Le journaliste et expert économique Mohammad Zbib. Photo publiée sur le compte Twitter de la journaliste Luna Safwan
Le journaliste libanais Mohammad Zbib, spécialiste des dossiers économiques et de corruption, a été agressé dans la nuit de mercredi à jeudi dans le quartier de Hamra, à Beyrouth, un incident qui a été largement condamné, autant par des responsables que des activistes.
M. Zbib, très impliqué dans le mouvement de contestation que connaît le pays depuis octobre contre la classe dirigeante, apparaît régulièrement sur les chaînes de télévision libanaises, où il expose des dossiers de corruption au sein des différentes administrations de l’État. Selon des informations rapportées notamment par le quotidien an-Nahar, M. Zbib rentrait d'une conférence sur les politiques économiques libanaises et les restrictions bancaires lorsqu'il a été attaqué dans un parking par trois individus armés de bâtons, qui ont ensuite pris la fuite. Il a été brièvement hospitalisé à l'hôpital de l'Université américaine.
Sur son compte Twitter, le journaliste a accusé "l'oligarchie" libanaise d'être derrière cette attaque. "Cette oligarchie n'est pas seulement constituée de pillards, elle est également stupide, a-t-il écrit. Pensez-vous vraiment que nous allons avoir peur de vous et nous soumettre ?". Il a accompagné son tweet d'un tableau provenant, selon l'en-tête du document, de la commission de supervision des banques du pays, appelant à "faire connaissance avec ceux qui nous ont volés". "1% seulement des Libanais est responsable de 98% des dépôts et retraits" dans les banques, a-t-il commenté.
هذه الاوليغارشية ليست نهّابة فقط بل غبية جدا. هل يعتقدون حقا اننا سنخاف ونستسلم؟
— mohammad zbeeb (@mzbeeb) February 13, 2020
امعنوا النظر في الجدول. وتعرّفوا على من يسرقنا.
طبقة الـ1% مسؤولة عن 98% من سحوبات الودائع. صادروا اجورنا ومدخراتنا ليسحبوا 15.3 مليار دولار في العام الماضي وحده.
احبكم/ن حبا جما.#تسقط_الاوليغارشية pic.twitter.com/AWkKCHcYLU
Sit-in de solidarité
En soirée, un sit-in en soutien à M. Zbib a été observé devant le siège de la Banque du Liban. Les personnes rassemblées ont lancé des slogans tels que "Riad Salamé est un voleur" et "Le gouvernement des voyous doit tomber". "Les responsables occupent aujourd'hui les gens avec des mensonges sur la question du paiement des obligations financières que doit le Liban", a déclaré le journaliste lors du sit-in. Chaque dollar versé pour le service de la dette ou le paiement des eurobonds se fait au détriment du lait pour nos enfants". "Lorsqu'un citoyen veut retirer son dépôt et que la banque le lui refuse au moment où il y a une oligarchie qui transfère son argent à l'étranger, ceci est un crime", a-t-il encore dit. Et de poursuivre : "Le mouvement de contestation lorsqu'il a commencé, s'est fixé des objectifs et ne s'arrêtera pas avant d'avoir atteint ces objectifs. Il est demandé au pouvoir d'avoir une position claire. Il doit cesser de payer toutes les dettes et commencer à s'occuper de la société".
Photo A.T.
"Un acte lâche"
Les condamnations de l'agression contre M. Zbib se sont multipliées dans la journée. La ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, a signalé sur son compte Twitter que l'agression contre M. Zbib "révèle une tendance dangereuse visant à intimider les journalistes, notamment ceux qui se trouvent dans la contestation". "Je suivrai de près les enquêtes jusqu’à ce que les agresseurs soient identifiés et déférés devant la justice", a-t-elle ajouté.
L'Ordre des rédacteurs a condamné "un acte lâche", appelant les autorités à enquêter sur cette affaire et à traduire les responsables en justice.
Le syndicat alternatif de la presse, qui s'est constitué dans la foulée du mouvement de contestation a, lui, affirmé qu'il "ne se taira pas face aux crimes et à la corruption de l'oligarchie libanaise". "Nous refusons les politiques économiques des autorités libanaises, qui ont mené le pays à l'effondrement et qui continuent à faire payer le prix aux gens", ajoute le communiqué du syndicat alternatif.
L'observatoire SKeyes des médias a pour sa part affiché sa solidarité avec le journaliste économique, appelant à une enquête transparente sur l'identité des agresseurs et des commanditaires de cette attaque. L'ancien ministre de l’Économie Mansour Bteich a de son côté dénoncé "une tentative d'intimidation pour faire taire les plumes libres et courageuses". La députée Paula Yacoubian, issue de la société civile, a, elle, estimé que "le quatrième pouvoir est aujourd'hui devenu le plus important et le principal défenseur des droits des gens".
Legal Agenda a estimé que cette agression "constitue donc un tournant dangereux dans les relations entre le pouvoir et la révolution". "Nous craignons que la violence et la menace ne soient utilisées comme un outil pour faire taire les voix de l'opposition et notamment les voix qui ont, à plusieurs reprises, alerté la société au sujet des pratiques de corruption et de discrimination en faveur de l'oligarchie. On craint que cette attaque ne soit le prélude à une série d'actes violents auxquels l'autorité pourrait recourir pour préserver son hégémonie et empêcher tout changement", peut-on lire dans un communiqué de l'organisation.
"Les prisons ne nous font pas peur"
Par ailleurs, dix autres activistes originaires de Saïda ont été arrêtés et transférés au commissariat de Ras Beyrouth. Ces nouvelles arrestations par les services de renseignements de l’armée seraient liées, dit-on, au caillassage du convoi du député Salim Saadé, lequel a été blessé, mardi lors d'une manifestation contre le vote de confiance devant le Parlement dans le centre-ville de Beyrouth.
Dans l'après-midi, un sit-in a eu lieu à dans la capitale du Liban-Sud en signe de solidarité avec ces activistes, selon notre correspondant au Liban-Sud, Mountasser Abdallah. Les manifestants ont brandi des pancartes sur lesquelles il était marqué : "Les prisons ne nous font pas peur", "liberté aux révolutionnaires" et "non à la répression". Au moment du sit-in, huit des activistes arrêtés ont été relâchés, rapporte notre correspondant. Leur libération a été célébrée par les manifestants sur la place Elia. Les activistes avaient été arrêtés entre hier et aujourd'hui, précise notre correspondant. Certains d'entre eux ont été convoqués alors qu'ils travaillaient ou qu'ils se trouvaient chez eux, et d'autres ont été contactés par téléphone. "Ce sont les services de renseignements de l'armée qui m'ont arrêté. Je n'ai pas été frappé. On m'a demandé qui a participé aux manifestations et si je connaissais quelqu'un qui aurait commis des actes de vandalisme", indique Dib Mellah, 25 ans, arrêté aujourd'hui pour une durée de 5 heures. "Cette arrestation ne nous fait pas peur, nous resterons dans la rue", assure-t-il. "Nous continuerons jusqu’à ce que que nous ayons un gouvernement indépendant", dit de son côté Ali Ibrik.
Enfin, l'activiste libanais Firas Bou Hatoum, qui avait été agressé la semaine dernière, a été convoqué jeudi devant le département de la Sécurité de l’État. Dans un message publié sur Facebook peu après sa sortie de son interrogatoire, dans l'après-midi, M. Bou Hatoum a indiqué que la Sécurité de l’État lui avait "demandé de ne plus écrire (sur les réseaux sociaux) sur le président" Michel Aoun. Il n'a pas précisé s'il avait été convoqué pour une publication spécifique.
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commentaires (3)
Notre oligarchie a rapidement appris les méthodes nécessaires pour rester au pouvoir, utilisées au pays guidé suprêmement et représenté chez nous par sa milice armée dont le chef a permis à "l'oligarque en chef" libanais d'accéder au pouvoir il y a un peu plus de 3 ans. Irène Saïd
Irene Said
15 h 33, le 13 février 2020