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Économie - Monnaie

Cinq taux pour une livre en chute libre

La Banque du Liban tente d’imposer un taux maximum aux changeurs agréés, qui sont nombreux à s’aligner sur le marché noir.

Un changeur fermé hier dans le quartier de Bourj Hammoud. Photo P.H.B.

« Cela en devient grotesque. » C’est en ces termes qu’un banquier, contacté par L’Orient-Le Jour, décrivait la situation invraisemblable dans lequel se trouvait le marché monétaire libanais, alors que le pays s’enfonce tous les jours un peu plus dans la crise financière sur fond de mesures de confinement. C’est en effet pas moins de cinq taux de change différents entre la livre et le dollar qui pouvaient être appliqués hier.

Cinq taux. De quoi annihiler tout espoir de projection fiable, même à court terme, et compliquer la tâche à tout déposant ou tout banquier devant effectuer un arbitrage sur n’importe quelle transaction.

La parité officielle

Mal en point avec un champ d’application de plus en plus réduit, la parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar (1 515/1 518 livres en comptant les marges autorisées des banques) s’applique toujours pour les transactions bancaires. Pour rappel, ce taux était stabilisé depuis 1997 par la BDL qui laissait la livre et le dollar circuler quasi librement sur le marché local, avec des conversions instantanées pouvant être effectuées par n’importe quel agent économique. Il était donc possible jusqu’à l’été dernier de payer une facture en dollars et se faire rendre la monnaie en livres, et inversement.

Mais avec la crise, la BDL et les banques ont progressivement limité la circulation de dollars à l’intérieur du pays ainsi que les transferts à l’étranger (du moins pour le commun des déposants) pour tenter d’enrayer la baisse de leurs stocks de devises, ce qui a logiquement dopé la demande chez les changeurs depuis l’été dernier.

Le taux officiel des changeurs

En hausse quasi continue depuis cette période, le taux dollar/livre a passé pour la première fois sur le marché secondaire la barre des 2 000 livres fin novembre 2019 – un mois après le début du mouvement de contestation contre la classe politique. En janvier, la BDL annonce avoir passé un accord avec les changeurs pour tenter de le stabiliser à ce niveau. Peu de temps après, le site lebaneselira.org, mis en ligne le 26 novembre dernier par l’initiative d’un groupe se présentant comme « proche des contestataires », commence à publier deux taux de change sur le marché secondaire : un taux « officiel » et un taux du « marché noir ». La BDL a pour sa part tenté à plusieurs reprises de plafonner le taux de change chez les professionnels agréés. La dernière tentative date d’hier avec un nouveau taux de 3 200 livres pour un dollar imposé aux changeurs – en grève depuis jeudi – par une circulaire qui a fuité dimanche soir.

Le taux du marché noir

Mais ces tentatives désordonnées se sont toutes révélées vaines face à des changeurs agréés. Si le syndicat de la filière a assuré publiquement à plusieurs reprises qu’il était d’accord pour suivre la Banque centrale, sur le terrain les changeurs suivent les taux du marché noir, qui a récemment atteint des sommets jamais égalés dans l’histoire du pays. Après avoir passé la barre symbolique de 3 000 livres pour un dollar le 14 avril, il se situait hier entre 4 200 et 4 400 livres, selon plusieurs sources concordantes. Les 150 000 livres qui faisaient 100 dollars tout rond il y a moins d’un an n’en faisaient plus que 36 hier dans le meilleur des cas.

En aparté, plusieurs changeurs ont confié à L’Orient-Le Jour ces derniers mois qu’il leur était difficile de ne pas suivre les taux du marché noir si la BDL et les banques ne laissaient pas circuler un peu plus de dollars, alors que la demande ne cesse de croître. Certains ont également relevé que la situation a empiré avec la mise à l’arrêt du secteur touristique dans le cadre des mesures de confinement liées au Covid-19, ce secteur étant une source de devises habituellement captées par leur filière.

Le syndicat des changeurs agréés a demandé ces dernières semaines aux autorités de sévir contre les revendeurs illégaux, ce qu’elles ont fait de façon sporadique jusqu’ici – une vague d’arrestations a d’ailleurs eu lieu hier dans certaines régions du pays.

Le taux des transferts d’argent

Si la BDL et certains banquiers attribuent cette forte dépréciation du taux de la livre à une « manipulation » orchestrée par les changeurs illégaux, le gouvernement a imputé la responsabilité de cette situation à la Banque centrale. Cette dernière a en effet adopté plusieurs circulaires depuis le début du mois, dont une en particulier qui concerne les sociétés spécialisées dans les transferts d’argent à qui elle a de nouveau imposé de payer les montants envoyés à leurs clients au Liban en livres, peu importe la devise dans laquelle ils ont été initialement effectués.

À la veille de la mise en œuvre de cette nouvelle réglementation, les cinq enseignes spécialisées dans ce type de service ont enregistré un pic historique de transactions jeudi dernier. Depuis son entrée en vigueur, la BDL fixe chaque jour le taux dollar/livre sur lequel ces agents doivent se baser pour convertir les devises envoyées vers le Liban pour les donner à leurs destinataires. Ce taux était d’environ 3 600 livres pour un dollar vendredi dernier et d’un peu plus de 3 800 livres hier. Il devrait rejoindre celui imposé aux changeurs aujourd’hui, soit 3 200 livres pour un dollar, selon une source proche de la filière.

Le taux du « dollar libanais »

Enfin, à ces quatre taux s’ajoute un cinquième, fixé hier à 3 000 livres pour un dollar par la BDL selon plusieurs sources bancaires. Ce nouveau taux, qui est amené à évoluer, doit s’appliquer pour toutes les transactions autorisées par deux textes-clefs adoptés par la Banque centrale, les circulaires principales n° 148 et n° 151.

Publiée le 3 avril, la première permet aux déposants dont le total cumulé de l’ensemble des comptes dans une même banque ne dépasse pas 5 millions de livres ou 3 000 dollars au taux officiel de les retirer tous en une fois à ce taux, une mesure applicable pendant trois mois. La seconde, datée du 21 avril, autorise, elle, tous les déposants à retirer en livres et à ce même taux certains montants, mais uniquement depuis leurs comptes en devises – un dispositif devant rester en vigueur pendant six mois. L’ensemble des comptes concernés sont ceux sur lesquels les restrictions bancaires s’appliquent, à l’opposé des « fonds frais » (de l’argent déposé sur un compte spécial institué après le 17 novembre 2019 par l’Association des banques du Liban) et dont les déposants peuvent librement disposer.

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Normalement, le taux applicable pour ces deux dispositifs doit être fixé par une unité instituée par la circulaire principale n° 149 du 3 avril et composée de représentants de la BDL et des changeurs de catégorie A (ceux qui peuvent importer et exporter des devises). En attendant sa formation, c’est la BDL qui fixe unilatéralement ce taux, qui était de 2 600 livres jusqu’à la semaine dernière. Plusieurs experts ont attribué à ces dollars déposés en banque, mais pouvant être convertis à un taux supérieur à la parité officielle les surnoms de « dollars libanais » ou de « lollars ». Les banques n’ont pour leur part pas commencé dans leur majorité à appliquer les circulaires n° 148 et n° 151.

Nouveau régime de change ?

Il reste que la combinaison de ces trois textes institue, sans l’expliciter, les bases d’un nouveau régime de change. Une initiative qui semble faire partie de celles que le Premier ministre Hassane Diab a reproché à la BDL d’avoir prises sans consulter son gouvernement au préalable lors de deux interventions la semaine dernière, la première mercredi au Parlement et la seconde vendredi à Baabda après une réunion du Conseil des ministres.

L’exécutif s’apprête en effet à finaliser son plan de redressement de l’économie. La crédibilité de cette stratégie, qui prévoit d’adresser plusieurs chantiers majeurs – dont la restructuration de la BDL et du secteur bancaire –, doit lui permettre de dégager une certaine marge de manœuvre lors de ses négociations avec les détenteurs de dettes libanaises à qui il a annoncé en mars que le pays n’était plus en mesure d’honorer ses obligations d’État en dollars. Or, certaines projections du plan, notamment au niveau de l’évolution du taux de change, sont fragilisées par la récente trajectoire de la livre sur le marché, ce qui explique probablement la colère du chef du gouvernement – qui a en outre lancé plusieurs processus pour commencer à enquêter sur les affaires de corruption et d’enrichissement illicite sur les trente dernières années. Le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, a annoncé hier qu’il s’exprimerait mercredi pour expliquer les facteurs qui ont conduit à la crise actuelle.


« Cela en devient grotesque. » C’est en ces termes qu’un banquier, contacté par L’Orient-Le Jour, décrivait la situation invraisemblable dans lequel se trouvait le marché monétaire libanais, alors que le pays s’enfonce tous les jours un peu plus dans la crise financière sur fond de mesures de confinement. C’est en effet pas moins de cinq taux de change différents entre...
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LES BANQUES CONFISQUENT L'ARGENT DES LIBANAIS AVEC LA COMPLICITÉ DE LA BDL ET LES HAUTS RESPONSABLES DU "PAYS" SI ON APPELLE CE COIN DU MONDE UN PAYS. ET TOUT ÇA, ÇA SE PASSE À VISAGE DÉCOUVERT. JUSQU'À QUAND VONT SUPPORTER CETTE SITUATION LES DORMANTS ?

Gebran Eid

11 h 20, le 28 avril 2020

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Commentaires (2)

  • LES BANQUES CONFISQUENT L'ARGENT DES LIBANAIS AVEC LA COMPLICITÉ DE LA BDL ET LES HAUTS RESPONSABLES DU "PAYS" SI ON APPELLE CE COIN DU MONDE UN PAYS. ET TOUT ÇA, ÇA SE PASSE À VISAGE DÉCOUVERT. JUSQU'À QUAND VONT SUPPORTER CETTE SITUATION LES DORMANTS ?

    Gebran Eid

    11 h 20, le 28 avril 2020

  • ET LES PREDATEURS BANQUIERS PAIENT UNILATERALEMENT ET ILLEGALEMENT LA MOITIE DES INTERETS DES COMPTES DOLLARS EN LL AU TAUX DE 1507 LL LE DOLLAR ET ONT REDUIT LES INTERETS EN DEUX. PLUS MAFIEUX DU JAMAIS VU. OU EST LA JUSTICE POUR S,EN SAISIR ?

    LA LIBRE EXPRESSION SE DECONNECTE

    09 h 23, le 28 avril 2020

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