Le leader maronite du Liban-Nord Sleimane Frangié (Marada) s'en est pris avec virulence lundi au Courant patriotique libre, son fondateur, le chef de l'Etat Michel Aoun, et son président, Gebran Bassil, lors d'une conférence de presse au cours de laquelle il a notamment déclaré que "le Liban n'est pas un pays pétrolier", contrairement à ce qu'ont assuré à plusieurs reprises ces responsables. "Le Liban n'est pas un pays pétrolier, a-t-il lancé. Il n'y a aucune trace de gaz, ils vous ont menti. J'assume mes paroles", a-t-il lancé.
Les travaux d'exploration d'hydrocarbures en Méditerranée, menés par Total, avaient été lancés en grande pompe dans le bloc 4 le 27 février dernier, mais n'ont jusqu'à présent pas permis de découvrir de gisement. Lors du lancement des travaux, le chef de l'Etat avait estimé qu'il s'agissait "d'une journée historique". De son côté, le chef du gouvernement, Hassane Diab, avait estimé que "les travaux de forage commencent afin de faire du Liban un pays pétrolier".
La présidence de la République n'a d'ailleurs pas tardé à réagir. "Les propos éruptifs tenus par M. Frangié sont globalement loin de la vérité, contiennent des falsifications de la réalité et ne méritent pas de réponse", peut-on lire dans un communiqué. "Les déclarations du leader des Marada concernant l'exploitation des ressources hydrocarbures portent atteinte au crédit du Liban, à ses intérêts, son économie, son rôle et à sa présence dans son voisinage et dans le monde", poursuit le texte.
Réagissant lui aussi aux propos de M. Frangié, l'ancien ministre de l'Energie, César Abi Khalil (CPL), a écrit sur son compte Twitter que "le fait d'enterrer, par méchanceté politique ou ignorance des faits, l'exploration et la production pétrolières alors qu'un deuxième round d'octroi de licences doit être lancé porte préjudice au pays".
"L'histoire vous jugera"
"En 1989, vous avez menti aux Libanais et détruit le pays et les régions chrétiennes. Vous avez menti aux gens en 2005 et vous leur mentez encore aujourd'hui", a lancé M. Frangié lors de sa conférence de presse, à l'intention du chef de l'Etat en référence à la "guerre de libération" lancée par Michel Aoun, alors commandant en chef de l'armée à la tête d'un gouvernement provisoire de six ministres officiers, contre l'armée syrienne et les milices qui la soutenaient, puis à l’année du retour de M. Aoun au Liban après quinze ans d'exil en France. "Votre force émanait du soutien populaire et aujourd'hui elle émane du pouvoir. Mais quand vous ne serez plus au pouvoir, vous n'aurez plus aucune valeur et si la justice ne vous jugera pas, l'histoire le fera", a-t-il ajouté. Il a encore estimé que les "vrais" partisans du Courant patriotique libre ne font plus partie du parti aouniste : "Le vrai Tayyar (Courant) n'est plus avec vous, a-t-il martelé. Aujourd'hui, vous ne pouvez compter que sur des mercenaires qui vont vous abandonner à la fin du sexennat". Et de lancer : "Si vous avez un problème quelconque avec moi, je suis présent. Si vous voulez la guerre, nous sommes là, et si vous préférez faire la paix, nous sommes également prêts. Les faibles et les lâches peuvent se retrouver au pouvoir, mais l'histoire n'aura pas pitié d'eux".
Des propos virulents qui ont fait également fait réagir la coordinatrice du comité central des médias au sein du CPL, Rindala Jabbour. "Votre haine vous fait tomber bas. La haine aveugle n'a jamais grandi l'homme. Vous n'avez rien à dire à part attaquer salement un parti et répéter 20 fois le nom de Gebran Bassil. Il n'y avait rien à dire sur les finances, l'économie, le pays ? Je vous considérais comme honnête même si nous n'étions pas d'accord sur le plan politique, mais aujourd'hui, votre haine vous a fait perdre toute crédibilité", a écrit Mme Jabbour sur Twitter.
Les relations sont inexistantes entre le CPL et les Marada, pourtant alliés au sein du gouvernement de Hassane Diab, depuis que Sleimane Frangié s'est présenté contre Michel Aoun (fondateur du CPL) lors de l'élection présidentielle de 2016. Concernant sa future candidature à la présidentielle de 2022, M. Frangié a affirmé "ne pas se porter candidat", mais que son nom "est proposé par plusieurs parties politiques".
Le fuel défectueux, "un dossier politique"
Par ailleurs, le chef des Marada s'est longuement exprimé sur le dossier du fuel défectueux, qui focalise les feux de l'actualité depuis plusieurs semaines. "Le dossier du fuel défectueux est un dossier politique, parce qu'on sait qui l'a ouvert et qui sont les juges" qui le traitent, a déclaré M. Frangié en référence à Gebran Bassil mais aussi à la procureure générale près la cour d'appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, réputée proche du CPL, qui a lancé l'enquête concernant un navire de transport de carburant qui serait chargé de fuel non conforme. "Ceux qui ne respectent pas la justice sont ceux qui refusent de signer les nominations judiciaires", a-t-il ajouté, en référence aux nominations en suspens au Conseil supérieur de la magistrature. Il a souligné que le directeur général des installations pétrolières, Sarkis Hleiss, un proche des Marada, "est innocent et victime d'injustice". "Nous avons le droit d'exprimer notre solidarité avec ce responsable et nous avons la conscience tranquille", a-t-il poursuivi, assurant que M. Hleiss "comparaîtra devant la justice, mais pas devant la justice de Gebran Bassil". "Nous voulons une enquête transparente et des résultats justes", a encore lancé le chef des Marada. Quelques heures plus tard, le premier juge d'instruction du Mont-Liban, Nicolas Mansour, a émis un mandat d'arrêt contre M. Hleiss.
"Ceux qui sont responsables dans ce dossier, ce sont les ministres de l'Energie successifs", a-t-il déclaré, ciblant principalement les ministres du CPL qui se sont succédé à la tête de ce ministère. "Après 10 ans de gestion du ministère par le CPL, on découvre enfin le dossier du fuel défectueux ?, s'est-il interrogé. Pourquoi lorsque l'on ouvre un dossier relatif au ministère des Travaux publics (tenu depuis plusieurs années par des ministres des Marada, ndlr), le ministre est directement responsable, tandis que pour les dossiers au ministère de l'Energie, ce sont les directeurs généraux et leurs subalternes qui sont tenus pour responsables ?" Et de déclarer que "ses comptes et ceux de ses enfants et de ses proches sont mis à la disposition de la justice" en cas d'enquête.
"Qu'on ne descende pas à ce niveau"
Dans son communiqué de réponse, la présidence a réagi à ces propos. "Plutôt que de se tenir aux côtés de ses hommes, qu'ils aient touché des pots-de-vin ou qu'ils soient accusés de cela, et de s'enorgueillir de protéger des personnes recherchées par la justice, il aurait dû lever sa couverture et les laisser comparaître devant la justice, la seule habilitée à les innocenter ou à les condamner", peut-on lire.
L'ancienne ministre de l'Energie, Nada Boustani, affiliée au CPL, a elle aussi réagi. "Nous faisons appel à la justice afin qu'elle enquête sur un dossier d'ordre technique. Nous présentons des pièces, nous nous en remettons à elle et nous témoignons, et on nous répond sur le terrain politique, par des insultes et on porte atteinte à notre dignité. Que tous ceux qui ont des preuves les présentent à la justice qui jugera. Il est naturel que la bataille soit aussi féroce lorsque l'on s'en prend aux intérêts du pays, mais qu'on ne descende pas à ce niveau", a-t-elle écrit sur compte Twitter.
Plusieurs polémiques visant le secteur du carburant s’accumulent ces dernières semaines, avec notamment le dossier du carburant défectueux livré à Électricité du Liban qui est au cœur de l’actualité depuis plusieurs semaines. En avril, l’établissement public avait en effet signalé à la justice que l’entreprise publique algérienne Sonatrach lui avait livré du carburant défectueux un mois plus tôt. L’enquête ouverte avait débouché sur l’émission de mandats d’arrêt visant plusieurs personnes, dont le représentant de Sonatrach au Liban, Tarek Faoual. Un mandat d'amener a en outre été émis contre Teddy Rahmé, PDG du groupe ZR. Selon une source proche du dossier, l'enquête concerne ZR Energy DMC, or le groupe ZR affirme qu'il n'y a pas de lien "organique" entre les deux sociétés. ZR Energy DMCC avait remporté en décembre 2019 l’appel d’offres relatif à l’importation d’une partie du mazout commandé par EDL. Un deuxième chargement de carburant défectueux a en outre été détecté début mai. Mardi dernier, le juge Mansour avait en outre lancé des mandats d'arrêt à l'encontre de la directrice générale du Pétrole au ministère de l'Énergie et de l'Eau, Aurore Feghali et la directrice des laboratoires centraux au sein du département des installations pétrolières, Khadijé Noureddine, dans l'affaire du fuel défectueux destiné à Électricité du Liban, qui fait polémique sur la scène locale.
commentaires (17)
Les deux protagonistes se disputent le fauteuil chauffé, même brûlant par un président inactif. L’un n’est que le gendrissime appuyé par HB l’autre petit fils d’un ancien président à la solde de la Syrie. C’est dire le vaste programme qu’ont les libanais pour se débarrasser de toutes les tutelles et des magouilleurs. Ils pensent remplacer la peste par le choléra. Messieurs soyez tranquilles nous n’aurons ni l’une ni l’autre car le prochain président sera un honnête homme qui conduira le pays et son peuple vers l’indépendance et la prospérité qu’ils méritent et ce ne sera sûrement pas un membre de la mafia. Les libanais auront le dernier mot.
Sissi zayyat
19 h 18, le 12 mai 2020