depuis les affres de la grande famine. Il est notoire que l’évêché possède des documents anciens faisant autorité, ainsi que de récents titres de propriété obtenus après une opération cadastrale volontaire, confirmée de façon légale et définitive après l’opération cadastrale officielle (2000) ».
Et de dénoncer les « pêcheurs en eaux troubles » et les « profiteurs qui, par des voies torses, portent atteinte aux propriétés de l’archevêché en y construisant des logements ou en exploitant sans autorisation des biens-fonds, parfois sans autorisation et parfois en vertu de récépissés falsifiés ».
« Il n’est plus possible de se taire », s’est enfin écrié l’évêque, qui a amèrement reproché aux autorités sécuritaires et judiciaires locales « de se dérober à leurs responsabilités » de mettre un terme aux empiétements sur le cadastre définitif, alors qu’elles doivent « intervenir rapidement ».
Chaouki Daccache hausse le ton
S’adressant pour sa part aux forces de sécurité et à leur commandement, aux ministres de la Défense et de l’Intérieur, au Premier ministre et au président de la Chambre, aux députés et enfin au président de la République, le député FL Chaouki Daccache a déclaré : « Notre bien-fonds sera planté, aussi bien par la force de la loi que par la force du droit (…). L’Église a un Dieu qui sait la défendre, un patriarche et des évêques qui connaissent leurs droits et sauront le faire prévaloir aux yeux de tous. Mais l’Église a aussi des fidèles qui lui obéissent quand elle leur commande. Et paix à ceux qui suivent les voies de la paix. »
Dans un petit retour en arrière, le parlementaire a révélé que, loin des feux de la rampe, le projet s’était heurté, le 13 mai, à des actes d’intimidation similaires, mais que cet incident s’était conclu par « des poignées de main » entre les représentants de l’archevêché et ceux du Conseil supérieur chiite, dont le recours a été sollicité, ainsi que du Hezbollah, du président de la municipalité et du mokhtar de Lassa. Au demeurant, par souci d’équité, 20 % du projet agricole avait été dévolu à 12 familles d’agriculteurs de Lassa même. M. Daccache a révélé avoir également pris contact avec des députés du Hezbollah et d’Amal pour « les mettre au courant du projet », assurant avoir obtenu leur feu vert là-dessus.
L’agression de lundi n’est pas le premier acte d’intimidation dirigé contre l’archevêché de Jounieh (anciennement archevêché de Baalbeck). D’autres l’ont précédée, au fil des années, destinées à imposer comme des faits accomplis des empiétements sur des biens-fonds relevant de l’archevêché. Par souci de la paix civile et de la préservation coûte que coûte de la convivialité, l’Église a toujours fait face à des contestations tout à fait arbitraires et à la présentation de récépissés de moukhtar sans valeur juridique, et ce par la patience et l’arbitrage de la justice. Toutefois, l’incident de lundi semble avoir été la goutte qui a fait déborder le vase.
Quand il s'agit de "serres, circuits d’irrigation, engrais et produits de pulvérisation" a Lassa, je me pose pourtant aussi la question si on regarde l'impact ecologique et si cela ne va pas nuire les autres habitants (par exemple chiites) dans la region. Il faut trouver une solution pacifique par dialogue.
22 h 46, le 28 mai 2020