Face à Israël, un poster géant et rigide de Qassem Soleimani pointe le doigt en direction de Jérusalem. Photo P,K.
Dans le « Jardin de l’Iran », situé dans le village frontalier de Maroun el-Ras au Liban sud, un poster géant de Qassem Soleimani, commandant de la force al-Qods des gardiens de la révolution iranienne, tué dans un raid américain en janvier à Bagdad, semble narguer les Israéliens. Le poster, installé devant un drapeau de la Palestine, pointe le doigt vers Jérusalem, qui se trouve, selon les pancartes plantées dans le village, à 160 kilomètres de là.
Le Hezbollah a construit avec l’aide de l’Iran dans ce village, après la guerre de juillet 2006, cet immense jardin public, qui donne sur les fermes collectives et les champs agricoles israéliens en contrebas.
Ici, on donne des conférences dans un auditorium portant le nom de l’imam Ali Khamenei, guide suprême de la révolution islamique iranienne, et on organise des barbecues et des pique-niques sous 33 pergolas en béton, pour marquer les 33 jours de la guerre de juillet 2006 qui avait opposé le Hezbollah aux Israéliens, et qui sont chacune baptisée du nom d’une province iranienne.
Vingt ans après le retrait d’Israël de la «zone de sécurité » qu’il avait créée le long de sa frontière avec le Liban, le Hezbollah règne plus que jamais en maître au Liban Sud. Et il est devenu plus fort d’année en année, malgré le déploiement d’une Finul renforcée suite à l’adoption de la résolution 1701 qui a mis fin à la guerre de 2006, ainsi que le déploiement de l’armée libanaise au cours de la même année.
L'entrée du jardin d'Iran à Maroun el-Ras. Photo P.K.
“Le bonheur a la même intensité qu’il y a 20 ans, quand les troupes israéliennes s’étaient retirées de la bande frontalière. C’était notre victoire sur l’ennemi », déclare Abbas, 47 ans, qui balaie devant son épicerie de Maroun el-Ras. A ses côtés, sa fille, âgée de 23 ans et habillée du tchador à l’iranienne, acquiesce, même si elle se souvient vaguement de ce jour-là et de son retour, en compagnie de toute sa famille qui était installée dans la banlieue sud de Beyrouth, dans le village libéré.
Sur « le carré de la résistance », un rond-point entre Maroun el-Ras, Bint Jbeil, Ainata et Aitaroun, une zone qui avait connu d’intenses combats en 2006, les drapeaux jaunes du Hezbollah flottent au vent, tout comme les banderoles rendant hommage au parti de Dieu à l’occasion du 25 mai, journée marquant le retrait de l’armée israélienne en 2000.
Kassem, 25 ans, a déménagé de la banlieue sud de Beyrouth pour rentrer dans son village de Aitaroun il y a tout juste cinq ans. «Ici, c’est mieux pour les affaires. Je suis chez moi et je me sens en sécurité et cela même si l’ennemi israélien est à deux pas. Ici le Hezb me protège », affirme ce propriétaire d’un supermarché.
Dans cette bande frontalière, rien n’est possible sans l’accord du Hezbollah. D’ailleurs, il devient de plus en plus difficile aux journalistes de travailler en liberté. Leurs papiers sont vérifiés à plusieurs reprises par des hommes qui refusent de se présenter et leurs voitures sont filées par des véhicules aux vitres fumées.
Si ceux qui ne cachent pas leur appui au Hezbollah sont nombreux, certains habitants de cette région s’élèvent contre cette mainmise du parti, même s’ils ne sont pas majoritaires et craignent de s’exprimer librement.
« Nous avons changé d’occupant »
« C’est très simple. Pour dire ce que l’on pense, il ne faut pas avoir besoin du Hezbollah. Un épicier qui les critique par exemple, verra qu’il n’a plus de clientèle car le mot sera donné de le mettre à genoux et plus aucun habitant du village n’achètera des produits de chez lui», explique Ayman originaire de Houla, village frontalier qui comptait de nombreux communistes. «Avec le Mouvement Amal, le Hezbollah a aussi noyauté tous les services de l’Etat. J’ai été chassé de mon travail d’enseignant contractuel dans un lycée public parce que je critiquais ouvertement le parti, pas dans mes classes mais dans ma vie privée. C’est simple, le directeur de l’établissement est l’un des leurs », ajoute-t-il. Il n’est pas le seul à être dans cette situation.
Au fil des vingt années passées, d’autres enseignants du public et des infirmières et des médecins des hôpitaux publics de Bint Jbeil et Marjeyoun affirment avoir perdu leur emploi pour les mêmes raisons.
Et pourtant, beaucoup d’entre eux ont payé le prix fort de la lutte contre Israël. Comme Zeinab Fouani (Oum Khaled), octogénaire, qui avait dix enfants. Elle aussi originiaire de « Houla la rouge », elle a perdu cinq d’entre eux dans des opérations contre les occupants israéliens durant les années quatre-vingt.
Toujours alerte et possédant toutes ses capacités mentales, elle sèche ses larmes en évoquant ses enfants tués lors des opérations paramilitaires. « Mes enfants ont fait de la prison, pas seulement dans celles tenues par les Israéliens à Ansar et Khiam mais aussi dans celle de Zefta relevant du Mouvement Amal. Vous parlez de libération ? Nous avons seulement changé d’occupant », martèle cette femme entrée au Parti communiste Libanais en 1954, et qui ne mâche pas ses mots.
Zeinab Fouani rêve encore de récupérer le corps de son fils Farjallah, tué alors qu’il était âgé de 22 ans dans une opération contre les Israéliens en 1987. Elle récite la lettre qu’il lui avait écrite à la veille de sa mort, et qui commence par un «quand tu te réveilleras je ne serai plus là ».
« Israël est parti mais aujourd’hui nous sommes occupés par des miliciens et des voleurs », lance-t-elle, mettant l’accent sur la crise économique.
A Kfarkila, qui fait face à la localité israélienne de Metoulla, un mur de béton s’élève, construit par les Israéliens en 2012 pour éviter le tourisme militant -- car durant des années des bus de partisans du Hezbollah ou de réfugiés palestiniens s’arrêtaient pour lancer une pierre contre l’ennemi. « Pour moi Israël n’existe pas. Je me sens tellement en sécurité grâce au Hezbollah », affirme un garagiste.
Dans un café faisant face au mur, trois hommes évoquent la crise économique. «Du temps de l’occupation israélienne, il y avait de l’argent. Les habitants de la bande frontalière étaient les plus riches du Liban-Sud. Aujourd’hui, nous avons de la peine à assurer notre pain quotidien », dit l’un d’eux. Un autre renchérit : «C’est presque la même chose. L’occupant israélien a été remplacé par une autre forme d’occupation, avec la crise économique en plus ».
Sous l’occupation, les Israéliens ne payaient pas uniquement les membres de l’armée du Liban-Sud (ALS), la milice qu’ils avaient mise en place, mais aussi des centaines de personnes, hommes et femmes qui allaient travailler dans les usines et les hôtels de la Galilée.
L’argent venu d’Israël
Dans le village de Kfarkila, Moussa, la quarantaine et la peau basanée, se promène à moto. Ses camarades l’interpellent par son sobriquet en hébreu : « Moshe ». Moussa est un ancien milicien de l’ALS, il travaillait aussi dans les champs de l’autre côté de la frontière. Après le retrait israélien du Liban-Sud, il a fait un an de prison mais dans ce village chiite, les habitants le traitent toujours de «collabo ». «J’ai travaillé très peu avec l’ALS, ensuite j’étais journalier dans les kibboutzim. Aujourd’hui aussi je suis journalier au Liban. Non je ne me suis pas fait d’amis en Israël. Mais quand Israël était là, nous avions beaucoup plus d’argent », dit-il.
Du temps de l’occupation israélienne, ceux qui ne quittaient pas leur village étaient contraints de collaborer. C’est pour cela que de nombreux adolescents quittaient la zone occupée pour s’installer ailleurs, souvent loin de leurs familles.
Dans les villages chrétiens de la zone frontalière, qui ont souffert de la main-mise des fedayin palestiniens avant d’être occupés par Israël, les gens restent sur leurs gardes et préfèrent ne pas évoquer cette période de l’histoire . Ancien du parti communiste, Mohammed, originaire de Aïtaroun a pris part aux massacres de Aichiyé, en 1976, un village chrétien voisin. «J’étais tout jeune, je ne comprenais pas que la guerre ne mène nulle part et jusqu’à présent je le regrette. J’ai fui mon village à l’arrivée des troupes israéliennes en 1978. J’y suis revenu huit ans plus tard, pour y effectuer une opération paramilitaire », se souvient-il, assis à sa terrasse. «Regardez l’arbre sur la colline. Quand j’y étais arrivé en 1986, c’était la nuit et le courant était coupé. Quand j’avais distingué ma maison, je me suis mis à pleurer », confie-t-il ému.
«Aujourd’hui encore, 20 ans après le retrait israélien, le Liban vit toujours avec les séquelles de la guerre ; regardez la main-mise des milices qui veulent museler les membres de leur propre communauté. Il faut construire un nouveau Liban, un pays où tout le monde vivra en paix », dit-il.
Sadek, appartenant à la même mouvance politique, explique de son côté : «L’armée israélienne est partie pour que d’autres viennent faire la loi. Nous aurions rêvé qu’un Etat qui s’occupe de ses citoyens soit construit. Notre seul salut est la révolution du 17 octobre. C’est elle qui fera tomber le Hezbollah et avec lui tous les seigneurs de la guerre ».
QUAND LA PIEUVRE A REPANDU SES TENTACULES IL EST DIFFICILE SINON IMPOSSIBLE DE LES LUI EN COUPER.
11 h 30, le 26 mai 2020