Après plusieurs semaines de hausse quasi continue au cours desquelles il a atteint des niveaux encore jamais vus, le taux livre/dollar chez les changeurs du marché noir s’est stabilisé hier, selon plusieurs sources concordantes contactées par L’Orient-Le Jour.
Ces dernières font état d’un taux oscillant entre 3 900 et 4 200 livres pour un dollar en fonction des changeurs, soit un niveau à peu près identique à celui affiché lundi (4 200 à 4 400 livres), en plein contexte de grave crise économique et financière, aggravé par le confinement lié au Covid-19. Cette nouvelle tendance se manifeste au lendemain de la publication d’une circulaire de la Banque du Liban (intermédiaire n° 553 du 27 avril) qui plafonne à 3 200 livres le taux maximum auquel les changeurs agréés du pays doivent vendre des dollars à leur client. Un texte qui tente de freiner la dépréciation de la monnaie nationale sur le marché secondaire, par rapport à la parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar – toujours en vigueur pour les transactions bancaires.
Arrestation de changeurs
Jusqu’à présent, les tentatives de la banque centrale de contrôler les taux sur le marché secondaire depuis le début de la crise n’ont pas abouti, même quand le syndicat de la filière avait assuré de son engagement d’appliquer les circulaires publiées par l’institution. Sur le terrain, beaucoup de bureaux de change agréés ont en effet continué d’appliquer les taux du marché noir, tantôt ouvertement, tantôt discrètement (en ne vendant des dollars qu’à leurs habitués).
Pour justifier ces écarts, les agents assurent généralement – en aparté – qu’ils ne peuvent pas faire autrement tant que la Banque du Liban et les banques n’injectent pas plus de dollars sur le marché, entre autres arguments. Or le secteur bancaire dans toutes ses composantes a progressivement réduit jusqu’à l’extrême les transactions (retraits, conversion, transferts vers l’étranger) sur les comptes en dollars – à l’exception de ceux alimentés en « fonds frais » (des dépôts effectués sur un compte spécial institué après le 17 novembre 2019 par l’Association des banques du Liban).
Ces mesures ont fait exploser la demande – et le taux livre/dollar – tandis que la mise à l’arrêt du tourisme en marge du confinement a de plus tari une des principales sources de devises qui étaient captées par les changeurs. Si la BDL avait laissé filtrer de manière officieuse il y a une dizaine de jours qu’elle avait injecté des dollars sur le marché secondaire, cette manœuvre n’avait pas permis de freiner la hausse des taux, ce qui soulève des questions concernant les facteurs qui ont contribué à l’accalmie constatée hier sur l’évolution du taux.
Sans s’aventurer sur une piste définitive, les sources contactées subodorent néanmoins un lien entre la stabilisation relative du taux du marché noir et la vague d’arrestations de changeurs n’ayant pas appliqué la circulaire de la BDL plafonnant le taux livre/dollar sur tout le territoire – soit en refusant de vendre des dollars, soit en appliquant le taux du marché noir. Les forces de sécurité, les services de renseignements de l’armée, ont communiqué lundi sur le sujet sans fournir de décompte global. Le chiffre le plus récent rapporté fait état d’une soixantaine de professionnels toujours écroués (ce nombre était de 45 lundi). Officiellement, le syndicat des changeurs a appelé les acteurs de la filière à se mettre en grève à partir de vendredi dernier, initialement pour dénoncer la hausse incontrôlée des taux sur le marché noir, puis depuis lundi pour protester également contre l’arrestation de changeurs agréés. Mais ce mouvement n’a pas été suivi par tous les changeurs, certains ayant ouvert leurs portes lundi et mardi, selon nos constatations sur le terrain et celles de nos sources.
Circulaire n° 148
Une autre source, proche de la filière, assure de son côté que « presque tous les changeurs » ont respecté l’appel du syndicat. Elle juge en outre « illusoire » de penser que les autorités parviendront à stabiliser le taux de change de force et lie une éventuelle reprise durable de la valeur de la livre au lancement effectif de réformes à même de rétablir la confiance des investisseurs dans le pays. Le gouvernement doit en principe approuver cette semaine son plan de redressement de l’économie, qu’il doit ensuite présenter à ses créanciers dans le cadre de ses négociations pour restructurer la dette publique du pays.
Deux autres facteurs pourraient enfin influencer l’évolution des taux sur le marché ces prochains jours. Tout d’abord, les sociétés de transferts d’argent ont commencé à appliquer hier le taux de 3 200 livres pour un dollar imposé par la BDL pour convertir dans la monnaie nationale les fonds en devises qu’ils doivent décaisser pour le compte de leurs clients. Ce taux spécifique à la filière, imposé pour les opérations effectuées hier, marque une baisse d’environ 600 livres par rapport à celui qui était en vigueur la veille (3 800 livres pour un dollar). Selon un acteur de la filière, le volume de transaction a diminué d’environ 30 % par rapport à la veille sur l’ensemble des acteurs du marché libanais. Les sociétés de transferts d’argent ont recommencé depuis vendredi dernier à décaisser en livres les montants envoyés à leurs clients, indépendamment de la devise dans laquelle ils ont été transférés. Une obligation imposée une semaine plus tôt par la BDL.
La deuxième nouveauté, c’est que plusieurs grandes banques ont officiellement activé hier le mécanisme mis en place par la circulaire principale n° 148 émise par la BDL le 3 avril, tandis que d’autres devraient le faire dans la semaine. Ce texte ouvre la possibilité aux déposants dont le total cumulé de l’ensemble des comptes dans une même banque ne dépasse pas 5 millions de livres ou 3 000 dollars au taux officiel de les retirer tous en une fois. Le taux de conversion applicable a été fixé à 3 000 livres par la BDL – en attendant la mise en place de l’unité instituée par un autre texte publié le même jour (circulaire principale n°149) et devant à terme fixer le taux applicable au jour le jour. Cette mesure devrait être applicable pendant trois mois. Par ailleurs, l’ABL a de son côté mis à jour son numéro d’assistance que les déposants peuvent contacter pour signaler d’éventuels incidents dans leurs relations avec leurs établissements bancaires respectifs, en cas de conflit non résolu. Le 81-676167 remplace le numéro provisoire mis en place jusque-là. La ligne sera ouverte entre 8h30 et 14h pendant les jours ouvrés des banques.
Pourvu que ça doure.
12 h 20, le 29 avril 2020