Le gouvernement de Hassane Diab pourrait se trouver, une fois de plus, dans un face-à-face avec ses propres parrains. Cette fois, la querelle pourrait s’articuler autour de l’épineux dossier de l’électricité, géré par le Courant patriotique libre depuis 2010. Ce dernier, mais aussi le tandem chiite, donc les trois principaux parrains du cabinet, ne semblent pas vouloir lâcher prise. En dépit de leurs divergences tactiques sur la gestion de ce dossier, ils se seraient entendus pour former un « comité de coordination » dont l’objectif est d’assister le gouvernement sur ce plan, a-t-on appris de sources concordantes. Selon des médias locaux, cette commission serait composée d’anciens ministres de l’Énergie, dont Nada Boustani (CPL) et Mohammad Fneiche (Hezbollah), et des conseillers du leader du courant aouniste, Gebran Bassil, lui-même ex-ministre de l’Énergie.
Est-ce un moyen pour le 8 Mars d’imposer ses choix « électriques » au gouvernement ? « Pas du tout », répond à L’Orient-Le Jour une source proche des personnes citées, tout en s’abstenant de confirmer ou d’infirmer la formation de la commission en question. Des explications qu’elle fournit cependant, il ressort que cette entité informelle existe dont, selon elle, le rôle et l’incidence sur les décisions de Diab seraient en outre minimes. Le comité, explique-t-elle, n’est qu’« un cadre dans lequel des anciens ministres de l’Énergie échangent leurs avis en matière d’électricité, et n’a rien à voir avec les décisions du Conseil des ministres ».
Il reste que ce dossier risque sérieusement d’entraver l’action gouvernementale, à l’heure où le Premier ministre affiche sa détermination à opérer les réformes exigées par la communauté internationale, surtout dans le domaine de l’électricité, particulièrement suivi par la communauté internationale. Une source diplomatique avait confié à L’OLJ il y a quelques semaines que les bailleurs de fonds internationaux sont hostiles à un nouveau recours à des navires-centrales « synonymes de corruption » pour elle. Un point de vue que partagent plusieurs protagonistes hostiles au CPL et au pouvoir en place. Il s’agit notamment du Parti socialiste progressiste et des Forces libanaises.
Les partis de Walid Joumblatt et de Gebran Bassil se sont à nouveau écharpés hier, autour de ce dossier, ainsi que de celui du pétrole, au lendemain du lancement des premières opérations d’exploration d’hydrocarbures au large du Liban. Le leader du PSP, Walid Joumblatt, s’est ainsi livré à une violente diatribe contre le chef du CPL et le pouvoir en place. « Ils (le gouvernement) ont occulté le terme “réformes” dans la déclaration ministérielle pour ne pas provoquer la colère du véritable dirigeant », a écrit M. Joumblatt sur son compte Twitter dans une allusion à M. Bassil, gendre du chef de l’État. Et d’ajouter : « Hier, ils ont ignoré le comité de gestion du secteur pétrolier pour faire plaisir au véritable dirigeant. Et ainsi de suite. Tout cela se passe alors qu’un Fonds souverain (des recettes du pétrole) n’a toujours pas été établi pour (garantir les droits des) futures générations. Qui profitera donc du pétrole? Dieu? Je doute. La nation ? Quelle nation ? La famille au pouvoir, bien sûr. »
Mais dans un geste typiquement joumblattiste, le leader de Moukhtara a supprimé ce tweet pour le remplacer par un autre : « Quoi qu’il en soit, que le pétrole et le gaz soient extraits ou pas, cela n’a aucune importance face au virus corona qui envahit les continents. » Et M. Joumblatt d’appeler à l’unification des efforts face à cette épidémie.
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Une opposition, mais pas de front
Quelques heures plus tard, Marwan Hamadé, député joumblattiste du Chouf, s’est invité dans la partie pour réagir à une conférence de presse conjointe de Nada Boustani et César Abi Khalil, tous deux anciens ministres aounistes de l’Énergie. Les deux répondaient aux critiques qui avaient été adressées la semaine dernière à leur gestion de ce dossier, ainsi qu’aux accusations lancées contre leur formation de la part des partis hostiles au plan de production du courant électrique, et principalement axées sur la location de navires-centrales. Une option qui se heurte au veto tant du tandem chiite que du binôme PSP-FL. Réagissant aux propos des deux anciens ministres, Marwan Hamadé n’a pas mâché ses mots : « Concernant l’électricité et ses scandales, le misérable spectacle montrant les deux conseillers de Gebran Bassil côte à côte prouve que ce parti n’apportera pas le courant électrique et qu’il insiste à retarder la nomination des membres du comité de gestion du secteur (du pétrole). » « Ni (le programme) CEDRE, ni le FMI, ni les fonds islamiques n’aideront le Liban pendant ce sexennat failli », a encore lancé M. Hamadé.
À son tour, le leader des FL, Samir Geagea, a critiqué l’approche aouniste de la question de l’électricité. Lors d’un point de presse tenu hier à Meerab, à l’issue d’une réunion du groupe La République forte parrainé par son parti, M. Geagea a espéré que « le sort du pétrole et du gaz ne soit pas semblable à celui de l’électricité », dans ce qui sonne comme une critique implicite au CPL qui gère ce dossier depuis une décennie. « Des firmes internationales sont prêtes à construire des usines de production du courant électrique et à nous présenter les solutions provisoires à des tarifs proches des coûts que l’État paie aujourd’hui », a rappelé le leader maronite, s’indignant du fait que « certains insistent pour maintenir la même approche axée sur les solutions provisoires, en particulier les navires-centrales turcs ». Encore une flèche en direction de Gebran Bassil et son parti. Et Samir Geagea d’appeler le cabinet à examiner ce dossier sérieusement.
Au-delà de la querelle chronique opposant le CPL au PSP et aux FL, ces deux derniers partis convergent sur l’opposition à un dossier particulièrement stratégique. S’agit-il d’un pas en direction d’un front d’opposition qui joindrait les deux partis 14 marsistes au courant du Futur ? Pour Marwan Hamadé, « c’est une opposition, mais pas un front pour le moment ». Interrogé par L’OLJ, il tient à rappeler que la position de son parti sur ce plan n’est pas nouvelle. « Depuis 2010, nous avions accordé les crédits à Gebran Bassil qui a fait fi des lois en vigueur. Et depuis, pas de conseil d’administration (pour Électricité du Liban) et des dépenses qui ont fait passer le déficit à 31 milliards de dollars, sans aucune amélioration du courant électrique », souligne-t-il, faisant savoir que « ce qui importait le plus au chef de l’État était d’affronter ceux qui, selon lui, l’empêchaient de réformer ce secteur ». « Mais ils ont pris toutes les décisions en faisant fi des textes de loi. Et avec ce déni de l’importance des réformes, je vois la catastrophe se rapprocher », avertit M. Hamadé, insistant sur le fait que le PSP ne présentera plus ses critiques au gouvernement Diab, « qui n’existe pas ».
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17 h 59, le 29 février 2020