Alors que les Libanais ploient sous le choc des crises successives, dont la plus contraignante aujourd’hui reste le risque d’expansion du coronavirus, un front d’opposition efficace et homogène face au gouvernement peine à se former. Après la décision qualifiée d’« historique », annoncée samedi par le président du Conseil, de suspendre le paiement des eurobonds arrivant à échéance le 9 mars, ainsi que le discours qu’il a prononcé comprenant une critique claire de la politique économique et financière des précédents gouvernements, qui misait sur un endettement intensif sans penser à augmenter les recettes du Trésor, le courant du Futur et son chef, l’ancien Premier ministre Saad Hariri, se sont sentis visés. Ils ont d’ailleurs répondu à travers les médias, en groupe d’abord suite à la réunion du groupe parlementaire du Futur, individuellement ensuite à travers des déclarations dans plusieurs médias. De même, le chef druze Walid Joumblatt n’a pas ménagé ses critiques au gouvernement dans des déclarations récentes, et le chef des Forces libanaises a relayé la même position.
Ces réactions identiques face aux décisions du gouvernement de Hassane Diab, lequel d’ailleurs les a englobées (à des degrés différents toutefois) dans les critiques adressées à la politique adoptée au cours des trois dernières décennies, auraient dû pousser les trois formations (courant du Futur, PSP et Forces libanaises) à unifier leurs efforts en formant un large front d’opposition au cabinet, qui ressemblerait un peu au mouvement du 14 Mars, mais adapté aux nouvelles circonstances. Or, des sources concordantes proches de ces formations affirment que le projet de créer ce front n’est pas imminent. Selon ces mêmes sources, en dépit de leur opposition à la politique actuelle du gouvernement, notamment ses décisions financières et le bras de fer qui l’oppose actuellement au secteur bancaire, les trois leaders ne parviennent pas à se mettre d’accord sur une politique à suivre.
C’est ainsi que Saad Hariri hésite encore à couper tous les ponts avec le pouvoir en place, sachant qu’il avait lui-même donné son accord à la désignation de Hassane Diab pour former le gouvernement après avoir refusé cette mission pour lui-même. En effet, s’il compte revenir à la tête du gouvernement au cours des deux prochaines années, alors que Michel Aoun est encore président, il n’a pas intérêt à le braquer totalement. De même, dans toutes ses déclarations, notamment dans le discours prononcé à l’occasion du 14 février, il a pris soin de ménager le Hezbollah, conscient que cette formation est encore puissante au Liban et que le chemin du retour au Sérail passe d’une façon ou d’une autre par elle. De plus, les derniers communiqués publiés par la présidence du Conseil dans lesquels elle a dénoncé « un orchestre chargé de l’attaquer » ont rappelé aux Libanais que Saad Hariri assume une partie des responsabilités dans la crise financière et économique qui secoue actuellement le pays. Depuis le déclenchement du mouvement du 17 octobre 2019, l’ancien Premier ministre a essayé par tous les moyens de gagner la rue, mais celle-ci est restée divisée à son sujet, certains groupes continuant en effet à considérer qu’il fait partie de la classe politique qu’ils rejettent. Le leader du courant du Futur ne tient donc pas à provoquer une nouvelle levée de boucliers contre lui.
Du côté du chef druze Walid Joumblatt, la position est aussi mitigée. S’il est vrai qu’il multiplie les critiques à l’encontre du CPL et du chef de l’État, il tient en même temps à ménager autant que possible le Hezbollah et appelle régulièrement à donner une chance au gouvernement. Il souffle donc en quelque sorte le chaud et le froid, alternant les critiques et les déclarations plus nuancées. Selon des sources proches du PSP, Walid Joumblatt serait actuellement en train de préparer une visite à Moscou qui devrait lui permettre de rencontrer le président russe Vladimir Poutine. Il miserait ainsi sur l’ancienne relation qui le liait aux responsables soviétiques pour renouer des liens étroits avec les dirigeants russes, conscient que ceux-ci ont désormais un rôle-clé dans la région. Selon les mêmes sources, une bonne relation entre le PSP et les Russes serait de nature à neutraliser le rôle négatif du régime syrien, qui reste visiblement en place, et pourrait avoir un impact sur le Hezbollah. Pour ces raisons, Walid Joumblatt ne souhaiterait donc pas pour l’instant se déclarer ouvertement dans l’opposition au gouvernement.
Restent les Forces libanaises qui, depuis le début du mouvement de protestation, se sont clairement positionnées dans l’opposition. Mais, pour elles aussi, il y a des limites. D’abord, il y a la rue et ses contradictions, certains groupes continuant à estimer que les FL font partie de la classe politique rejetée. Ensuite, il y a leurs relations compliquées avec l’ancien Premier ministre Saad Hariri qui n’ont pas encore été assainies. Lors du discours du 14 février, Saad Hariri avait d’ailleurs pris soin de ne pas mentionner les Forces libanaises et leur chef. Ce qui avait été interprété comme la reconnaissance d’une froideur dans leurs rapports.
Mais, toujours selon les sources concordantes, le facteur déterminant qui empêche la naissance d’un front uni d’opposition face au gouvernement, c’est l’absence d’un appui extérieur. En dépit de toutes les tentatives pour pousser les Saoudiens et d’autres États du Golfe à s’investir dans un tel projet– comme ils le faisaient dans le passé–, ceux-ci continuent de se montrer peu intéressés, estimant qu’ils ont beaucoup aidé ces parties dans le passé sans obtenir des résultats concrets. Aujourd’hui, ils estiment avoir d’autres priorités.
Pour toutes ces raisons, et en dépit de leurs nombreuses réserves à l’égard du cabinet Diab, les trois formations préfèrent continuer à agir chacune de son côté. Le 14 mars 2020 ne devrait donc pas être le rendez-vous de la naissance d’une opposition unifiée contre le gouvernement.
commentaires (8)
L'opposition est décevante , je constate avec tristesse que le Hezbollah et Ali Baba tiennent le pays , honte à Mr Aoun , qu'est qui ne ferait pas pour tenir son poste
Eleni Caridopoulou
21 h 34, le 11 mars 2020