Rechercher
Rechercher

Les (longues) dents de la mer

Non, il n’était pas franchement, pleinement historique, ce premier coup de sonde dans les abysses de nos eaux territoriales, pas plus d’ailleurs que l’extravagant battage officiel auquel il a donné lieu. Car s’il faut, bien sûr, un commencement à tout, il y a tout de même bien loin de la plateforme de forage exploratoire aux derricks flottants ; et tout aussi loin (on est déjà aux alentours de l’an 2030) des derricks aux tankers et aux cotations en Bourse. Plus considérable encore est cependant la distance entre la fruste propagande et l’art subtil d’insuffler confiance aux foules en détresse, hantées par la pressante urgence du présent et la terreur du proche lendemain.


Ce délicat exercice, le président de la République ne s’y est pas livré avec grand succès mercredi, au moment de claironner pour les toutes prochaines heures l’heureux événement, à savoir le lancement des opérations exploratoires. Passe encore que le chef de l’État ait fort prématurément salué l’accession du Liban au club des bienheureux pays producteurs de pétrole. Ou encore qu’il ait cru utile, accompagné du Premier ministre, d’honorer de sa présence sur le site marin l’inaugural et symbolique coup de pioche dans l’eau. Ce qui passe moins bien en revanche, c’est la trop voyante, et fiévreuse à l’excès, tentative d’exploitation, au bénéfice du régime, de ce qui n’est encore qu’une simple et hypothétique promesse d’opulence nationale.


Comme n’a pas manqué de le déplorer le chef de l’État, c’est avec des années de retard sur les autres riverains de la Méditerranée orientale que notre pays se met à l’ouvrage. C’est là, comme tout le monde sait, le résultat de sempiternelles querelles de chiffonniers entre chefs politiques s’érigeant en caïds de tribu, en défenseurs de leurs communautés sans oublier pour autant leurs intérêts purement matériels. De cette foire d’empoigne est né un montage qui, au grand effarement de nombreux spécialistes, ne fait pas encore de place à une compagnie nationale des hydrocarbures : anomalie imparfaitement contournée par le projet d’une autorité de régulation privée de tout pouvoir décisionnaire, car assujettie au ministère de l’Énergie.


Or c’est sur ce huileux et glissant terrain que Michel Aoun a stupéfait son monde en trouvant moyen d’exalter la performance énergétique de son gendre, dont la gestion est pourtant l’une des plus vivement décriées par la révolution du 17 octobre. Ce n’était pas seulement dans leurs sentiments mais dans leur intelligence que les citoyens s’en trouvaient ainsi blessés. Si bien qu’au final, c’est une double fiction que cherche à accréditer, en un peu convaincant aller-retour, le régime. C’est à grand mal qu’il se retient de revendiquer carrément un exploit pétrolier qui, de toute manière, va devoir faire ses preuves ; et dans le même temps, il ne cesse de se dire l’innocente victime de trois décennies d’erreurs et d’errements accumulés.


Non, Monsieur le Président, le fenêtre d’espoir que vous offriez l’autre soir aux Libanais, ce n’est pas cette pluie de pétrodollars que même la plus optimiste des météos ne prévoit que pour dans dix ans : ce qui, vous voudrez bien l’admettre, est long pour une population dont près de la moitié côtoie déjà le seuil de la pauvreté. Le seul chantier qui mériterait d’être réellement qualifié d’historique, c’est celui des réformes, les vraies, comme le réclament les pays donateurs, mais aussi ces foules totalement ignorées dans votre dernier discours ; comme vous le rappellent sans prendre de gants, aux portes mêmes du palais de Baabda, les ambassadeurs étrangers.

Nouveaux venus dans le panorama libanais, vedettes incontestées du festival de la semaine, les opaques gisements d’or noir commandent, plus impérieusement que jamais, la règle de transparence. Faute de quoi, le pétrole ferait mieux de poursuivre son sommeil dans les profondeurs de la mer, plutôt que de faire tourner encore plus vite les tenaces organes de la corruption.


Faute de quoi, et parlant de gaz naturel cette fois, toutes les bonnes résolutions affichées ici et là ne vaudraient pas… un pet de lapin.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Non, il n’était pas franchement, pleinement historique, ce premier coup de sonde dans les abysses de nos eaux territoriales, pas plus d’ailleurs que l’extravagant battage officiel auquel il a donné lieu. Car s’il faut, bien sûr, un commencement à tout, il y a tout de même bien loin de la plateforme de forage exploratoire aux derricks flottants ; et tout aussi loin (on est déjà aux...