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Lifestyle - Confinement à Beyrouth

XIX- Ce très long aujourd’hui

Photo DR

Et un nouveau tour d’écrou. Depuis hier et jusqu’à lundi, retour à la compagnie de l’arbre qui danse à la fenêtre pour personne. A. s’est replongé dans ses mots croisés et lève la tête de temps en temps pour me poser une colle. M. continue à jongler entre les claviers, un coup l’ordinateur, un coup le piano, et la fréquence inhabituelle de ses déplacements de l’un à l’autre me serre le cœur : elle a de plus en plus de mal à rester motivée. Le chat tripode est occupé à grandir, de plus en plus espiègle et curieux. À part ça, le silence et l’attente, on ne sait de quoi. Le capital de confiance de ce gouvernement est si proche de zéro que les Libanais sont tous persuadés que le resserrement du confinement décidé pour cette fin de semaine n’a d’autre objectif que de couvrir quelque nouvelle contrebande massive de fuel ou de farine subventionnée avec des fonds de tiroirs, ou de préparer le terrain à des négociations en position d’extrême faiblesse avec le FMI, ou de retenir en vain la chute libre de la monnaie nationale. Mais on se conforme aux ordres, faute d’avoir le choix. Le virus reste maître de la situation et de nos mouvements, de nos élans et de notre faim de chaleur humaine.

J’ai toujours eu une passion pour Harry Potter, surtout le premier tome de la série qui m’a plongée dans une délicieuse régression. Il y a des choses très sérieuses dans Harry Potter. Chaque fois qu’apparaît aux informations l’une des sinistres figures de ce Liban d’en haut de plus en plus bas, je me souviens des propos du doux géant Hagrid au jeune Harry, orphelin de ses deux parents, victimes du sort mortel que leur a jeté le terrible Voldemort, sorcier doublé d’un serpent, disparu depuis l’événement, mais dont la malfaisance resurgit : « Certains disent qu’il est mort. À mon avis, ce sont des calembredaines. Je ne crois pas qu’il ait eu en lui quelque chose de suffisamment humain pour mourir. » C’est en vain que nous cherchons quelque chose d’humain en ceux qui nous gouvernent. Mais il doit y avoir une forme de mort certaine pour l’inhumain aussi. Peut-être cette éternelle nausée qu’en gardera l’histoire de ce pays solaire, pétri d’amour, de joie et de vie, et par leurs mauvais soins, transformé en cloaque.

Voilà que du fond de la maison montent les accents du Dies irae de Mozart. Voilà que M. nous sert des requiem, déjà que l’humeur n’est pas à la fête. Il faut que j’aille jeter un coup d’œil. Derrière sa porte, je l’imagine penchée sur sa table, pleurant à gros bouillons, la tête enfouie dans les bras, le chaton indifférent jouant avec ses longs cheveux. Fausse alerte. Elle a pris une pause et regarde un mélodrame léger où la grande musique vient compenser les faiblesses du scénario. Franchement, se servir de Mozart comme tire-larmes, quel sacrilège ! Le besoin de remplir le silence d’un peu de sens me prend à mon tour. Le Requiem dans mes écouteurs. Agonie douce, initiatique, cheminement mesuré vers la lumière. Quare surget ex favilla : Renaît de ses cendres. Où ça, la mort ?

Dans cette rubrique prévue tous les lundis, mardis et vendredis tant que durera la crise, Fifi Abou Dib se propose de partager avec vous des pensées aléatoires issues du confinement.

Et un nouveau tour d’écrou. Depuis hier et jusqu’à lundi, retour à la compagnie de l’arbre qui danse à la fenêtre pour personne. A. s’est replongé dans ses mots croisés et lève la tête de temps en temps pour me poser une colle. M. continue à jongler entre les claviers, un coup l’ordinateur, un coup le piano, et la fréquence inhabituelle de ses déplacements de l’un à...

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