Le secrétaire d’État adjoint pour le Proche-Orient, David Schenker. Archives AFP
C’est une nouvelle phase de pression maximale que vient d’inaugurer l’administration américaine en imposant, il y a trois jours, de nouvelles sanctions, inédites dans le genre, visant des institutions du Hezbollah, notamment des sociétés pharmaceutiques ainsi que des responsables et des entités liées à la puissante « Fondation du martyr » qui subvient aux besoins des familles des militants du parti chiite tués au combat.
Si ce nouveau train de sanctions annoncées mercredi dernier ne surprend pas outre mesure, puisque l’administration Trump avait promis de continuer sur sa lancée pour tenter de réduire « l’effet de nuisance » du Hezbollah, c’est toutefois la conférence de presse tenue quelques heures plus tard à Washington qui marque un tournant majeur dans la politique américaine à l’égard du Liban.
L’annonce conjointe par le secrétaire adjoint américain au Trésor pour la Lutte contre le financement du terrorisme, Marshall Billingslea, et le secrétaire d’État adjoint pour les Affaires du Proche-Orient, David Schenker, concernant de nouvelles sanctions qui pourraient être prises à l’encontre de responsables politiques libanais, et non plus seulement le Hezbollah, marque le début d’une nouvelle batterie de sanctions que Washington entend placer désormais non plus dans le cadre unique de la lutte contre le terrorisme mais aussi dans celle contre la corruption. « La corruption et la résistance à la réforme ne sont pas une spécialité du Hezbollah. D’autres groupes au sein des différents communautés et partis politiques s’opposent aux réformes (dans le pays) et se livrent à des actes de corruption », a déclaré M. Schenker avant d’indiquer que Washington envisage d’imposer des sanctions à l’encontre de personnalités libanaises. « Ce n’est un secret pour personne que les États-Unis envisagent d’imposer des sanctions à l’encontre de Libanais en vertu de la loi Magnitski (Magnitski Act) », a de son côté affirmé M. Schenker.
Promulguée en décembre 2012, la loi dite Magnitski, du nom d’un avocat russe mort en prison à Moscou fin 2009, visait à imposer des sanctions contre plusieurs responsables russes impliqués dans sa mort. Cette loi a été par la suite élargie pour permettre des désignations plus globales dans des affaires de corruption et pour violation des droits de l’homme dans des pays tiers. Ce serait la première fois que Washington brandit cette nouvelle arme à l’encontre du Liban dans l’objectif de sanctionner, non plus le Hezbollah cette fois-ci, mais des personnalités libanaises qui auraient trempé dans des affaires de corruption.
« La ligne dure a fini par prendre le dessus »
Selon des sources informées, Washington aurait, depuis plusieurs mois déjà, une liste d’une quarantaine de personnes au moins faisant actuellement l’objet d’investigation et pouvant prochainement être pointées du doigt dans le cadre de la loi Magnitski. Les personnes visées sont des responsables politiques, mais également des hommes d’affaires proches des cercles du pouvoir, toutes couleurs confondues, qui auraient trempé dans l’affairisme politique et la corruption. « Il s’agit de deux mesures qui sont complètement différentes. Les sanctions touchant directement le Hezbollah sont placées sous la rubrique du terrorisme alors que les prochaines sanctions auxquelles fait allusion M. Schenker seront décidées sur la base de la loi Magnitski », commente un député ayant requis l’anonymat. « Cela signifie que les États-Unis ratissent désormais assez large », dit-il. En septembre dernier, M. Schenker avait averti, lors de sa visite au Liban, que les États-Unis pourraient imposer des sanctions aux alliés du Hezbollah au Liban, « quelle que soit leur communauté ou leur religion ». Il n’était pas encore question de ratisser large pour toucher des personnes liées à la corruption, un objectif qui pourrait avoir été convenu dans le sillage de la révolution du 17 octobre et des déballages publics sur l’affairisme politique et ou encore les détournements de fonds. Pourtant, une source diplomatique occidentale avait récemment indiqué à L’OLJ que les sanctions américaines contre des responsables libanais seraient appelées à se durcir uniquement en cas de dérapage sécuritaire en lien avec le conflit américano-iranien, ce qui, vraisemblablement, n’a pas eu lieu, le Hezbollah ayant œuvré depuis à garder profil bas.
Selon une source informée, cette nouvelle épée de Damoclès que constitue la loi Magnitski, brandie par Washington en même temps que les nouvelles sanctions contre le Hezbollah, « est une preuve patente que la ligne dure au sein de l’administration américaine a fini par prendre le dessus ».
Depuis qu’elle a inauguré sa politique de pression contre l’Iran et son aile libanaise, le Hezbollah donc, l’administration américaine était divisée en deux courants, l’un préconisant des sanctions imposées contre le parti chiite mais qui épargneraient le reste des Libanais ; l’autre, une politique plus dure quand bien même elle impacterait une plus large frange de la population. Ce serait ce dernier courant qui aurait eu gain de cause, selon plusieurs analystes. Ces derniers s’interrogent d’ailleurs sur le timing de l’annonce du nouveau train de sanctions contre le Hezbollah et celles, plus globales, à venir, à savoir le jour même du départ de l’ambassadrice Elizabeth Richard, qui ferait partie des « colombes » et peu avant l’arrivée de sa successeure Dorothy Shae, actuellement numéro deux de la mission diplomatique américaine au Caire, que l’on dit proche des faucons de l’administration.
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commentaires (20)
c est dommage il a fallu que l administration américaine parle de sanctions des voleurs libanais du trésor pour savoir bientôt les noms. pourtant on sait tous leurs noms (qu on m explique la provenance de la plus grosse fortune des trois derniers premiers ministres depuis la fin de la guerre civile 1990)et bien d autres.
youssef barada
15 h 00, le 14 mars 2020