Des milliers de Libanais quittent le Liban-Sud pour Israël, le 23 mai 2000, deux jours avant l’achèvement du retrait israélien, par la porte de Kfarkila. Menahem Kahana/AFP
À la veille du retrait de l’armée israélienne du Liban-Sud, il y a vingt ans, des milliers des personnes accusées d’avoir collaboré avec l’ennemi avaient quitté « la zone de sécurité », de crainte de représailles, et s’étaient réfugiées en Israël. Aujourd’hui, et même si la loi d’amnistie, à l’ordre du jour de la séance parlementaire d’aujourd’hui, leur permet de rentrer, combien de ces Libanais, dont un grand nombre se sont intégrés en Israël ou se sont installés dans des pays tiers, voudront-ils, ou pourront-ils, regagner pour autant leur foyer ? Ils étaient plus de dix mille, appartenant aux communautés chrétienne, druze et chiite, à fuir en Israël en mai 2000. Tous n’étaient pas membres de la milice pro-israélienne de l’Armée du Liban-Sud. Souvent, ils travaillaient en Israël, notamment en tant qu’ouvriers et ouvrières dans les usines et les fermes de la Galilée, ou comme gardiens et femmes de ménage dans les hôtels de la côte nord israélienne.Au cours des vingt dernières années, plus de la moitié ont quitté Israël soit pour revenir au Liban, soit pour s’installer dans un pays tiers, comme le Canada, les États-Unis, l’Australie, l’Allemagne ou la Suède. Ceux qui ont décidé de rentrer au pays du Cèdre ont purgé diverses peines de prison et ont perdu leurs droits civiques. Beaucoup d’entre eux n’ont pu, durant des années, voter ou obtenir un passeport, voire même un permis de conduire.
Au cours des vingt dernières années, les Libanais qui ont décidé de rester en territoire ennemi s’y sont fait une place. Rejetés par les Palestiniens qui les considèrent comme les alliés de l’État hébreu, ils se sont installés dans des localités à majorité juive, comme Kiryat Shmona, limitrophe du Liban, ou encore la ville touristique et côtière de Nahariya. En Israël, ils ont un statut propre, « Libanais israélien », et non celui d’Arabe israélien. Selon les témoignages de leurs proches ainsi que des articles publiés dans la presse israélienne, leurs enfants sont bien intégrés dans la société israélienne. Ils parlent parfaitement l’hébreu et effectuent des études universitaires poussées. Même si leurs parents ne venaient pas de milieux aisés ou intellectuels, un bon nombre de ces jeunes sont devenus chercheur, professeur d’université, médecin ou architecte. Contrairement aux Arabes israéliens, à l’exception des druzes, les « Libanais israéliens » effectuent le service militaire qu’ils peuvent commuer en deux ans de service civil. Il semble aussi qu’ils n’aiment pas être qualifiés d’Arabes et préfèrent remonter à leurs racines… phéniciennes.
Pour ce milicien de l’ALS en route pour Ras Naqoura lors du retrait israélien du Liban-Sud, en mai 2000, pouce baissé, signe de défaite. Photo d’archives
Une loi qui les dépouille de leur nationalité
« La loi (d’amnistie) devrait permettre uniquement aux femmes et aux enfants des anciens membres de l’ALS de rentrer au Liban. Elle prévoit que toute personne désireuse de revenir au pays présente une demande aux autorités libanaises qui décideront si elle peut le faire ou non. Tous ceux qui étaient membres de l’ALS seront exclus de l’amnistie. Or, ceux qui sont restés en Israël jusqu’à ce jour faisaient partie de la milice. Par ailleurs, le texte stipule que tous ceux qui ne rentreront pas six mois après le vote de la loi seront rayés des registres libanais et seront ainsi dépouillés de leur nationalité libanaise », explique Antoine Saad. Cet avocat traite le dossier du retour des Libanais d’Israël en coopération notamment avec le collectif « Ils ont le droit de rentrer », qui regroupe des dizaines de personnes ayant de la famille en Israël et appartenant aux villages chrétiens de la bande frontalière. Le collectif est aussi en contact avec des membres de la communauté druze, mais le sujet reste très tabou dans la communauté chiite qui constituait une grande partie des membres de l’ALS, notamment des miliciens les moins gradés. « Un bon nombre de personnes de la communauté chiite ayant collaboré avec Israël sont rentrées au Liban et sont venues grossir les rangs du Hezbollah », affirment des personnes originaires des villages de Aïtaroun et Kfarkila, donnant des noms à l’appui. Ces hommes sont rentrés au Liban quelques mois après le retrait israélien et ont purgé des peines de prison avant de revenir au Sud où ils ont rejoint le Hezbollah. Cette loi n’aborde pas les questions liées au statut personnel et occulte plusieurs points, regrette en outre M. Saad. « Un Libanais marié à une Arabe israélienne, même si elle fait partie de sa communauté religieuse, ne peut pas rentrer avec elle au pays. Par ailleurs, que feront les Libanais qui travaillent depuis 20 ans en Israël de leurs économies ? Pourront-ils ramener ces fonds gagnés en Israël ? Que feront les jeunes diplômés issus de familles libanaises ? Leurs diplômes acquis en Israël seront-ils reconnus par l’État libanais ? » interroge l’avocat.
Pour Christelle Hanna, membre du collectif Ils ont le droit de rentrer, « le texte qui sera débattu au Parlement ne constitue pas une loi d’amnistie. L’occupation israélienne du Liban et la situation des habitants du Liban-Sud au cours de cette période font bien partie de la guerre du Liban. Tout le monde a été amnistié. Pourquoi les habitants du Liban-Sud font-ils exception ? » s’insurge-t-elle, avant de souligner à son tour qu’« avec cette loi, il est impossible pour les anciens membres de l’ALS de rentrer au Liban ».
De nombreux habitants du Liban-Sud dont les proches se trouvent en Israël tiennent à rappeler le passé et remontent ainsi jusqu’aux années soixante-dix, quand l’État libanais autorisait les fedayin palestiniens à porter les armes et mener des opérations contre Israël à partir du Liban-Sud. Un grand nombre des habitants des villages chrétiens de la région, qui étaient proches du parti Kataëb, ne se sentaient pas en sécurité. Des exactions contre les chrétiens et les chiites à Khiam ainsi que le massacre de Aïchiyé, où 54 personnes de la communauté chrétienne avaient été tuées en 1976, n’avaient fait qu’amplifier ce sentiment d’insécurité, selon eux.
Au point de passage de Metoulla, un soldat israélien veille sur le flot de réfugiés venant du Liban, lors du retrait israélien en mai 2000. Photo d’archives
« Une autre idée du Liban »
« Le général Saad Haddad, premier commandant de l’ALS, était bien un officier de l’armée libanaise. Jusqu’à présent, d’anciens soldats libanais qui avaient rejoint les rangs de l’ALS encaissent leurs indemnités de l’armée libanaise », explique Carla, originaire de Klay’aa, qui n’a pas vu depuis vingt ans son père, parti en Israël avec le retrait des troupes israéliennes. « Mon père s’est battu pour son idée du Liban. Il avait une cause, et je le respecte pour cela. Oui, mon père a collaboré avec les Israéliens. Il a défendu une cause. Au Liban, tout le monde a collaboré avec quelqu’un. Certains ont collaboré avec les Palestiniens, d’autres avec les Syriens, et maintenant, il y a ceux qui collaborent avec les Iraniens. Ils nous accusent d’être des agents d’Israël, eh bien, nous avons une autre idée du Liban », martèle cette femme âgée de 41 ans. Elle se souvient : « Le jour du retrait israélien, j’étais bloquée avec ma sœur à Beyrouth. Nos parents sont partis sans nous. Puis ma mère et mes frères et sœurs sont rentrés au bout de quelques mois. Mon père est resté seul là-bas. Je me suis mariée six mois après le retrait israélien. Je suis allée, vêtue de ma robe blanche, à Kfarkila. C’était avant la construction du mur. Mon père avait des jumelles. Il m’a vue. Ma tante et mes cousins paternels étaient encore avec lui. Aujourd’hui, tous sont partis au Canada », raconte-t-elle, confiant qu’elle peut aussi, à partir de la frontière, voir la maison de son père à Kiryat Shmona. « Mon père ne connaît pas mes enfants. Il est seul en Israël. C’est un homme qui a passé toute sa jeunesse loin de sa femme et de ses enfants, et cela m’attriste beaucoup », confie-t-elle.
Bernard, lui, a 34 ans. Originaire de Rmeich, il est parti en Israël avec sa famille en mai 2000. Il avait 14 ans. Il est rentré quelques mois plus tard pour passer son brevet. Bernard a été élevé par ses grands-parents. « Jusqu’à mes années d’université, jusqu’à ce que je devienne indépendant financièrement, mes parents m’envoyaient de l’argent avec l’évêque maronite de Terre sainte. Je suis resté 15 ans sans voir ma famille. Et puis j’ai été les voir à Chypre… pour être interrogé à mon retour par les autorités libanaises. Pour eux, je suis le fils d’agents israéliens », dit-il tristement. Il est le seul de sa famille à rester au Liban. Deux de ses frères et sœurs se sont établis en Israël, et les deux autres ont émigré à partir de l’État hébreu au Canada.
Visiblement nous avons inventé différents degrés de "traitrise"! Ceux qui ont collaboré avec l'Egypte du temps de Nasser, ou avec l'Iran de nos jours sont considérés des patriotes qui peuvent siéger au parlement. Alors que ceux qui se sont alliés à Israël sont des traitres qui n'ont pas droit à l'amnistie. On ne sait plus quoi inventer pour enfoncer le pays encore plus...
17 h 40, le 28 mai 2020