Le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, a déclaré mercredi que les dépôts des Libanais dans les banques du pays étaient "toujours présents", estimant que des ponctions sur ces comptes (haircuts) n'étaient pas nécessaires pour relancer l'économie du pays qui traverse la pire crise économique de ces 30 dernières années.
M. Salamé a fait ces déclarations lors d'une longue allocution télévisée, dans laquelle il entendait répondre aux critiques et accusations lancées contre lui, autant par la rue libanaise que par certaines formations politiques, qui l'accusent d'avoir couvert la corruption des responsables politiques depuis de nombreuses années. Le gouverneur a défendu les ingénieries financières de la BDL réalisées ces dernières années et répondu aux accusations lancées vendredi contre lui par le Premier ministre, Hassane Diab. Le président du Conseil reprochait notamment au haut-responsable financier, en poste depuis 1993, d'être responsable de la chute de la livre libanaise, qui a dépassé ces derniers jours le seuil des 4.000 L.L. pour un dollar sur le marché noir, contre un taux officiel d'environ 1.500 livres.
Transparence et indépendance
Passant en revue les différents textes de loi établissant le fonctionnement et les prérogatives de la BDL, M. Salamé a insisté sur l'importance de l'indépendance de l'institution, tout comme sur la transparence de ses prises de décision. "La BDL publie tous les quinze jours son bilan, avec des commentaires, par souci de transparence, de même que les résultats de ses comptes de manière hebdomadaire", a-t-il indiqué. "Toutes les décisions du Conseil central de la Banque sont présentées au commissaire du gouvernement près la BDL, qui les rapporte au ministère des Finances. Rien n'est caché", a-t-il déclaré.
Riad Salamé a affirmé que le gouverneur n'avait pas les prérogatives de traiter des sommes dépassant les 150 millions de livres libanaises (100 000 dollars au taux officiel de 1.507 livres pour un dollar). Pour tout montant supérieur, "les décisions doivent être soumises à une décision du Conseil central de la Banque et présentées au commissaire du gouvernement près la BDL et au ministère des Finances, a-t-il précisé. Il n'y a donc aucune décision cachée prise par la Banque centrale et toutes les dépenses sont faites conformément au régime financier en vigueur".
"Toute affirmation contraire vise à détourner l'opinion publique et fait partie de la campagne lancée contre la BDL et son gouverneur", a lancé M. Salamé. "Le 9 mars, j'ai fourni les relevés de compte et les rapports d'audit effectués par des sociétés financières internationales au Premier ministre libanais, Hassane Diab", a-t-il rappelé.
"Objectif : mettre un terme au déficit"
Entrant dans le détail des comptes de la BDL, M. Salamé a indiqué qu'en date du 24 avril 2020, la BDL détenait des liquidités s'élevant à 20 milliards de dollars. "Nous détenions beaucoup plus, mais nous avons dû effectuer des dépenses pour couvrir l'importation de matières premières, pour rembourser les dettes des banques à l'Etat, pour un montant de 863 millions de dollars, et nous avons fait des versements au secteur privé pour approvisionner les Libanais en carburant, en mazout et en médicaments, pour un montant de 843 millions de dollars. Concernant les aides proposées aux importateurs de blé, de carburants et de médicaments, Riad Salamé a affirmé que la BDL continuerait de soutenir ces secteurs, ces mesures "servant l'intérêt des Libanais", les prix n'ayant pas augmenté dans ces trois branches. "La BDL peut poursuivre" ces aides parce qu'elle s'y est prise à temps pour accumuler assez de dollars "pour les mauvais jours".
"Nous avons également prêté 8 milliards de dollars aux banques", a affirmé M. Salamé. "La BDL ne coûte pas une seule livre à l'Etat. Au contraire. Nous avons fait des profits qui ont été versés à l'Etat", a-t-il ajouté.
"Nous contrôlons 60% de la dette en livres libanaises et avons contribué à réduire la dette publique en offrant des prêts à l'Etat aux taux d'intérêt les plus bas du marché, atteignant parfois 1%", a-t-il indiqué. Riad Salamé a encore affirmé que la BDL paie la moitié des montants des taux d'intérêts en dollars et en livres, afin de ne pas provoquer d'inflation. "L'objectif de la Banque est de mettre un terme au déficit public", a-t-il déclaré. Et de souligner que la BDL a été obligée de procéder à des ingénieries financières pour gagner du temps et pour que l'économie du Liban ne s'effondre pas. La Banque centrale "a joué un rôle important dans la stabilité financière du pays, alors que le déficit public a atteint les 81 milliards de dollars, a-t-il déclaré. Aujourd'hui, "le Liban a besoin de 16 milliards et 200 millions de dollars par an", a encore affirmé le gouverneur de la BDL, soulignant que l'institution s'était efforcée de trouver les montants en devises requis pour pouvoir assurer la stabilité du pays.
Stabilité du taux de change
"Nous sommes convaincus de l'importance de la stabilité du taux de change", a par ailleurs déclaré M. Salamé, déplorant l'impact des "manipulations" des taux sur le pouvoir d'achat des gens. Il a appelé l'Etat et les institutions constitutionnelles à "dévoiler la façon dont l'argent public a été dépensé". Et d'estimer que de faire porter à la BDL et à son gouverneur la responsabilité des financements de l'Etat et de la surveillance des finances publiques "est seulement un élément de la campagne lancée" contre eux. Concernant les accusations lancées contre la Banque, à laquelle on reproche d'avoir continué à financer un Etat corrompu, M. Salamé a répondu : "Dans le monde entier, y a-t-il une seule banque centrale qui ne finance pas son Etat ou qui le laisse faire faillite ?", a-t-il encore lancé. Et d'ajouter que la BDL "n'a pas été la seule à financer l'Etat". "Ces soutiens étaient promis si l'Etat lançait des réformes, qui n'ont pas été mises en place pour des raisons politiques", a-t-il regretté. "Nous avons toujours réclamé ces réformes et estimé qu'elles étaient nécessaires", a-t-il souligné, rappelant avoir notamment mis en garde contre l'adoption de la grille des salaires, en 2017.
"Ce qui se passe actuellement à la BDL est le résultat de la situation difficile que connaît le secteur public, et non pas sa cause", a-t-il affirmé.
Le gouverneur de la banque centrale a par ailleurs déploré "les critiques" lancées contre ces précédentes déclarations concernant la stabilité de la livre libanaise. "Elles ont été critiquées alors qu'elles étaient sincères", a-t-il souligné, réitérant ses mises en garde contre les "campagnes continues" contre le taux de change, qui ont mené le pays à la situation actuelle. "Ces assurances ont cessé lorsque le pays a connu une série de chocs économiques, comme la fermeture des banques fin 2019 ou l'annonce du défaut de paiement des eurobonds, en mars 2020", a-t-il encore indiqué.
Dépôts et haircuts
Malgré tous ces événements, et l'impact de la pandémie de coronavirus, "les dépôts des Libanais se trouvent toujours au sein du secteur bancaire", a-t-il déclaré. Et de poursuivre : "Le secteur bancaire a financé les échanges commerciaux du pays et c'est pour cette raison que ses liquidités sont sous pression, à cause du déséquilibre commercial".
"Des pays plus grands que le nôtre connaissent d'importantes crises économiques à cause du Covid-19, pourquoi dans ces pays personne n'accuse les banques centrales ?", s'est-il interrogé.
Riad Salamé a encore déclaré que "des ponctions sur les dépôts (haircuts) ne sont pas du tout nécessaires" pour rétablir l'économie et les finances de l'Etat. "Toutes les déclarations contraires visent à effrayer les déposants et ont retardé la relance du secteur bancaire", a-t-il souligné. Mi-avril, Hassane Diab, avait affirmé que 98 % des déposants échapperont à une ponction des dépôts, alors que la diffusion dans les médias d'une ébauche du plan de réforme que prépare le gouvernement face à la crise avait inquiété les Libanais
Concernant les retraits effectués au sein du secteur bancaire, pour un montant total de 5,9 milliards de dollars, M. Salamé a estimé qu'il était "naturel que les fonds bougent à l'intérieur du Liban". "Nous ne laisserons pas les banques faire faillite, afin que les déposants ne perdent pas leurs fonds", a-t-il dit. Il est encore revenu sur les déclarations du Premier ministre libanais, Hassane Diab, qui avait souligné que les banques du Liban avaient perdu d'énormes montants au cours des trois derniers mois. Il a estimé que ces montants étaient moins élevés que ceux évoqués par M. Diab. "Nous aurions préféré que le gouvernement nous contacte avant de parler de ces chiffres", a-t-il indiqué.
Taux de change
Concernant le taux de change pratiqué sur le marché parallèle, Riad Salamé a affirmé que ce taux "est impacté par l'offre et la demande et par les crises que traverse le Liban". "Nous avons coopéré avec les changeurs et tenté de contrôler tant que possible les prix", a-t-il poursuivi, annonçant "œuvrer au développement d'une plateforme de surveillance". Il a en outre souligné que toutes les devises auxquelles la BDL pourrait accéder servirait à financer l'approvisionnement en produits alimentaires. Concernant l'industrie locale, M. Salamé a indiqué avoir mis 100 millions de dollars à disposition des industriels pour l'approvisionnement en matières premières, comme cela avait été requis par le ministère de l'Industrie. "Nous avons créé un fonds à l'étranger, sous le nom d'Oxygen, pour financer l'importation des matières premières pour l'agriculture et l'industrie", a-t-il poursuivi, affirmant que "l'économie de production représente la solution la plus importante pour le futur du Liban".
"Nous voulons préserver le pouvoir d'achat malgré les conditions difficiles traversées par le pays et souhaitons que les prix restent stables". Il a affirmé que cela nécessitait que "des mesures soient prises", ce qui requérait du temps. Et Riad Salamé d'insister à nouveau sur le rôle joué par les ingénieries financières de la BDL pour "renforcer la confiance et faire baisser les taux d'intérêt, alors que le déficit et la dette publics continuaient d'augmenter".
"Rien dans la législation ne nous oblige à coopérer avec le gouvernement libanais lorsque nous publions nos décrets, et cela constituerait même une atteinte à l'indépendance de la BDL", a-t-il déclaré, en réponse aux critiques du Premier ministre qui disait ne pas avoir été informé des dernières circulaires publiées par la Banque.
Riad Salamé a toutefois assuré que l'institution continuerait à collaborer avec l'exécutif sur de nombreux autres sujets, conformément à la loi. "Nous espérons que la situation s'améliorera au Liban et que les plans de réforme seront développés de manière claire", a-t-il conclu.
commentaires (23)
Comme Monsieur Georges Breidy (22) je pose la même question à Monsieur Salamé. Si les dépôts sont bien dans les banques pourquoi ne pouvons-nous pas les retirer ? Répondrez-vous à cette question Monsuieur Salamé ?
REZK Sonia
13 h 10, le 30 avril 2020