Le journaliste économique Mohammad Zbib, agressé dans la nuit du 12 au 13 février dans le quartier de Hamra à Beyrouth, a accusé hier trois gardes du corps de l’ancien ministre et directeur général d’AM Bank (al-Madina Bank), Marwan Kheireddine, arrêtés par les Forces de sécurité intérieure, de l’avoir attaqué et a confié à L’Orient-Le Jour être convaincu de l’implication directe de l’homme d’affaires controversé.
Malgré les aveux des assaillants, qui disent avoir agi de leur propre chef, le journaliste, qui dénonce régulièrement dans ses articles l’« oligarchie bancaire », a annoncé publiquement sa volonté de porter plainte contre M. Kheireddine, lors d’une conférence de presse tenue sur le parking des lazaristes dans le centre-ville de Beyrouth, lieu de rencontre des manifestants depuis le 17 octobre dernier. « Je vais porter plainte contre M. Kheireddine et toute personne que l’enquête désignera comme coupable », a annoncé M. Zbib, connu pour ses enquêtes sur des scandales économiques, notamment dans le cadre de la faillite d’AM Bank (en 2003), dans laquelle l’ancien ministre est soupçonné d’être impliqué. Ancien chef de la section économique du quotidien al-Akhbar, il avait démissionné pour contester la ligne du journal, hostile au soulèvement populaire. Les gardes du corps de Marwan Kheireddine ont été remis aux renseignements des FSI mercredi soir, selon M. Zbib, après avoir été identifiés par des caméras de surveillance.
Le soir de son agression, le journaliste se dirigeait à pied vers un parking à l’issue d’une conférence qu’il avait donnée sur les politiques économiques libanaises et les restrictions bancaires, lorsqu’il a été attaqué par trois individus armés de bâtons. Il a révélé hier que ses agresseurs ont essayé d’éviter les caméras de surveillance posées dans le quartier, sauf qu’une des caméras à laquelle ils n’avaient pas fait attention a permis de les identifier. « Les assaillants ont même assisté à mon intervention à Hamra, avant de me suivre dans la rue lorsque la conférence s’est terminée », a-t-il raconté.
(Pour mémoire : Agressé à Hamra, le journaliste Mohammad Zbib dénonce "l'oligarchie")
Agression « préméditée »
Très impliqué dans le mouvement de contestation que connaît le pays depuis octobre contre la classe dirigeante, Mohammad Zbib apparaît régulièrement sur les chaînes de télévision, où il expose des dossiers de corruption. « Les services sécuritaires ont arrêté un de mes agresseurs il y a quelques jours. M. Kheireddine a alors protégé les deux autres qui se sont réfugiés à Khaldé, dans une zone sous le contrôle du chef du Parti démocrate libanais, Talal Arslane », a affirmé M. Zbib à L’OLJ. « Ces hommes ont ensuite été remis à la police par le responsable de la sécurité chez M. Arslane, après des pressions exercées par les services de renseignements et après un accord dont j’ignore les modalités. Ils essaient de faire croire que les gardes du corps sont les seuls responsables de l’agression, pour protéger Marwan Kheireddine », a-t-il ajouté. Contacté par L’OLJ, un responsable au sein du Parti démocrate de M. Arslane a démenti pour sa part le fait que les agresseurs aient trouvé refuge chez le leader druze. « Nous avons été surpris d’entendre cette information. M. Kheireddine a remis ces personnes dès que leur implication a été confirmée. Je lui ai parlé aujourd’hui (hier) et il me l’a confirmé. Je ne comprends pas pourquoi M. Arslane les hébergerait pour les remettre ensuite aux forces de sécurité », a dit le responsable. M. Arslane est marié à la sœur de Marwan Kheireddine, « ce qui pourrait expliquer le rapprochement opéré par certains dans le cadre de cette affaire », selon la source interrogée. Pour Mohammad Zbib, il ne fait pas de doute que son agression était préméditée. « L’enquête laisse penser qu’il y a plus que trois personnes qui sont impliquées dans cette affaire. Impossible de croire que ces trois hommes ont tout décidé par eux-mêmes. D’autant plus qu’un d’eux occupe le poste de responsable du service sécuritaire de M. Kheireddine. Une voiture qui appartient à ce dernier a même été utilisée par ces hommes le soir de mon agression. J’ai été surveillé pendant et après la conférence, on m’a tendu un piège ce soir-là », a confié le journaliste à L’OLJ. Marwan Kheireddine est souvent critiqué par les militants, notamment concernant ses déclarations sur la situation économique du pays ou son implication supposée dans des affaires de corruption. Il avait dernièrement porté plainte contre le militant et cinéaste Rabih el-Amine pour diffamation. L’ancien ministre avait également été critiqué après la diffusion, en ligne, de photos où il pose à côté d’animaux sauvages tués lors d’un safari.
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17 h 03, le 22 février 2020