Le Premier ministre, Hassane Diab, a créé la surprise, hier, par la violence de son attaque verbale contre le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, à qui il a fait assumer, avec les banques, la responsabilité de l’effondrement monétaire et financier du pays. Mais ce faisant, il a surtout inauguré un nouveau round de la guerre que se livrent depuis décembre les deux principaux camps politiques du pays, d’une part le courant du Futur et ses alliés, et d’autre part le Courant patriotique libre et le Hezbollah. L’ancien chef du gouvernement Saad Hariri et le Parti socialiste progressiste se sont déchaînés contre M. Diab en soirée, lui reprochant d’occulter les vraies responsabilités au niveau de la crise dans laquelle le pays est plongé.
Hassane Diab a accusé sans ambages Riad Salamé de pratiquer une politique « douteuse, élaborée dans les coulisses », de « manquer de transparence », voire même de « faire de la provocation en vue d’un effondrement dramatique de la monnaie nationale ». Incisif, son discours était ponctué de termes forts, comme la référence à « un coup d’État » qu’il s’est engagé à faire avorter.
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C’est au terme d’un Conseil des ministres qui s’est penché entre autres sur la chute libre et incontrôlée de la livre libanaise et la gestion par la Banque centrale de la crise financière et monétaire que M. Diab a donné lecture d’un discours plus politique que technique, et qui pourrait être interprété, sur la forme et dans le fond, comme la première étape d’une procédure pouvant déboucher à terme sur une destitution de Riad Salamé. Ce dernier est sur la sellette depuis l’aggravation de la crise financière et monétaire en automne dernier et était devenu une des cibles privilégiées de la contestation populaire au fur et à mesure que la crise s’exacerbait.
Depuis mercredi, les rumeurs courent sur un possible limogeage de M. Salamé, sachant qu’une telle décision doit répondre à des critères précis, déterminés par le code de la monnaie et du crédit. Le gouverneur de la Banque centrale ne peut être destitué de son poste que s’il est prouvé qu’il a commis des abus (définis dans le texte de loi en question), une faute grave de gestion ou en cas d’incapacité physique.
Hassane Diab prépare-t-il la voie à une destitution du gouverneur de la BDL ? La question a été évoquée en Conseil des ministres, à la demande du chef du gouvernement d’ailleurs, qui voulait, a-t-il dit, sonder les membres de son équipe sur la question, rapporte notre correspondante à Baabda, Hoda Chédid. Les ministres du Hezbollah et du CPL ont approuvé la destitution de M. Salamé alors que leurs collègues d’Amal s’y sont opposés. Les autres n’ont pas formulé d’avis. Ce sont les ministres Ghada Chreim (CPL) et Ramzi Moucharrafiyé (Parti démocrate libanais) qui ont le plus défendu une destitution du gouverneur de la BDL, au moment où leur collègue des Finances, Ghazi Wazni (Amal), exprimait de fortes réserves sur la question, contestant notamment son timing. Sa principale argumentation est que Riad Salamé ne peut pas être tenu, seul, pour responsable de la détérioration financière et monétaire, et que les responsables politiques ont joué un rôle fondamental dans l’effondrement économique et financier du Liban. Aussi a-t-il insisté sur la nécessité, avant d’envisager de remplacer Riad Salamé à la tête de la BDL, de déterminer les responsabilités avec précision et d’évaluer surtout les risques financiers et monétaires découlant d’une décision précipitée.
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M. Diab devait conclure en promettant un examen « dans le calme » de la question, estimant toutefois que Riad Salamé « est tenu de se conformer à la politique de stabilité suivie par l’État et d’assumer son rôle, sinon il ne sera pas possible de traiter avec lui ». De sources proches de Baabda, on indique que le chef de l’État, Michel Aoun, qui a présidé le Conseil des ministres, n’a pas non plus formulé d’opinion, se contentant de souligner que « cette situation ne peut plus durer ».
Tiraillements politiques
S’il est vrai que la politique de la Banque du Liban reste floue depuis que l’effondrement financier s’est accéléré, celle que le gouvernement envisage d’appliquer en vue d’un éventuel redressement l’est tout autant, comme l’ont montré les rumeurs qui avaient récemment circulé sur une ponction des dépôts bancaires et les explications évasives de Hassane Diab sur la question.
Selon le journaliste et analyste politique Wissam Saadé, ce bras de fer entre l’exécutif et Riad Salamé s’explique par une divergence de vues sur les moyens de régler la crise. Pour la BDL, la priorité va à la reconstitution de ses réserves en devises, dans la perspective d’un maintien de la stabilité monétaire, alors que Hassane Diab penche pour un bouleversement radical des politiques en vigueur, explique-t-il.
Le chef du gouvernement s’est gardé de toute façon d’aborder dans son discours les moyens qui pourraient être mis en œuvre aujourd’hui pour freiner la chute de la livre, au moment où la pression sur celle-ci ne fait que s’accentuer du fait du manque de confiance des Libanais, du retard pris au niveau de la réalisation des réformes et des querelles politiques autour de celles-ci. Et s’il a reproché à Riad Salamé un manque de transparence et de franchise vis-à-vis des Libanais, il est lui-même resté vague sur l’identité de ceux qu’il a accusés de « tendre des embuscades » à son équipe et de « préparer un coup d’État, en volant une deuxième fois l’argent des Libanais à travers la flambée du dollar face à la livre ». « Nous n’hésiterons pas à réprimer tous ceux qui essaient de porter un coup à la stabilité financière parce que ces gens veulent l’effondrement du pays pour sauver leur peau et préserver leurs intérêts au détriment de celles du Liban et des Libanais », a-t-il dit.
La réponse de Hariri
À discours politique, une réaction politique, somme toute prévisible, du chef du courant du Futur, Saad Hariri, puisqu’il est difficile de dissocier la campagne contre Riad Salamé de tout le contexte de tiraillements politiques et de clivages profonds qui se manifestent depuis le soulèvement populaire du 17 octobre. Dans un communiqué au ton particulièrement violent, l’ancien chef du gouvernement a reproché à son successeur d’« opérer lui-même un coup d’État » et d’exécuter la politique du Hezbollah et du CPL, mais sans les nommer. Il a qualifié les propos de Hassane Diab, « tenus sur un ton militaire », d’« excessivement dangereux ». « Il faut avoir une mentalité putschiste pour faire assumer la responsabilité de l’effondrement économique à la gouvernance de la BDL », a lancé le leader du Futur.
« Vous avez exaucé leurs rêves en abattant le système économique libéral », a-t-il ajouté, en allusion au CPL et au Hezbollah, notant que le fait que M. Diab ait prononcé son discours depuis le palais présidentiel de Baabda « indique que le gouvernement est tombé dans une logique vindicative ». « Comment pouvez-vous occulter la partie qui a été responsable de la moitié de la dette publique à cause du déficit d’EDL, ou le prix économique et financier de sept ans de blocage des institutions et des politiques qui ont porté préjudice aux relations du Liban avec les pays arabes et occidentaux. Comment pouvez-vous fermer les yeux sur les responsabilités que les nouveaux parrains du gouvernement assument », a-t-il écrit, accusant Hassane Diab de faire monter les Libanais contre « une partie déterminée ».
Des députés des Forces libanaises, Fady Saad et Wehbé Katicha, ont également critiqué le discours du chef du gouvernement et, tard en soirée, le PSP a fait paraître un communiqué dans lequel il a tiré à boulets rouges sur Hassane Diab, l’accusant également d’exécuter la politique du CPL et du Hezbollah, sans les nommer, et de chercher à couvrir son échec à élaborer des plans de sauvetage.
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Le masque est entrain de tomber , du gouvernement des indépendants! Hahahaha... Mainmise sur la BDL et bonjour le blanchiment. Le Liban joue gros et bête ! Il sera classé parmi les pays banni par le trésor américain de toute transaction internationale, au même titre que l’Iran , la Syrie, la Corée du Nord, etc...
17 h 15, le 25 avril 2020